Pasteis de nata

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Food

Pourquoi les pasteis de nata défoncent tous les autres desserts

Je suis parti à la recherche du secret le mieux gardé de la communauté portugaise de Paris : les petits gâteaux à la crème de la Pastelaria Belém.

Commençons par une mise au point. On dit « un pastel de nata » au singulier et « des pastéis de nata » au pluriel. Si on vous entendez parler des « pastéis de Belém », il s’agit des pastéis de nata qui viennent de la Fábrica dos pastéis à Belém, la ville d’origine de la plus célèbre des pâtisseries portugaise. Mais pour faire simple, retenez ceci : un pastel, c’est un gâteau à la crème qui vient du Portugal. Si je vous dis ça, c’est parce qu’ici, on a tendance à s’emmêler un peu les pinceaux avec la prononciation et la composition de ces gâteaux.

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Tout le monde s’est déjà laissé tenté par ce pêché mignon au moins une fois, mais personne ne semble vraiment savoir d’où ils viennent ni comment ils sont faits. Pendant longtemps, pour la plupart des gens, le Portugal n’était que cette destination de vacances plus ou moins exotique (« juste là, sous l’Espagne »). Mais tout ça, c’est du passé : le Portugal est finalement devenu un pays à la mode – en même temps que ses pâtisseries.

Mieux encore, plus un mois ne passe sans que nos feeds Facebook ne se remplissent de photos de Lisbonne très originalement légendées « Lisboa, mon amour ». Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont tout cela a commencé, mais par intuition, je dirai que tout ce succès est dû à au moins une chose : la bouffe portugaise. Qui est une véritable tuerie. Elle est un peu rustique, c’est vrai, mais elle se démarque par une certaine richesse, une diversité de plats qui se déclinent eux-mêmes en de nombreuses variantes qui ont toutes cette capacité à laisser le mangeur dans un état de satisfaction béat qui n’a d’égal que sa satiété.

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Au comptoir de la Pastelaria Belem, à Paris. Toutes les photos sont de l’auteur.

Pourtant, parmi tous les délices de la cuisine portugaise (ces préparations de morue à se damner, ces soupes par dizaines et ces desserts extraordinaires), c’est une petite pâtisserie ne payant pas vraiment de mine qui attire l’attention du monde entier. De la Chine aux États-Unis et du Japon au Royaume-Uni, tout le monde parle des pastéis de nata comme d’un cadeau des dieux. Du moins tout ce que le monde compte de foodies ayant assez de tune et de temps à perdre pour délirer sur les nouvelles tendances culinaires. Si bien que le prestigieux journal britannique The Guardian a classé le pastel au 15e rang des meilleurs mets du monde. C’est pour ça que – bien qu’ayant encore un peu de mal à contrôler le rapport addictif et fusionnel que j’entretiens avec la tarte au citron meringuée – j’ai décidé de partir à la rencontre de ceux qui font le pastel de nata. Le but de ma mission ? Comprendre ce qui fait que ces petits machins ronds fracassent tous les autres desserts dans le cœur des gourmands.

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Et quand on dit pasteis de nata dans un rayon de moins de 100 kilomètres de Paris, tout le monde vous redirige vers la bien nommée Pastelaria Belém, rue Boursault dans le 17e arrondissement. Après un coup de fil, je m’y pointe un beau matin d’octobre. En entrant, tout le monde semble m’attendre. Surtout Otilia, la vendeuse qui, debout derrière le bar, me regarde avec un sourire énigmatique : « Ah, c’est vous le journaliste ? Vous devez avoir les oreilles qui chauffent, on parlait de vous, me lâche-t-elle tandis que son air devient enjoué. Carlos vous attend derrière. »

La légende des jaunes d’œufs

Je n’ai pas encore eu le temps d’observer la salle que je me retrouve dans le domaine sucré dudit Carlos. Costaud, souriant et respirant la gentillesse, il pâtisse depuis trente-cinq ans – dont sept ici. Chaque matin, il débarque à cinq heures pour produire jusqu’à cinq cents pasteis de nata par jour.

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Natalia et Carlos.

La production peut paraître titanesque mais c’est presque trop peu : la pâtisserie vend l’intégralité de son stock tous les jours. Franchement, ça ne m’étonne même tant ceux que j’ai goûté défonçaient tout. Je m’avancerais même à dire qu’ils sont meilleurs que ceux de la Fábrica dos pastéis de Belém, chez les inventeurs du gâteau : « Non, mais ils en ont certainement de très bons. C’est juste que les nôtres aussi sont excellents », me souffle-t-on à l’oreille.

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Ce lieu que j’ai déjà évoqué par deux fois n’est autre que le berceau du pastel de nata. Aujourd’hui devenu une boutique privée, il s’agissait autrefois d’un commerce mis en place par des moniales du monastère des Hiéronymites dans le quartier de Belém, à Lisbonne. « Un jour, elles se sont demandé pourquoi les jaunes des œufs dont le blanc servait à faire les hosties partaient à la poubelle. Elles ont donc inventé ce dessert et ont décidé de le vendre pour faire rentrer un peu d’argent, me raconte Natalia, la patronne des lieux. Mais aujourd’hui, il y en a partout bien sûr ».

