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Crime

Le futur du Yémen se joue actuellement en Suisse

Après près de 9 mois de guerre, une tentative de cessez-le-feu au Yémen a débuté ce mardi, alors que des représentants des deux camps se rencontrent pour essayer de parvenir à un accord de paix.
Yahya Arhab/EPA

Après près de 9 mois de guerre, une tentative de cessez-le-feu au Yémen a débuté ce mardi, alors que des représentants des deux camps qui s'affrontent dans le pays se rencontrent en Suisse pour essayer de parvenir à une solution.

Des combats sporadiques ont continué à émailler le pays après le début du cessez-le-feu commencé ce mardi à midi (heure locale), notamment dans la ville de Taiz, où des forces locales résistent à des rebelles Houthis qui refusent de collaborer. Pourtant le gouvernement du président Abd Rabbuh Mansur Hadi, soutenu par les Saoudiens, et les Houthis avaient déclaré être d'accord pour cesser temporairement les hostilités. Cette pause pourrait permettre de faire parvenir une aide humanitaire dont ont désespérément besoin les quelque 20 millions de Yéménites.

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Le conflit yéménite, qui se trouve relégué médiatiquement derrière celui qui se joue en Irak et en Syrie agite le pays depuis mars dernier, quand une coalition menée par l'Arabie saoudite a commencé à bombarder les forces Houthis et leurs alliés loyaux à l'ancien président Ali Abdullah Saleh. Près de 6 000 personnes — dont une moitié de civils — ont été tuées depuis. D'après l'ONU et des groupes de défense des droits de l'homme, la majorité des civils tués est due aux frappes aériennes de la coalition, qui sont soutenues par les États-Unis d'un point de vue logistique et en termes de renseignement.

« Notre rencontre de cette semaine en Suisse arrive à un moment crucial, où les menaces, dangers et défis grandissent localement et régionalement, » déclare dans un communiqué Ismail Ould Cheikh Ahmed, l'envoyé spécial de l'ONU au Yémen. « L'échec des négociations aura des conséquences humanitaires et matérielles désastreuses pour le pays. »

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Si la coalition menée par les Saoudiens a permis de renverser certaines avancées des Houthis, notamment dans la ville portuaire d'Aden dans le sud du pays, les récents mois ont laissé place à une guerre d'usure. Le gouvernement reconnu par la communauté internationale de Hadi exerce seulement une petite emprise sur le pays et se trouve fragilisé par des conflits internes. Les combattants unis en opposition aux rebelles Houthis à dominance chiite — notamment les sécessionnistes du sud et des djihadistes — se sont progressivement divisés. Profitant du chaos, les branches yéménites d'Al Qaïda et de l'État islamique se sont aussi affirmées. Début décembre, l'EI a revendiqué une attaque à la bombe qui a tué le gouverneur d'Aden.

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« Le fait que des factions de la résistance dans des endroits comme Taiz refusent de coopérer pour arriver à un cessez-le-feu illustre le manque de contrôle du gouvernement central, » explique Adam Baron, un chercheur au European Council on Foreign Relations (ECFR). Ce type d'événement prouve, d'après lui, qu'il est d'autant plus urgent de trouver une solution maintenant, plutôt que de laisser les violences se développer en luttes de pouvoir localisées.

À New York, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon s'est félicité des discussions qui ont lieu actuellement en Suisse. La ville qui accueille ces négociations n'a pas été révélée.

« Il appelle toutes les parties à s'accorder sur la fin des hostilités et à travailler pour trouver une fin durable au conflit, » explique le porte-parole de Ban, Stephane Dujarric.

Alors que la fin de l'année approche, les groupes armés du Yémen et la coalition saoudienne ont encore les moyens de continuer de combattre, » explique le chercheur du ECFR. Mais si les combats continuent, le Yémen en ressortira totalement détruit.

