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Surf

Île aux requins : "Seuls les surfeurs purs et durs sont restés"

Malgré l'interdiction officielle, une poignée de trompe-la-mort réunionnais refuse de ranger la planche.
Photos : Camille Belsœur

Le surf shop « Mickey Rat » se cache au bout d’un cul-de-sac, à quelques mètres des rouleaux qui ont fait la renommée de Saint-Leu, l'un des plus beaux spots de surf de l’île de La Réunion. Peinte de rouge et de blanc, la devanture affiche le célèbre personnage de Disney, une planche à la main. Sur la façade, Mickey sourit, comme si la vie des surfeurs était un dessin animé où les gentils gagnent toujours à la fin. Mais on remarque aussi la pancarte clouée à l'entrée : une publicité pour une activité d’artisan dans le bâtiment. Pour ne pas mettre la clé sous la porte, Pierre Giovamangeli, le propriétaire, a dû diversifier son activité. La crise du requin, qui touche l’île de La Réunion depuis 2011, a fait des dégâts humains - neuf morts et une dizaine de blessés. Mais aussi économiques. Des boutiques de sport de glisse, mais aussi les écoles de surf, les bars et les restaurants qui bordent les plages longtemps fréquentées par les surfeurs, ont fermé, laissant des centaines de personnes au chômage.

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« Il n’y a que les purs et durs qui sont restés », soupire Pierre Giovamangeli. Du coup, les fins de mois sont difficiles. « Les professeurs de surf n’ont plus un sou. Un mec de 40 ans qui gagnait bien sa vie doit maintenant avoir sa soeur, ou sa mère, comme caution pour louer un deux-pièces en ville », glisse Christian Casado, quadragénaire au torse musclé par la pratique quotidienne du surf - au chômage depuis trois ans.

Sur les anciens spots de surf, la vigie requin fait désormais partie du paysage.

Face à la multiplication des attaques de squales – 25 en six ans –, l’État a interdit la baignade et la pratique des sports nautiques hors des lagons. Les contrevenants risquent 38 euros d’amende. Mais plus que la peur des amendes, c’est la crainte de nouvelles attaques qui a poussé les surfeurs à ranger leurs planches. En 2011, la Ligue de surf de la Réunion comptait 1400 licenciés. « Dans les premières années de la crise du requin, on est tombé à 200 licenciés. Aujourd’hui, on est remonté à 500 », dénombre Hervé Geollot, le directeur de la vigie requin, un dispositif mis au point par des surfeurs locaux, et subventionné par l’État.

Les 24 personnes employées du collectif opèrent chaque semaine, du mercredi au dimanche. Ce matin, trois équipes partent en zodiac du port de Saint-Gilles, la grosse ville de la côte ouest de La Réunion. « On va vérifier les conditions de visibilité dans l’eau sur trois zones idéales pour le surf : les plages des Aigrettes, de l’Ermitage et de Boucan », explique Raphaël, bronzage du gars de l’océan et moustache taillée avec soin. Sur le spot des Aigrettes, deux plongeurs sautent du bateau. La visibilité est bonne, les hommes-grenouilles y voient clair à dix mètres. Assez pour apercevoir un requin de loin. Direction le lagon de l’Ermitage, où les surfeurs prennent les rouleaux derrière « la passe », une brèche dans la barrière de corail qui ceint la côte. Autour du spot, six vigies sont en permanence à l’eau pour déceler la présence éventuelle d’un requin autour des surfeurs. Ils sont appuyés par deux bateaux, dont l’un équipé de caméras à 360 degrés.

