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Crime

L'Inde veut récupérer l'un des diamants de la couronne royale britannique

Le diamant du Kohinoor est l'un des joyaux les plus célèbres au monde — et d'après l'Inde il représente un exemple probant des nombreux pillages réalisés par les Britanniques à l'époque de l'Empire.
Un femme indienne montre une réplque du Kohinoor, à Kolkata, en2002. Photo de Jayanta Shaw/Reuters

Duleep Singh, le dernier Maharaja de l'empire sikh, avait à peine dix ans quand on l'a forcé à quitter sa patrie (qui correspond aujourd'hui au nord de l'Inde) pour se rendre en Grande-Bretagne. Le but de ce long voyage ? Présenter le plus gros diamant du monde de l'époque, — le « Kohinoor » — à la reine Victoria. Depuis, le Kohinoor est le joyau star des bijoux de la couronne royale britannique. Problème, aujourd'hui l'Inde veut récupérer l'imposant diamant.

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Quand le petit garçon s'est délesté du Kohinoor en 1849, il s'est aussi fait dépouiller de tout son Royaume du Pendjab par les colons britanniques, à la fin de la Seconde guerre anglo-sikhe. Cette guerre avait été menée et gagnée par la Compagnie britannique des Indes orientales (EIC) au nom du monarque anglais. L'EIC était une multinationale, propriété d'aristocrates et de riches marchands, qui commandait d'immenses armées privées, administrait la colonie, et gérait la moitié du commerce international à l'époque. C'est à la demande de l'EIC que le Kohinoor fut inclus dans le traité de paix punitif infligé au Royaume du Pendjab, qui avait perdu la guerre.

Le Kohinoor est un butin de guerre extraordinaire. Il apparaît que le diamant a été trouvé dans les célèbres mines de Golconda en Inde au XIIIe siècle et pesait 793 carats. Il est passé entre les mains d'empereurs moghols, de shahs perses et d'émirs afghans avant de devenir la possession de l'empire sikh. On dit que le fondateur de l'empire et roi guerrier du Pendjab, Ranjit Singh, surnommé « le Lion de Lahore », portait le diamant sanglé à son biceps. Ce qui n'était pas forcément une bonne idée, parce que selon une légende, un sort aurait été jeté au diamant en 1306. D'après la légende, tous les hommes qui porteraient le diamant seraient touchés d'une malchance terrible menant à la mort.

La famille royale britannique a apparemment pris la légende au sérieux, puisqu'elle a décidé d'intégrer le diamant dans les couronnes portées uniquement par les monarques femmes. Aujourd'hui, le Kohinoor est incrusté sur la couronne de la Reine Elizabeth, la Reine Mère. Les Anglais avaient aussi décidé de le polir un peu et de retravailler le joyau pour le rendre plus brillant — faisant perdre 40 pour cent du poids du diamant, qui a tout même la taille d'un oeuf de poule.

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La valeur symbolique du joyau, ajouté au fait qu'il n'a jamais été vendu, signifie que le diamant est inestimable. Mais dans les années 1500, le fondateur de l'empire moghol, Babur, avait déclaré que la valeur du diamant correspondait à la moitié des coûts de productions mondiaux d'une journée complète.

On peut apercevoir le Kohinoor dans la croix de Malte sur le devant de la couronne de la Reine Mère, lors de ses funérailles en 2002. Photo de Alistair Grant / AP

Aujourd'hui, des membres éminents du paysage politique indien demandent que le diamant soit rapatrié — une demande déjà formulée par le gouvernement indien lors de l'indépendance du pays en 1948, mais rejetée par les gouvernements britanniques successifs. Le refus des Britanniques est vu comme un exemple parmi d'autres de l'attitude discutable du gouvernement quant au sujet des pillages de l'ère coloniale.

Un groupe de stars de Bollywood et d'hommes d'affaires, qui se font appeler la « Montagne de Lumière » (la traduction littérale de « Kohinoor »), avait annoncé en novembre dernier qu'ils avaient demandé à des avocats de lancer une procédure judiciaire devant la Cour suprême britannique pour récupérer le diamant. Ce mois-ci, la Cour suprême indienne a entendu la requête d'une ONG qui réclame aussi le retour du joyau.

Le diamant s'est retrouvé à faire les gros titres ces derniers jours quand le Solliciteur Général indien, Ranjit Kuma, a conseillé la cour suprême de ne pas demander le retour du diamant. Selon lui, cette requête n'a pas de bases juridiques, puisque le diamant n'a pas été « volé ou pris par la force », mais était un « cadeau » fait à l'EIC.

