Le Tourist Trophy est la plus belle course de moto du monde

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La frousse aux trousses

Le Tourist Trophy est la plus belle course de moto du monde

Et aussi la plus dangereuse, puisqu'en 110 ans d'histoire, près de 250 motards ont perdu la vie sur les routes de cette compétition qui se tient chaque année sur l'île de Man.

A première vue, l'île de Man n'a rien d'un paradis pour amateurs de sensations fortes. Ce minuscule confetti de 571 km carrés perdu en pleine mer d'Irlande est plus connu pour ses avantages fiscaux et son Parlement – le plus vieux du monde – que pour sa culture de l'extrême. Un seul personnage, connu pour ses coups de sang et son explosivité, a tout de même contribué à faire parler de l'île de Man en ce sens : Mark Cavendish, le cycliste britannique vainqueur de 30 étapes sur les arrivées massives du Tour de France. Il s'est affirmé pendant plusieurs années comme le meilleur sprinter au monde, mais aussi comme un amateur de sensations fortes et l'une des plus belles têtes brûlées du peloton. Pas si étonnant quand on s'intéresse à l'histoire de ce rocher rattaché à la Grande-Bretagne, qui cultive une certaine passion pour la vitesse et l'adrénaline.

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L'île est un des seuls territoires européens où les routes ne sont régies par aucune limitation de vitesse, ce qui a eu le don d'exciter les premiers grands pilotes du début du XXème siècle. Bourgeois ou grands nobles, ces excentriques fortunés profitent à l'époque des innovations pour financer la construction d'engins farfelus et toujours plus rapides. En 1899, la Jamais Contente, une voiture électrique de 68 chevaux pilotée par un Belge, dépasse pour la première fois la barre des 100 km heure, une allure affolante pour l'époque. Cette surenchère inquiète les autorités britanniques. En 1903, le Parlement limite la vitesse sur les routes du Royaume à 20 miles à l'heure, soit 32 kilomètres heure. La fête est finie pour les aristos et les capitaines d'industries. Enfin pas tous, puisque certains réalisent que l'île de Man, qui a sa propre législation, les autorise toujours à rouler à la vitesse qui leur plaît. C'est ainsi qu'en 1911, le Tourist Trophy naît de la volonté de quelques gentlemen un peu barrés.

Plus d'un siècle plus tard, la course a conquis ses lettres de noblesse. Considérée par les pilotes comme la plus belle du monde avec Pikes Peak, elle offre des sensations exceptionnelles. Si aujourd'hui, il n'y a plus de courses de voitures, les motards ont pris le relais. Ils traversent les villages, avalent les bosses et frôlent les murs à 210 km/h de moyenne pour les meilleurs. Cette année, ils seront encore 300 à venir tâter les courbes des routes de l'île de Man. Répartis en quatre catégories suivant les cylindrages de leurs bécanes (Supersport, Superbike, Superstock et Lightweigth), sans compter les sidecars, les pilotes s'affrontent pendant deux semaines. La première est entièrement consacrée aux entraînements, la seconde à la compet', un contre-la-montre où les pilotes partent les uns derrière les autres toutes les 10 secondes.

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Fabrice Miguet, dit « Le Mig », est un des rares tricolores à s'aligner régulièrement sur la course, et participera à sa 17eme édition du TT, qui début ce samedi 27 mai. Français le plus rapide sur le circuit, il a bouclé les 360 kilomètres du parcours à 195 km/h de moyenne, loin des meilleurs, mais à une vitesse déjà hallucinante. Ce mécano basé dans l'Orne est tombé amoureux de cette course qui offre des sensations hors du commun : « Sur les parties bosselées à 250, la moto fait un léger louvoiement. Tu sais que ça va bouger quand tu te retrouves en wheeling à 260 sur les bosses. Là, tu n'es pas en transe mais presque. Pour maîtriser, il faut être à l'écoute de ta moto et adopter un pilotage style motocross. » Au guidon de sa bécane de 1000 cm3 , Le Mig se sent bien. Tout simplement. Une adrénaline qu'il n'a jamais connue ailleurs parcourt son corps : « Elle se transforme parfois en une sensation étrange, proche de l'euphorie. C'est très addictif. Quand tu passes la ligne d'arrivée, tu viens de passer 2 heures à 200 à l'heure, tu t'es fait plaisir et là, tu descends de ta moto. Tu remarches. Tu es tout lent, mais très heureux. Ça dure une heure, puis après tu te dis merde, c'est la fin. Tu sais qu'il va falloir attendre un an de plus pour éprouver à nouveau la même sensation.»

