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Culture

Quand Harmony Korine provoquait des gens dans la rue pour se faire tabasser

Retour sur « Fight Harm », le film le plus masochiste d'un réalisateur un poil instable.
Harmony Korine. Images tirées d'une vidéo YouTube d'origine inconnue. Certains prétendent qu'il s'agit d'un extrait de « Fight Arm »

Cet article est publié dans le cadre de la rétrospective sur Harmony Korine organisée au Centre Pompidou du 5 octobre au 6 novembre.

Vous connaissez la légende du dahu ? Non ? Eh bien, le site « Ça m'intéresse » – ambition esthétique mesurée, et 1 069 409 visites au compteur – s'est penché sur la question pour vous raconter cette légende sans fard ni paillettes, de la manière la plus directe possible :

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Selon les chanceux ayant aperçu le dahu, il se situerait à mi-chemin entre le bouquetin et le chamois. Le dahu est un animal imaginaire, aussi mystérieux que le Yéti. Il a la particularité d'avoir les pattes plus courtes d'un côté que de l'autre (celles de gauches plus courtes que celles de droite ou l'inverse). Le dahu vivant uniquement en haute montagne, il ne se déplace que sur de fortes pentes, donc aucun souci pour se déplacer, bien au contraire !

Cette légende serait racontée par les montagnards pour se jouer de la naïveté de leurs invités novices… Après un repas bien arrosé, ils proposent à leurs invités de chasser le dahu. Les montagnards partent à la chasse : il suffit de surprendre le dahu. Dans la précipitation, le dahu se retourne, se déséquilibre et dévale la pente. Le « novice » attend paisiblement en bas et n'a qu'à le ramasser lorsqu'il tombe en bas du versant. Après avoir attendu trop longtemps à son goût, ce dernier se retrouve à rentrer seul, dans le noir, dans un environnement qu'il connaît très mal…

En gros, le dahu a permis à une palanquée de ruraux de se moquer de ces béotiens de métropolitains, émoustillés à l'idée de caresser quelques culs bovins lors du Salon de l'agriculture. Plus que cela, le dahu, c'est l'Arlésienne du règne animal. Présent dans les discours, il n'a jamais daigné pointer le bout de son museau, comme s'il préférait laisser les querelleurs s'embourber, et la diagonale du vide se venger des hommes liquides.

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En bref, et c'est là où s'opére la transition délicate du récit, n'importe qui possède son propre dahu, ce discours que l'on aime bien répéter pour troubler son interlocuteur, sans jamais apporter une quelconque preuve de son existence.

Pour Harmony Korine – car c'est bien du réalisateur de Spring Breakers dont on parle ici –, le dahu, c'est un projet d'un genre particulier, « entre le snuff movie et Buster Keaton », selon ses dires. Fight Harm n'a jamais été diffusé en public. En fait, Fight Harm n'a jamais été finalisé, monté, édité. Après s'être fait casser la gueule à neuf reprises par des inconnus devant une caméra et avoir accumulé 17 minutes de rushes, Korine aurait préféré renoncer – après deux arrestations et plusieurs hospitalisations.

Du projet, il ne reste pas grand-chose : des on-dit, des légendes, et quelques déclarations d'Harmony Korine en personne. De l'équipe de tournage l'accompagnant au gré de ses pérégrinations urbaines – à Londres, New York et dans le Tennessee, autour de 1999 – et de ses embrouilles, on ne sait pas grand-chose non plus, hormis deux noms : David Blaine – oui, le magicien – et Leonardo DiCaprio – oui, celui auquel vous pensez. Il faut savoir qu'à cette époque, Korine, Blaine et DiCaprio se côtoient au sein du « Pussy Posse », un gang d'artistes branchés qui écument les soirées new-yorkaises, se tapent des filles à n'en plus finir et tournent dans des vidéos où leurs propos ne sont pas encore formatés. De cette débauche, il ne reste pas grand-chose non plus : quelques actions en justice pour empêcher la diffusion des séquences, et c'est tout.

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S'ils sont nombreux à préférer oublier un âge révolu, où blague misogyne n'était pas synonyme de lynchage numérique, Korine évoque avec joie ses journées passées avec David Blaine et ses équipes – en charge de l'image –, tandis que DiCaprio faisait du vélo dans les environs. Pendant ce temps, le réalisateur – échaudé par un mélange d'alcool et de Quaalude lui permettant d'être insensible à la douleur – provoquait des passants –« toujours plus costauds, et toujours les premiers à frapper, c'était la règle ».

De cette époque, donc, ne restent que quelques déclarations, et autant de légendes. Korine a-t-il vraiment eu les deux chevilles brisées par un videur en smoking lui ayant sauté dessus à pieds joints après que le réalisateur l'a provoqué, insulté, et éclaté un bout de trottoir sur le crâne ? C'est ce qu'il affirmait dans une interview insensée pour le New York Press datée de 1999, interview dans laquelle il évoque également sa volonté de réaliser un film sur sa passion pour les claquettes.

Résultat : Korine ne pourra jamais finaliser son projet vidéo de danseur de claquettes, et ce à cause de ses chevilles brisées et désormais douloureuses. Il devra également s'acquitter de nombreux frais d'hôpitaux, et finira par tout laisser tomber après avoir enregistré neuf cassettes de bagarres de rue – le tout alors que sa santé mentale se dégrade à vue d'œil. En effet, peu de temps après Fight Harm, Korine disparaîtra pendant des années, errant de Paris à l'Amérique du Sud, sans que personne ne sache vraiment ce qu'il faisait – même si beaucoup supposent que la surconsommation de drogues n'était jamais loin.

Désireux de s'embrouiller avec l'ensemble des « communautés » new-yorkaises – « les Italiens, les Portoricains, les Juifs (même s'ils n'aiment pas se battre et préfèrent t'insulter en yiddish), ainsi que les motardes gouines » – Korine n'atteindra jamais son but. Près de deux décennies plus tard, tout le petit monde propret de l'intelligentsia au fait de ses aventures s'émoustille encore à l'idée de découvrir cette œuvre. De nombreux médias avaient même annoncé qu'elle figurerait au programme du cycle Harmony Korine, actuellement organisé au Centre Pompidou. Problème : nulle trace de Fight Harm sur le site de l'auguste institution culturelle française, le réalisateur ayant sans doute tenu à ne pas diffuser une œuvre que sa femme, semble-t-il, n'apprécie guère.

Captivé par « la cruauté, élément consubstantiel à la comédie », Harmony Korine aura au moins évité de mourir éventré dans un sordide caniveau new-yorkais. Sans doute remis de son ultra-masochisme de l'époque, il n'en demeure pas moins ce petit mec de Nashville, un type qui s'est toujours bagarré pour se défendre des plus grands. « J'ai toujours aimé la douleur, racontait-il au Guardian en 1999. Je l'assimile à l'amour. Je crois qu'en définitive, la violence est nécessaire. C'est l'un des moyens qui m'a permis de ne pas me suicider, tant la rage m'habite. »

Romain est sur Twitter.