« Le Yémen est proche du point de rupture, et si ces négociations échouent, il va sans dire que le pays va tomber dans les abysses, » note Baron. « Le Yémen s'effondrait totalement au niveau étatique, mais aussi de sa société — c'est-à-dire un endroit où les gens peuvent vivre, manger et élever leur famille. »

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Les deux camps qui s'affrontent se sont rendus coupables de lourdes violations des droits humains. Les Houthis et leurs alliés ont quotidiennement frappé des zones où résident des civils avec des obus. Ils ont aussi laissé des mines anti-personnelles alors qu'ils battaient en retraite — ce qui est contraire au droit international. Ce dimanche, Human Rights Watch (HRW) a accusé les rebelles de fermer plusieurs ONG et de détenir arbitrairement des militants dans la capitale Sanaa, qui est toujours sous leur contrôle. Les rebelles, qui viennent principalement de la communauté chiite Zaydi du nord du Yémen, ont aussi enrôlé des mineurs pour combattre.

La coalition saoudienne, équipée de milliards de dollars d'armes — principalement vendues par les États-Unis — s'est aussi retrouvée sous la surveillance des défenseurs des droits de l'homme après plusieurs épisodes, qui auraient mené à la mort de centaines de civils. Les Américains, qui admettent fournir « une assistance au ciblage » ainsi que des centaines de stations de ravitaillement au-dessus de l'espace aérien saoudien, ont essayé de se distancer ces derniers mois de la coalition. À cause de leur implication, HRW estime que les États-Unis sont un parti du conflit — et devraient donc mener leur propre enquête sur les civils morts. Les États-Unis ne se considèrent pas comme un membre de la coalition, malgré son rôle indispensable et démesuré.

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Vendredi dernier, en réponse au nombre des victimes civiles, le porte-parole du Département d'État américain, Michael Kirby, a ressorti le vocable utilisé par les officiels américains depuis des mois.

« Nous les avons tous [les membres de la coalition] encouragés à enquêter tout rapport crédible de victimes civiles résultant de frappes de la coalition ; afin de fournir un décompte objectif, minutieux et opportun de ces faits, » a expliqué Kirby.

Questionné sur des enquêtes saoudiennes avaient été lancées, Kirby a répondu, « Je n'ai vu aucune enquête. »

Peut-être que la seule fois où les autorités saoudiennes ont admis avoir touché une cible civile remonte à octobre dernier quand l'ambassadeur saoudien à l'ONU avait confié à VICE News, que le pays avait accidentellement frappé un hôpital géré par Médecins sans frontières (MSF) à Sanaa. Cependant, le lendemain, l'ambassadeur a déclaré qu'on avait déformé ses propos et a nié qu'une telle attaque ait jamais eu lieu.

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Jamais l'Arabie saoudite n'avait mené une intervention d'une telle envergure chez son voisin du sud. Il est encore difficile de savoir ce que les Saoudiens attendent des négociations qui ont lieu en Suisse, où 24 représentants yéménites sont présents.

Depuis avril, les Saoudiens répètent que les Houthis doivent se plier à une résolution du Conseil de sécurité qui contraint les rebelles et les soutiens de Saleh de déposer les armes et de se retirer des territoires qu'ils ont saisis — notamment Sanaa. Entre-temps, les Saoudiens ont essayé de financer la réponse humanitaire au Yémen, mais cela a mal tourné quand les Saoudiens ont exigé avoir un contrôle des fonds qu'ils avaient promis à l'ONU, déclenchant la colère des officiels onusiens. Les Houthis auraient confié aux médiateurs de l'ONU qu'ils veulent bien se plier à la résolution, mais ces échanges n'ont accouché d'aucune solution et ont été écartés par Riyad. Il n'est pas non plus simple de savoir si les Houthis accompagneraient leurs promesses d'actions sur le terrain.

Avant le début du conflit, le Yémen était déjà le pays le plus pauvre du Moyen-Orient. Le blocus saoudien sur les frontières et côtes yéménites, en place depuis mars, a aussi amoindri les importations de nourriture et de biens de première nécessité dans le pays, notamment des médicaments. Ce mardi, l'ONG britannique Save the Children annonce qu'un enfant de moins de 5 ans sur trois au Yémen — soit 1,3 million d'enfants — souffre déjà de malnutrition aiguë.

« Les discussions de cette semaine sont une question de vie ou de mort pour des centaines de milliers d'enfants. À mesure que le conflit se poursuit, on s'approche d'une situation de famine créée par l'homme, » alerte Edward Santiago, le directeur de Save the Children pour le Yémen. « Les négociateurs présents en Suisse tiennent le destin de toute une génération entre leurs mains. »

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