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Le sirop de sucre maison.

En riant, elle me confesse aussi qu’elle aurait bien voulu s’associer avec cette boutique historique mais qu’ils sont un peu durs en affaires. Et d’ajouter : « Ils ne veulent même pas exporter ! À cause de la situation économique du Portugal, le gouvernement le leur a proposé mais ils ont refusé. Ils ne veulent vendre qu’à Lisbonne et que ça reste comme ça. » Bref, ceux qui sont en quête du pastel originel n’auront pas d’autre choix qu’un billet d’avion aller-retour pour Lisbonne et pas mal de temps à tuer dans la queue.

Simplicité et secret ancestral

Et si le succès de cette boutique est tel, c’est que leur recette contiendrait un ingrédient secret et jalousement gardé. « Tout le monde, tous les cuisiniers ont plein de secrets », s’amuse Carlos. « Ici, il n’y a pas d’ingrédients secrets, tranche Natalia, le secret, c’est Carlos, il a des mains d’or. Mais ne l’écrivez pas sinon il va me demander encore plus d’argent ».

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D’ailleurs, le pâtissier est en pleine action. Après avoir rempli les petits moules d’une pâte feuilletée simplement faite de farine, de margarine et d’eau, il s’attaque à la confection de la crème. Et là encore, la recette étonne par sa simplicité : du lait, de la farine, de l’amidon de maïs, des œufs et du sirop de sucre. À noter que même ce dernier est fait maison, dans une grande casserole où frémit une eau pleine de citron, de bâtons de cannelle et de sucre. On remplit, on laisse reposer un peu au froid et on passe ça un quart d’heure au four. L’étape suivante ? Ce sont vos petits gémissements de plaisir quand la pâte craque et que la crème vous fond sur la langue.

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« Je ne sais pas ce qu’il a ce gâteau. On en parle tout le temps maintenant, on me ramène des livres qui en parlent de partout dans le monde. On a même eu un journaliste japonais qui est venu manger ici tous les jours pendant un mois et qui nous a ensuite envoyé son papier sur nous », décrit Natalia, l’air presque étonné par ce succès (celui de la boutique qu’elle dirige depuis 18 ans comme celui du petit gâteau emblématique).

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Oui, vous avez compris, le titre de cet article était un peu mensonger, je n’ai pas trouvé le secret des pastéis de nata. Même si ceux qui les fabriquent tentent des théories : « C’est peut-être tout simplement ce mélange du citron, de la cannelle et de la pâte feuilletée. Surtout son croustillant. Je le vois quand les gens en mangent, ils ont un petit air ravi quand ça craque », lâche Natalia. Pour Carlos, c’est plutôt la simplicité de la recette qui fait son succès : « Et puis, tout est naturel là-dedans, c’est pour ça qu’on peut en manger à n’importe quelle heure de la journée. Ça ne fait même pas grossir », lance-t-il avec cet air taquin dont il semble ne jamais se départir.

Je vous invite quand même à relire la recette avant d’analyser l’affirmation de Carlos.

La vérité est ailleurs

Quant au secret des pasteis de nata de la Pastelaria Belém, il est peut-être aussi à chercher en salle. Dans un coin de cette pièce simple et en partie recouverte de faïence blanche et bleue, trois hommes que nous qualifierons de jeunes-cadres-dynamiques-réfléchissant-à-la-création-du-nouveau-uber-de-quelque-chose discutent avec passion.

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De l’autre côté, Françoise, professeure d’allemand de 62 ans, attend une amie : « Je n’habite pas vraiment le quartier, et mon amie non plus, j’ai découvert l’endroit en me promenant. En fait, je n’ai jamais mis les pieds au Portugal mais j’aime l’idée que ce soit fréquenté par des Portugais », se réjouit-elle comme si elle parlait de Mario, qui prend son petit-déjeuner quelques tables plus loin. « J’ai grandi dans le quartier, toute ma famille vient ici. C’est comme de prendre le petit-déjeuner au Portugal, c’est vraiment le salon de thé comme on en trouve beaucoup là-bas », me confie cet homme de 35 ans d’origine portugaise. C’est sûrement pour cela que, malgré les conseils de Carlos, lui déjeune de pain grillé, pas de pastéis de nata.

« En fait, on a trois types de clients principaux, conclut Natalia. D’abord, il y a ceux qui viennent pour le goûter ou pour le petit-déjeuner, ça concerne beaucoup d’habitués. Ensuite, on a pas mal de Portugais qui viennent pour Pâques, Noël, les anniversaires, etc. Et enfin, on a beaucoup d’Italiens. C’est peut-être à cause du café, et puis le côté méditerranéen, ils doivent se sentir comme chez eux ici. »

Il faut bien admettre qu’avec un bon café et une sucrerie qui vous retourne le palais, on se sent partout chez soi. Voilà, je n’ai pas le secret des pastéis, mais je viens de vous lâcher celui du sens de la vie. Pas si mal.

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