Avant de redescendre de moto, les pilotes doivent tout de même emprunter un parcours de 60 kilomètres qu'ils parcourent à six reprises. Les regroupements et les dépassements sont donc fréquents, et charrient leurs lots d'accidents, toujours spectaculaires à haute vitesse, et malheureusement, parfois, mortels. Depuis 1907, près de 250 motards ont perdu la vie lors de ces courses sur les routes de l'île de Man, ce qui en fait objectivement l'une des compétitions les plus dangereuses du monde. C'est la raison pour laquelle, en 1976, la Fédération internationale de motocyclisme (FIM) refuse d'affilier la course, qui est aujourd'hui organisée par une structure indépendante, ACU Events. Le Tourist Trophy a construit sa légende sur cette réputation de dangerosité liée à ses routes étroites et sinueuses, mais aussi à son folklore. Pendant des années, le temps d'un dimanche, les organisateurs ouvraient aux pilotes comme au public la route qui serpente dans les hauteurs de l'île, surnommée « La Montagne ». C'était le « Mad Sunday », qui porte bien son nom puisqu'il provoquait son lot d'accidents mortels. Aujourd'hui, « La Montagne » est ouverte pendant les 15 jours de course pour diluer le flux et limiter les risques d'accidents.

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Malgré ces crashs et les drames qui ont émaillé son histoire, le Tourist Trophy attire toujours autant, car pour les bikers engagés, le plaisir du pilotage surpasse largement le danger. Sans le faire oublier, assure Le Mig, qui refuse la réputation de « kamikazes » parfois prêtée aux pilotes du TT : « Dans toute situation, plus il y a de danger, plus tu dois réfléchir. Quand on dit qu'on est des fous inconscients, c'est faux. On doit tout le temps penser et mesure ce que l'on fait. » Comme lui, tous les autres pilotes assurent prendre une marge sur la vitesse maximale. La plupart sont d'ailleurs des bikers d'un certain âge, « et surtout d'une certaine expérience », complète Le Mig. Des briscards à la recherche de sensations plus fortes que celles qu'ils ont pu connaître sur circuit : « On est quand même à très haute vitesse, à 320/330 sur les grosses lignes droites, le plus souvent entre 250 et 270, puis on passe à ras des murs, on fait des sauts à 250, on doit assurer du pilotage fin à cette vitesse. Sur circuit, ils peuvent "débrancher" l'espace d'un moment, ils risquent de se casser un membre et puis voilà. Mais nous…»

Sur ces routes de campagne, l'enjeu est bien plus grand. Les bikers jouent leur vie. La plupart a d'ailleurs dans son entourage un collègue de paddock subitement disparu un jour. En 2015, un pilote français est d'ailleurs mort sur les routes de l'île de Man. Tous connaissent les dangers de cette course, et du pilotage en général : ce qu'on appelle dans le milieu « se transformer ». Cette transformation, tous les pilotes la cherchent autant qu'ils la craignent. Si elle est maîtrisée, elle peut être transcendante et leur permettre de réaliser des parcours de haute volée. Si elle est dévorante, elle peut les mener au-delà du danger raisonnable, du risque calculé. Cet équilibre si précaire et ténu se trouve avec l'expérience, s'ajuste années après années. Pour sa part, Le Mig l'a maintenant bien trouvé : « J'ai trouvé mes limites de pilote. Depuis 10 ans j'ai à peu près les mêmes temps, sauf évolution mécanique ou changement du parcours. Quand je monte sur la moto, je suis zen. S'il y a un pilote juste devant moi, bien sûr que j'essaye de le rattraper, j'accélère un peu, mais je sais m'arrêter. Et puis avec l'expérience, j'écoute mon intuition. J'y vais pas si je le sens pas, ça m'est arrivé une année : au départ, je me suis dit "Mig, t'y vas pas". »

