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Total Recall : des chercheurs ont transféré la mémoire d’un escargot à un autre

Selon des neuroscientifiques de UCLA, il est possible de transférer des souvenirs en manipulant l’ARN. S'ils sont reproduits, leurs résultats modifieront profondément notre conception de la mémoire.
Image : PedroPVZ

Ébouriffants. Invraisemblables. Impossibles. Choisissez le superlatif qui vous convient pour qualifier les résultats de l’étude parue le 14 mai dernier dans le journal en ligne eNeuro, dans laquelle des chercheurs de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) affirment avoir transféré les souvenirs d’un escargot de mer à un autre, explosant au passage nos fragiles présupposés sur la nature et le fonctionnement de la mémoire.

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On voit d’ici chauffer les pistons de votre imagination : si, en 2018, l’être humain a mis au point une technique rudimentaire de transfert de souvenirs, quid de l’avenir distant ? Les milliardaires pourront-ils bientôt se payer l’immortalité en transformant des plébéiens en pleine santé en simples vaisseaux pour leur esprit ? Les plus nerds d’entre nous pourront-ils stocker leurs souvenirs dans des disques durs biologiques de backup, ou même transférer leur mémoire sur un support informatique ? Sérieusement, les escargots de mer ont une mémoire ? Ces résultats soulèvent des questions profondes et légitimes. Malheureusement, nous n'avons pas encore le niveau technologique pour y répondre. Alors calmons-nous et concentrons-nous sur ce que nous dit cette étude.

Question principale : comment diable est-il possible de transférer des souvenirs d’un animal à un autre ? Voilà comment a procédé l’équipe menée par le professeur David Glanzman. Premièrement, les chercheurs ont « entraîné » une population d’escargots de mer en leur faisant subir des chocs électriques pour déclencher un geste réflexe, la rétractation de la queue. À la première électrocution, la contraction durait environ une seconde. Après une dizaine de stimulations réparties sur deux jours (oui, bon, c’est pour la science), ce délai s'était allongé pour atteindre 50 secondes. En d’autres termes, les escargots avaient été conditionnés à se défendre, même quand ils recevaient un choc « léger ».

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Ensuite, les chercheurs ont prélevé de l’acide ribonucléique (ARN) dans le système nerveux des individus « entraînés » et l'ont injecté à des escargots non conditionnés. 24 heures plus tard, ces escargots — qui n’avaient jamais reçu de choc électrique — contractaient leur queue pendant près de 30 secondes après une électrocution. Comme s’ils avaient « appris » le réflexe. Mieux : lorsque les chercheurs ont mis cet ARN en présence de neurones sensoriels d’escargots lambda, ceux-ci ont réagi comme s'ils venaient de subir un choc électrique. Dans les deux cas, aucun changement de comportement n’a été constaté en réalisant ces opérations entre deux groupes d’escargots lambda.

Pour Glanzman, pas de doute, « c’est comme si nous avions transféré des souvenirs. » Interrogé par STAT, il semble néanmoins anticiper la controverse autour de ses travaux : « Je m’attends à beaucoup de stupéfaction et de scepticisme. Je ne pense pas que les gens organiseront une fête en mon honneur à la prochaine réunion de la Société des Neurosciences », prophétise-t-il.

À la recherche de l’engramme

Le chercheur a probablement raison. Au-delà des perspectives futuristes que ses résultats ouvrent, et qui n’ont pas d’autre valeur immédiate que d’animer votre prochaine conférence-débat entre stoners de canapé, son expérience remet en cause une conception de la mémoire qui faisait jusqu’ici assez peu débat dans la communauté des chercheurs en neurosciences, selon laquelle les souvenirs sont stockés par augmentation de la force des connexions synaptiques entre les neurones. Or, à en croire les travaux de Glanzman, les synapses n’ont rien à voir là-dedans : le stockage s’effectuerait dans le noyau du neurone, là où est synthétisé l’ARN — la molécule qui gère la synthèse des protéines à partir des informations fournies par l’ADN. L’ARN indique à l’ADN quels gènes activer et désactiver, et ce serait ces modifications dites « épigénétiques » — des changements dans les gènes eux-mêmes — qui détiendraient la clé du stockage de la mémoire. Une théorie qui a de quoi faire bondir pas mal de spécialistes.

En 2014, une étude pionnière identifiait le rôle de l’épigénétique dans l’hérédité, indiquant que certains traumatismes laissaient une empreinte biologique chez les êtres humains et que cette empreinte se retrouvait dans l’ADN des générations suivantes (mais pas de manière immuable). D’autre part, en 2015, une précédente équipe avait déjà montré que les souvenirs pouvaient être récupérés même en bloquant le renforcement des connexions synaptiques. Glanzman lui-même, en 2014, montrait dans une étude que le souvenir de chocs électriques chez des escargots (décidément), effacé par une procédure, pouvait ensuite être récupéré, alors même que les synapses s’étaient reformées selon d’autres motifs. Suffisant pour ébranler la doxa de la synapse ? Pas franchement, car les études qui soutiennent cette théorie sont légion. Glanzman, qui étudie la mémoire depuis trente ans, avoue même avoir été longtemps convaincu de la théorie des synapses avant de s’en détourner. En attendant, le visage de l’engramme, le substrat physique du souvenir, reste toujours insaisissable malgré les efforts des neuroscientifiques.

Les plus nerds d’entre nous pourront-ils stocker leurs souvenirs dans des disques durs biologiques de backup, ou même transférer leur mémoire sur un support informatique ?

Maintenant, il est l’heure de se pencher un peu sur les débouchés potentiels d’une telle technique, ne serait-ce que dans un avenir relativement proche (ce qui nous évitera d’avoir à parler d’Altered Carbon, de Westworld ou de Schwarzy). S’il est trop tôt pour parler d’une éventuelle transposition de l’outil de transfert vers homo sapiens (qui peut se targuer de posséder près de 100 milliards de neurones, contre 20 000 pour un escargot), David Glanzman, lui, ne voit pas où est le problème, et explique que l’ARN pourra bientôt réactiver les souvenirs perdus chez les malades d’Alzheimer. Pourquoi pas, mais la priorité est surtout que d’autres chercheurs parviennent à répliquer ces résultats, car la science a déjà connu un triste précédent dans la recherche de la mémoire.

Dans les années 60, un chercheur du nom de James McConnell avait « prouvé » l’existence d’une « ARN mémoire » et d’un transfert de souvenirs en donnant à manger des vers conditionnés à d’autres vers, qui montraient ensuite à leur tour des signes de conditionnement, ou en démontrant que la mémoire persistait chez des vers décapités, une fois que leur tête repoussait. La méthode rappelle celle de Glanzman. McConnell a fini par être la cible de moqueries, personne n’ayant été capable de répliquer ses résultats. Sauf que, précise STAT, la communauté rigole un peu moins depuis qu'un chercheur appelé Michael Levin a réussi à reproduire ses résultats avec un protocole solide en 2013.

À moins que deux études sur le même sujet, parvenant aux même conclusions, ne soient toutes les deux biaisées, il y a donc bien quelque chose à creuser du côté de l’ARN. Pourquoi, alors, tant de scepticisme ? Car chercher le repère de la mémoire, c’est chercher où se cache le soi, et il est peut-être difficile d’accepter de faire table rase de nos maigres certitudes concernant notre essence. D’accepter que, peut-être, le cerveau ne soit pas notre seul univers psychologique. Si Glanzman a raison, il ramènera McConnell sur le devant de la scène scientifique. S’il se trompe, il tombera dans la même fosse que lui : celle des oubliés. La mémoire est sans pitié.