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Crime

Le Burundi pourrait « retourner en enfer »

Alors que les meurtres se multiplient au Burundi, l’ambassadrice américaine aux Nations Unies craint un nouveau développement à la rwandaise et invite les grandes puissances à agir.
Photo de Dai Kurokawa / EPA

Un jour après que le Conseil de sécurité des Nations unies a reçu un rapport de son envoyé spécial au Burundi sur les récentes violences dans le pays, Samantha Power, l'ambassadrice américaine à l'ONU a envoyé en urgence une note aux diplomates britanniques et français qui représentent leurs pays à New York.

« Nous quittons le Burundi, » a écrit Power ce samedi dans cette note que VICE News a pu consulter. « Après examen, le pays retourne en enfer. »

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Avant de devenir ambassadrice à l'ONU, Power était surtout connue pour être à l'origine d'un livre intitulé A Problem from Hell (« Un problème venu de l'enfer »), qui aborde l'inaction américaine face aux différents génocides. Si nombre d'observateurs considèrent que la crise burundaise est largement due à des considérations politiques, le choix des mots employés par Power est un inquiétant rappel du génocide qui avait frappé le Rwanda — voisin du Burundi — il y a 21 ans. Le souvenir de ce génocide (qui avait fait plus d'un million de morts en 100 jours) flotte toujours dans la région des Grands lacs.

Si l'ONU et l'Union africaine (UA) sont censées mettre au point une « planification des urgences » afin d'être prêtes en cas de transformation de la crise burundaise actuelle en conflit ouvert, Power ne se satisfait pas des efforts consentis par l'UA et l'ONU.

« La session du conseil d'hier était pathétique, » écrit Power dans sa note. « Pas de planification des urgences, pas de présence de Casques bleus, pas de dialogue… » Pour le moment, il n'y a effectivement pas de soldats de l'ONU dans le pays.

« Créons un dialogue entre les capitales et trouvons rapidement ce sur quoi on peut s'accorder, » écrit Power aux diplomates français et britanniques.

Ce dimanche matin, le Département d'État américain a ordonné l'évacuation de tout le personnel américain (hors personnel d'urgence), et déconseille à ses citoyens de visiter le pays.

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Le rapport de Jamal Benomar, l'envoyé spécial de l'ONU au Burundi, que Power considère de « pathétique », avait été examiné par le Conseil de sécurité vendredi dernier. Il faisait suite à un épisode meurtrier dans la capitale Bujumbura — où 90 personnes avaient été retrouvées mortes.

Des manifestations de rues et de violents affrontements frappent le pays depuis le printemps et ont continué après la réélection du président Pierre Nkurunziza en juillet dernier, qui débutait là un troisième mandat controversé. Dans un rapport envoyé au Conseil de sécurité en novembre, le responsable des droits de l'homme à l'ONU, Zeid Raad al Hussein, expliquait que les exécutions extrajudiciaires et les « assassinats politiques » étaient devenus la norme dans le pays.

« Au moins 240 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations en avril, avec des corps jetés dans la rue quasiment chaque nuit, » explique al Hussein. « Il y a eu des centaines d'arrestations et de détentions arbitraires, » ajoute-t-il, « ciblant des membres de l'opposition, des journalistes, des défenseurs des droits de l'homme et leurs familles, des gens qui assistaient aux funérailles de ceux qui avaient été tués, et les habitants de quartiers que l'on dit proche de l'opposition. »

Mais les violences de vendredi, qui ont motivé l'envoi de la note de Power, semblent être différentes et plus inquiétantes. L'armée déclare que des assaillants non-identifiés ont frappé trois bases militaires, et des observateurs expliquent que les attaques étaient coordonnées. Selon des témoignages de l'AFP, les militaires ont brutalement répliqué, rassemblant des jeunes hommes avant de les exécuter. VICE News n'est pas en mesure de confirmer ces informations.

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Il est encore difficile de savoir qui compose cette opposition armée, et aussi de déterminer à quel point elle est puissante.

« Il y a tellement de spéculations et d'inconnues autour du Burundi, surtout pour savoir qui fait quoi à qui, » explique Ben Sheperd, chercheur pour le programme Afrique à la Chatham House (un institut de recherche en relations internationales basé à Londres). « Il est très difficile de savoir quel pourcentage de ces meurtres correspond à des règlements de compte perpétrés par des forces de sécurité… On ne sait pas non plus ce qu'il se passe en dehors de la capitale, où vivent 85 pour cent des Burundais. »

Le gouvernement burundais pointe du doigt son voisin rwandais depuis plusieurs mois, qu'il accuse d'entraîner des rebelles et d'être lié au coup d'État manqué de mai dernier.

Plus de 200 000 Burundais ont fui le pays à cause des violences — la plupart trouvant refuge au Rwanda. Selon le Burundi, le Rwanda accueillerait justement une grande partie des combattants de l'opposition. En novembre, Jeff Drumtra, un ancien représentant de l'UNHCR (l'agence des Nations Unies pour les réfugiés), expliquait dans le Washington Post que le Rwanda avait « secrètement recruté une armée de réfugiés burundais probablement pour conduire une insurrection armée à l'intérieur du Burundi ».

Drumtra cite notamment des rapports effectués dans l'impressionnant camp de Mahama (sud-est du Rwanda) où il a travaillé pendant 5 mois jusqu'en octobre dernier.

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Ce lundi, des chercheurs de Refugee International ont eux aussi évoqué ce recrutement parmi les réfugiés burundais au Rwanda. Leur rapport explique que les efforts liés au recrutement auraient commencé en mai — le mois où Nkurunziza a été permis de se présenter à nouveau à la présidentielle — dans le camp de Mahama. Les officiels rwandais ont nié ces allégations dans des communiqués fournis à Refugee International.