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Cette déclaration a été accueillie froidement dans plusieurs parties en Inde, notamment au Maharaja Duleep Singh Memorial Trust, qui gère un musée à la mémoire de l'enfant empereur, où l'on peut voir une réplique du diamant. « C'est une déclaration irresponsable. Le diamant du Kohinoor était la fierté non seulement des habitants du Pendjab, mais aussi de tout le pays, » a déclaré Ranjit Singh Talwandi, le président du Trust. Les sikhs britanniques ont aussi réagi vivement. La Sikh Federation UK a déclaré sur le site du IB Times que le solliciteur général « manque clairement de connaissances sur l'histoire des Sikhs. »

Dans un communiqué diffusé par l'Indian Express ce mardi, le gouvernement indien a déclaré qu'il « réitérait sa volonté de faire tout ce qui est possible pour ramener le Kohinoor d'une manière amicale. »

D'après la Dr Chandrika Kaul, une spécialiste de l'empire britannique et de l'histoire moderne de l'Asie du Sud à l'université de St. Andrews, s'il est important de se poser les bonnes questions sur la manière dont le diamant a été acquis par les Anglais, il faut surtout garder à l'esprit qu'il y a eu de nombreux transferts de joyaux controversés. Le transfert du Kohinoor est simplement le plus récent.

Kaul indique que la question du véritable propriétaire du diamant reste ouverte encore aujourd'hui, puisqu'il est passé entre les mains des Moghols, des Perses et des Afghans, avant d'atterrir dans le royaume du Pendjab. « Il y a des questions sur ce point : le processus des nombreux transferts du diamant est flou, » précise la spécialiste. « En réalité, les premiers à avoir eu le diamant en leur possession, ces sont les Moghols — et ça, personne n'en parle. »

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Le professeur d'histoire de l'Inde, Peter Robb, à l'université de Londres (SOAS - School of Oriental and African Studies) abonde en ce sens. Si les actions de l'EIC et de la monarchie britannique paraissent aujourd'hui peu recommandables, les conventions de l'époque étaient pourtant celles-ci, indique le professeur.

« Peu importe ce que pensent les gens aujourd'hui, en appliquant les standards modernes, mais l'acquisition du diamant était légale, selon les lois de l'époque, » explique-t-il dans un e-mail.

D'après Robb, le fait que le diamant ait été en la possession d'autant de propriétaires — « dont aucun d'entre eux n'a gouverné une nation appelée "l'Inde" » — est un point critique du débat. Depuis 1976, le joyau est aussi réclamé par le Pakistan.

« Est-ce que le diamant appartient au "peuple" indien, parce qu'il aurait été trouvé là où est aujourd'hui le territoire de l'Inde actuelle ? » demande Robb. « Poser la question de cette manière montre qu'aucune doctrine juridique ne pourrait être conçue sur cette base. Si une telle règle devait s'appliquer, un grand nombre d'absurdités en ressortirait. »

Depuis son accession au pouvoir en 2014, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a déjà réussi à récupérer plusieurs artefacts culturels disséminés à l'étranger. Une statue de la déesse Durga datant du Xe siècle a été récupérée en Allemagne, une sculpture vieille de 900 ans connue comme la Dame Perroquet a été rapatriée depuis le Canada, et des statues antiques de divinités hindoues dans des galeries d'art australiennes sont rentrées en Inde.

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Mais le gouvernement britannique reste farouchement optimiste quant au sort du diamant. Le Premier ministre actuel, David Cameron, avait déclaré en 2010 que le rapatriement du Kohinoor créerait un « précédent intenable ».

« Si vous dites "oui" une fois, vous allez soudainement vous retrouver avec un British Museum vide, » avait déclaré le Premier ministre lors d'un voyage en Inde.

Au moins 16 gouvernements ont fait savoir qu'ils comptaient récupérer des items exposés au British Museum. Parmi ces oeuvres, on trouve les sculptures grecques classiques des marbres d'Elgin ou encore la pierre de Rosette sur laquelle un message avait été inscrit en 196 avant JC par Ptolémée V.

L'historienne de St. Andrews, Kaul, indique que la demande de rapatriement du diamant n'est pas une requête d'une grande importance pour la plupart des Indiens.

« Ce n'est pas une demande majeure qui transcende les différentes classes économiques et politiques, il s'agit plus d'un point de convergence pour certains groupes marginalisés, » explique-t-elle.

De son côté, Robb appelle à la modération des déclarations nationalistes, notamment parce que de nombreuses questions persistent sur le véritable propriétaire du diamant.

Avec ce type de revendication « de nombreuses réactions patriotiques peuvent émaner. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles ont une quelconque validité objective, » écrit Robb.

Le combat pour le rapatriement du diamant se mène aussi au Royaume-Uni. Keith Vaz, un député d'origine sud asiatique — demande régulièrement que le diamant soit rendu à l'Inde.

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« Les commentaires du Solliciteur Général indien sont étonnants, » dit Vaz dans un e-mail. « Je suis content que le gouvernement indien ait clarifié tout cela en assurant vouloir faire son possible pour ramener le Kohinoor. »

« J'espère que le gouvernement indien sera en position de présenter ses intentions à la Cour suprême rapidement. »

Malgré les efforts du gouvernement indien, ces demandes de rapatriement ne sont pas près d'aboutir selon Robb.

« Pour moi, il n'y a aucune chance que le diamant retourne en Inde, notamment parce que cela créerait un précédent, » écrit-il. « Sauf si un gouvernement britannique décidait qu'un grand geste intitule pouvait servir d'autres intérêts. »


Suivez Charles Parkison sur Twitter : @charlesparkinsn

Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News.