Quand l'humanité cherchait la localisation de l'âme
A diagram from Andreas Vesalius’s  De humani corporis fabrica libri septem (1543). Image : Vesalius/Wikimedia Commons

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Quand l'humanité cherchait la localisation de l'âme

Pendant des siècles, les savants ont tenté de trouver le siège de la conscience dans le corps humain, sans succès.

L'histoire des sciences de l'esprit en Occident ressemble, de loin, à une longue suite de latinismes impénétrables et de gravures anatomiques en noir et blanc. Pourtant, loin d'être un sujet froid et ennuyeux comme la mort, elle nous permet de comprendre pourquoi, en 2017, nous ne sommes pas débarrassés du concept "d'âme" telle qu'il a été définie par la pensée chrétienne – et pourquoi nous avons toujours le sentiment que le cerveau abrite l'essence d'un individu tout en étant le siège de la pensée consciente.

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L'idée selon laquelle l'âme résiderait dans une partie spécifique du cerveau, a, évidemment, été abandonnée par les neurosciences. "Il ne s'agit pas d'une hypothèse que l'on peut tester ; ce n'est donc pas une idée scientifique", m'explique Sylvia McLain, chercheuse en biochimie à l'Université d'Oxford et éditorialiste pour The Guardian. La quête du siège de l'âme a cependant constitué une mission essentielle pour des générations d'érudits, et continue de stimuler, sinon de guider la recherche sur la nature de l'esprit. "Poser des questions philosophiques très générales de type 'qu'est-ce que l'âme?' peut parfois donner lieu à des recherches scientifiques intéressantes", ajoute McLain. "Quand on examine l'histoire des sciences, on voit que les premiers naturalistes ont étudié les plantes et les animaux dans le but de mieux comprendre le plan de Dieu et rendre hommage à la Création. Aujourd'hui, il existe toujours des ponts entre la spéculation métaphysique et la recherche scientifique."

Il est facile d'oublier que, il y a quelques siècles, le cerveau n'était pas considéré sous le prisme de la métaphore informatique. Il n'était pas décrit comme un organe composé de centaines de millions de cellulaires nerveuses excitées par des signaux électriques, mais comme une sorte de raffinerie psychique contrôlée par l'âme, pompant des fluides alchimiques à travers le corps.

En 1597, en référence aux pratiques médicales initiées par le médecin grec Galen de Pergame, le médecin français Jean Fernel a déclaré que le corps était imprégné de trois "esprits" : des "esprits naturels" qui se forment dans le foie avant d'être transformés en "esprits vitaux" grâce au cœur, puis d'être convertis en "esprits animaux" dans le cerveau par l'intermédiaire de faisceaux de cellules nerveuses connues sous le nom de plexus choroïdes – que nous estimons aujourd'hui être à l'origine du liquide cérébrospinal.

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Ces esprits animaux étaient ensuite réinjectés dans le corps sous l'impulsion de l'âme, afin qu'ils prennent le rôle de ses "serviteurs et porteurs", transmettant ses ordres aux organes inférieurs. Il s'agissait là d'un modèle assez fascinant de la relation supposée de l'âme à la chair qui, entre autres choses, correspondait bien à la relation entre un monarque et son peuple promue par l'Église : le roi est ordonné par Dieu, puis il juge et contrôle les éléments de la société. Comme d'autres penseurs de son temps, Fernel était conscient des conséquences que la spéculation scientifique pouvait avoir sur l'ordre social.

L'idée qu'il existe une multitude de fluides ordonnant les fonctions du corps sous la direction de l'âme est restée populaire jusqu'au 18e siècle. Le philosophe René Descartes a alors écrit une théorie extrêmement controversée sur la façon dont l'âme déterminait la distribution de ces esprits animaux. Selon lui, elle utilisait un organe très spécial comme intermédiaire : la glande pinéale, ce petit truc en forme de pomme de pin situé au milieu du cerveau.

Dans une lettre de 1640, Descartes a justifié cette hypothèse extravagante comme suit : "Je ne puis trouver aucune partie du cerveau, à l'exception de cette glande, qui ne soit double. Nous voyons avec deux yeux, nous entendons avec deux oreilles, et pourtant nous n'avons jamais qu'une seule pensée à la fois. Il est nécessaire que les impressions qui entrent par les deux yeux ou par les deux oreilles, et ainsi de suite, s'unissent dans une unique partie du corps avant d'être considérées par l'âme."