« Il est difficile de savoir combien de personnes ont été recrutées mais on peut dire qu'au cours des 5 derniers mois, environ 50 réfugiés ont déclaré avoir été enrôlés contre leur volonté, et 30 autres ont confié avoir été entraînés et envoyés en RDC [République démocratique du Congo] pour rejoindre ensuite le Burundi, » explique Michael Boyce, un des auteurs du rapport.

« Plusieurs réfugiés expliquent avoir vu des officiers de police rwandais dans des réunions de recrutements et étaient aussi présents lors de l'embarquement de recrues dans des véhicules de l'armée rwandaise, » explique Boyce. « Des réfugiés expliquent avoir été emmenés dans des camps d'entraînement où il y avait des drapeaux rwandais. »

Boyce précise qu'il n'a pas vu de ses yeux l'implication directe des autorités rwandaises dans ce recrutement. Il a demandé à l'ONU de mieux faire son travail dans le suivi de ce type d'activités si elles ont réellement lieu.

Si l'implication du Rwanda dans la situation burundaise reste peu claire, le gouvernement du président Paul Kagame est connu pour soutenir les rebelles principalement Tutsi en RDC.

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« Ces recrutements, s'ils sont vrais, montreraient que le Burundi se dirige vers un conflit beaucoup plus rapidement que ce qu'on pouvait craindre, » explique Boyce. « De plus, cela pourrait montrer que le risque d'un conflit régional est significatif, et augmente un peu plus chaque jour. »

Pendant ce temps à New York, le Conseil de sécurité a hésité sur les suites à donner à la situation burundaise, comme l'explique la note de Power. Le « P3 » — les trois membres permanents occidentaux de l'ONU (la France, le Royaume-Uni et les États-Unis) — semble être pour un engagement plus grand de l'ONU et une présence militaire sur place, mais les deux autres membres permanents (la Chine et la Russie) n'ont pas vraiment envie de voter pour une intervention armée. Un déploiement de Casques bleus ne pourra se faire qu'avec la permission du gouvernement burundais. Cela pourrait dépendre de la manière dont Nkurunziza voit cette opposition armée — est-elle puissante ou non, en gros.

Il est aussi difficile de savoir d'où viendraient les Casques bleus — puisque les forces de maintien de la paix de l'ONU déployées sur le continent africain sont déjà débordées. De plus, établir une mission de maintien de la paix pourrait prendre plusieurs mois, comme cela a été le cas l'année dernière en République centrafricaine (RCA).

« L'ONU se trouve devant un dilemme classique : l'escalade de la violence peut avoir des conséquences explosives sur la région des Grands lacs, mais l'ONU compte sur les Africains pour résoudre cette crise, » explique Thierry Vircoulon, spécialiste de l'Afrique centrale pour l'International Crisis Group, faisant référence aux efforts de médiation supervisés par le président ougandais, Yoweri Museveni.

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En novembre, le Conseil de sécurité avait approuvé à l'unanimité une résolution condamnant la violence au Burundi, et annoncé qu'il considérait « des mesures additionnelles » contre « tous les acteurs burundais dont les actions et déclarations contribuent à la perpétuation de la violence. » Les États-Unis ont aussi imposé des sanctions à plusieurs Burundais.

Ce vendredi, lors de la conférence de presse après le Conseil de sécurité, Power a réitéré la menace d'imposer de plus lourdes sanctions — sans préciser sous quelles formes. Elle a aussi appelé Museveni à « convoquer immédiatement le gouvernement et l'opposition pour engager un dialogue politique national ».

« Sans ce dialogue, cela va être très, très difficile de désamorcer la situation, et il faut qu'elle soit désamorcée, sinon cela va évoluer en un épisode de violence de masse, » a déclaré Power.

Faisant référence à des arguments étayés dans son livre, Power a ajouté que « ceux qui ne font rien au milieu d'une situation qui se détériore sont aussi fautifs. »

Vircoulon dit être pessimiste quant au fait qu'une solution cohérente soit trouvée rapidement.

« Bien sûr, le [Conseil de sécurité] sait que quand les choses s'enveniment, les Africains ne vont pas s'en charger et vont remettre la faute sur l'ONU, » explique-t-il. L'ONU « sait alors qu'il ne sera pas capable de déployer rapidement des soldats pour le maintien de la paix ».

« Les contradictions habituelles empêchent l'ONU d'être capable de trouver une solution à la crise burundaise, » craint Vircoulon.

La politique onusienne, et la sensibilisation des membres du Conseil de sécurité aux problématiques de crimes de masse, a évolué considérablement depuis le génocide rwandais de 1994 — un épisode qui correspond aux heures les plus sombres de l'organisation internationale, lorsqu'elle a abandonné le petit contingent de Casques bleus présent dans le pays. En un peu plus de trois mois, environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués.

Les violences ethniques qui visaient les Hutus ont commencé dans les années 1970 au Burundi, et la guerre civile de 13 ans qui a pris fin en 2005 a aussi été l'occasion d'affrontements entre Hutus et Tutsis au Burundi. Après la guerre, Nkurunziza, qui commandait la faction Hutu la plus puissante, a émergé en tant que président. Les observateurs estiment que les divisions de ces dernières années sont principalement politiques et pas ethniques — elles sont aussi le résultat du régime autoritaire de Nkurunziza. La note de Power appelle tous les diplomates onusiens à craindre une escalade de la violence dans le pays — à moins que le pire ait déjà commencé.

« Il est très clair que les mesures que nous avons prises ces derniers mois n'ont pas été suffisantes, » a expliqué Power vendredi dernier après le Conseil de sécurité.

Suivez Samuel Oakford sur Twitter : @samueloakford