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Le documentaire Closer to the edge offre un bel aperçu de l'esprit de cette course unique au monde :

Guy Martin incarne bien l'esprit des bikers de l'île de Man, désintéressés par la performance pure et entièrement tournés vers la recherche de la sensation. Ses quinze podiums en ont fait une référence, mais il s'en carre. Pas par posture, mais parce que ça ne l'intéresse pas. Vraiment. Accro au thé – il affirme en boire une vingtaine de tasses par jour – il est devenu une star au Royaume-Uni, où il apparaît régulièrement dans des émissions après avoir fait l'objet d'un documentaire tourné pour le centenaire de la compétition.

Aujourd'hui, il pourrait vivre exclusivement de sa notoriété, mais préfère conserver son emploi dans un garage où il retape des camions. Il est détenteur de plusieurs records du monde de vitesse, tous plus barrés les uns que les autres. Il a notamment marqué l'histoire en atteignant les 137 km/h dans une caisse à savon. Entre deux loufoqueries, il écrit aussi des bouquins. Bref, Guy Martin est un mec assez rare, qui se définit lui-même comme « pas cool » : « Quand j'observe les coureurs de Moto GP avec leurs lunettes de soleil en train d'écouter du son sur la grille de départ, je n'ai rien contre eux, mais ce n'est pas du tout ma came. Moi c'est juste : "c'est parti pour un tour !" », confiait-il ainsi au Guardian en 2014.

Guy Martin pose avec Valentino Rossi, venu faire un tour de circuit lors du TT 2009. Photo Flickr via Dainese1972

Cheveux longs et rouflaquettes travaillées, Guy Martin défend et assume le rapport au danger que cultivent les pilotes avec fierté : « Dans notre monde, tout a tellement été aseptisé, sacrifié sur l'autel du sain et de la sécurité. Il n'y a plus aucun endroit dans nos sociétés où tu risques vraiment de te tuer. Or, moi j'aime avoir ma propre destinée entre mes mains. Quand tu pilotes, tu fais une seule petite erreur, et ça y est, c'est fini, tu es mort. J'aime ça. Passer si proche, mais se savoir si loin.»

Un état d'esprit à part entière, que ne rejette pas Fabrice Miguet, lui aussi très attaché à cette ambiance particulière. Le Mig s'inquiète de voir que le TT lui-même commence à devenir un événement de spectacle sportif comme un autre, où l'argent et le culte de la performance s'instillent peu à peu. Il se rassure tout de même en se raccrochant à l'atmosphère qui règne pendant la course, deux semaines durant : « Là-bas, les gens sont plus rock'n'roll. Dans les paddocks tu entends du metal, l'univers est beaucoup moins aseptisé qu'en Moto GP. Les pilotes, à la fin de la course, ils rentrent pas direct dans leur mobile-home, ils vont boire un verre à la buvette. »

Cette année encore, Le Mig côtoiera au bar comme sur la route les stars de la discipline. Un seul regret, John Mc Guiness, vainqueur du TT à 23 reprises, ne sera pas là suite à une sortie de route lors d'une course en Irlande du Nord. Et c'est bien dommage, car, comme le dit Le Mig en souriant, « John Mc Guiness est un dieu du pilotage, mais il se défend aussi à la buvette. »