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La glande pinéale était nécessairement le siège de l'âme, selon lui, en vertu de sa place centrale dans le cerveau – suspendue dans des fluides cérébraux tourbillonnants "comme un ballon captif au-dessus d'un feu". Pour Descartes, elle constituait à la fois le destinataire des impressions sensorielles et la force motrice de l'action corporelle. Il estimait donc que la circulation des esprits animaux à travers les canaux nerveux des sens traçait des motifs à la surface de la glande, donnant lieu à l'expérience de la chaleur, de la douleur, etc. L'âme pouvait ainsi déplacer la glande pinéale à l'envi pour influer sur ces flux, comme un esprit pilotant un gouvernail.

La théorie de Descartes a été largement diffusée, mais a rencontré un accueil critique impitoyable dans les milieux savants. On lui a répliqué que le cerveau des chiens, chats et autres animaux comportait lui aussi une glande pinéale – cette dernière ne pouvait donc pas constituer, par définition, le vaisseau privilégié de l'âme humaine. En 1713, l'anatomiste italien Giovanni Maria Lancisi a suggéré une hypothèse alternative dans son Dissertatio Physiognomica : l'âme devait se trouver quelque part dans le corps calleux, un gros plateau de fibres de matière blanche qui relie les hémisphères du cerveau.

Les esprits, explique-t-il, coulent le long de ces fibres vers l'avant et l'arrière du cerveau, unissant l'âme et la conscience au reste du corps. Cette théorie a finalement été réfutée quand on a pu démontrer que le corps calleux pouvait être sectionné sans priver pour autant le patient de sa conscience.

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Comme le racontent Marco Catani et Stefano Sandrone dans leur ouvrage Brain Renaissance, à la fin du 18e siècle les savants commençaient à abandonner l'idée d'une localisation de l'âme ou du siège de la conscience. On commençait à soulever l'idée que l'esprit puisse être le produit d'un réseau distribué, et que ses facultés soient gérées par différentes parties du cerveau travaillant en association.

Comment expliquer qu'une conscience qui nous parait unique est singulière puisse émerger de différents processus, réglés par différentes parties du cerveau ? Cette question reste l'objet de débats épineux. Même si nous avons abandonné l'idée d'un ensemble de "coordonnées corporelles" déterminant une "essence humaine immatérielle", certains neuroscientifiques soutiennent qu'un organe particulier du cerveau pourrait bien servir de carrefour au flux d'informations, unifiant les mécanismes qui donnent naissance à la pensée consciente.

"Tenter d'observer la conscience revient à observer le vent."

Selon le neuroscientifique Joseph Bogen, mort en 2005, le thalamus, la structure en deux parties située sur la ligne médiane du cerveau, pourrait bien héberger les neurones du "carrefour" en question. Dans un article extrêmement spéculatif publié en 1995, Bogen note que la formation de menues lésions dans les noyaux intralaminaires du thalamus provoquaient typiquement un coma. En revanche, il était tout à fait possible d'endommager ou de retirer des parties d'autres organes cérébraux, tels que le cortex cérébral, sans pour autant que le patient perde connaissance.

Bogen a pensé que les noyaux intraluminaires pouvaient contrôler l'inhibition ou les mouvements moteur – qui ont leur siège ailleurs dans le cerveau – via le striatum. C'est-à-dire qu'ils joueraient un rôle dans la considération d'une action avant que celle-ci ne soit exécutée. Il a cependant été incapable de montrer et prouver que cette hypothèse était digne d'intérêt. "Tenter d'observer la conscience revient à observer le vent", écrit-il. "On ne peut en voir que les effets."

Une autre étude publiée en 2014 par Mohamad Koubeissi de l'Université George Washington suggère que le claustrum, une mince couche de neurones attachés sur la face inférieure du néocortex, pourrait aider à combiner les processus qui permettent l'expérience consciente.

Même si les technologies d'imagerie médicale ont progressé à pas de géant au cours des dernières décennies, le cerveau demeure un organe d'une complexité déconcertante, qui reste très mal compris. Selon des chercheurs de l'école de médecine de l'Université de Stanford, les centaines de milliards de connexions synaptiques qui lui permettent de fonctionner sont plus nombreuses que les étoiles de notre galaxie. Démêler les origines de la pensée consciente peut sembler être un projet complètement fou, mais il ne faut pas pour autant décourager les futures générations d'érudits : ils seront en charge de déceler les erreurs de leurs prédécesseurs dans l'espoir de découvrir, enfin, les fonctions neurologiques qui permettent à la conscience de soi d'émerger.