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« Ton groupe sanguin n’est pas indiqué, tu le connais ? J’en ai besoin s’il arrive quelque chose » - un membre de la vigie requin

« Depuis que le dispositif existe, on n’a jamais vu de requin. On a eu deux cas d’alertes où des vigies ont vu des masses sombres sous l’eau, sans savoir s’il s’agissait d’un requin ou non », raconte Hervé Geollot. Sur la plage, la vigie requin a installé son QG sous une tente où une seconde équipe surveille les images des caméras du bateau. Le staff accueille également les jeunes adhérents qui viennent profiter de la session. Ils sont une vingtaine, tous équipés de la même combinaison grise et noire. Ben, l’un des membres de l’équipe, interroge un gamin de 12 ans : « Ton groupe sanguin n’est pas indiqué, tu le connais ? J’en ai besoin s’il arrive quelque chose. »

Cinq fois par semaine, la vie requin testent les conditions de visibilité dans l'eau

Comme la majorité des surfeurs, qu’ils soient licenciés ou freeriders, l’équipe de la vigie requin est persuadée qu’une activité humaine importante sur l’eau, avec des bateaux et des plongeurs éloigne les prédateurs. « Les requins bouledogues, ceux qui attaquent le plus ici, sont des animaux opportunistes, avance Raphaël. S'il y a trop de bruit et d’activité, ils sont méfiants. On ne les voit jamais en vigie, ça veut dire quelque chose. »

Sur la route du littoral qui descend à Saint-Pierre, dernière ville sur la route du sud à être entourée d’un lagon protecteur, on croise un jeune auto-stoppeur. « Je ne fais plus de surf ici à cause des requins. Mais je m’y mettrais s’ils remettaient des filets anti-requins au large, par exemple. Du coup, j'en fais quand je vais en vacances à Maurice », dit-il. Comme lui, de nombreux adolescents de familles aisées ont rangé la planche sur leur île de la Réunion, et ne la ressortent que lorsqu’ils voyagent autour de l’océan indien, en Afrique du Sud, à Madagascar ou à Maurice. Alors forcément, le niveau des jeunes générations a baissé. « S’ils veulent franchir un cap, les gamins doivent surfer tous les jours et ce n’est plus possible à La Réunion. On a une génération perdue » , constate Hervé Geollot, le patron de la vigie requin.

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Malgré l'interdiction clairement affichée, certains surfeurs continuent d'aller à l'eau.

Au creux de la vague, il y a les autres. Les freeriders qui ne cachent pas leur agacement envers la vigie requin. « Nous à Saint-Pierre, on est laissé à l’écart. La vigie, c’est encore un truc qui ne profite qu’aux gens de l’ouest, là où il y a l’argent », dit Tommy, 21 ans. Sur la jetée de Saint-Pierre, juste derrière l’entrée du port, le spot est magnifique. Les rouleaux de vagues turquoises se détachent d’une mer d’un bleu plus sombre. Ils sont une quinzaine à l’eau. Pour se sécuriser, ils sortent sur l’océan en groupe. « On ne surfe plus en solo. Ici, on a l'avantage d'avoir des pêcheurs. Les bouledogues sentent que c’est une zone dangereuse pour eux. Et les pêcheurs, qui sont nos potes, nous préviennent quand ils voient quelque chose », ajoute Tommy. La jetée de Saint-Pierre est, pour le moment, l’un des rares lieux épargnés par les attaques.

« Le surf, c’est encore plus intense qu’avant. On brave l’interdit » - Laurent, poursuivit pour incitation au surf.

Sur le spot de Saint-Leu, les conditions sont plus précaires. Le 29 avril 2017, un bodyboarder a été tué par un squale. Dernière tragédie de la série noire. Au spot de la Tortue, quelques kilomètres plus au nord, des passionnés bravent chaque jour le danger. Dès l’aube, ils se regroupent. La plupart sont équipés à la cheville d’un shark shield, un appareil qui crée un champ magnétique autour de la planche dans l’eau. Rien ne prouve que le concept soit fiable à 100%, mais il n’existe rien de mieux. « On est le crash-test des fabricants de bracelets anti-requins. Le shark shield, ça tient quelques mois et ça coûte 500 balles. Ça fait cher », jure Rémy, habillé d’un tee-shirt “legalize it”, slogan pro-pêche au requin.

Mais l’appel de la vague emporte tout le reste. « Le surf, c’est encore plus intense qu’avant. On brave l’interdit et on a les spots pour nous seuls. Quand je surfe maintenant, je suis comme un petit collégien qui va fumer dans les toilettes sous le nez du proviseur », lâche Laurent, figure du surf local. Et poursuivit pour « incitation au surf. »