Ces amateurs de muscu qui organisent un trafic de produits dopants
Illustration Lucile Lissandre

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Gros muscles

Ces amateurs de muscu qui organisent un trafic de produits dopants

On a rencontré des vendeurs et des consommateurs de testostérone, de stéroïdes, et d'autres substances, pour en savoir un petit peu plus sur ce business illicite.

Dans cette petite salle de musculation d'Île-de-France, les sportifs ne font plus attention au décor défraîchi. Ils ne remarquent plus les murs d'un vert suranné et les posters jaunis d'anciens héros bodybuildés. L'atmosphère y est chaude, moite et légèrement âcre. Depuis longtemps, le détergent ne parvient plus à faire disparaître l'odeur de sueur qui s'est incrustée partout. De toute façon, les habitués ne s'intéressent qu'à leur propre corps. Le reste importe peu. Entre les machines et les haltères, ça discute exercices pour faire grossir les muscles. Plus discrètement, au fond de la pièce, le débat porte sur un autre sujet qui augmente également les performances : les produits dopants. Même s'ils risquent 1 an de prison et 3 750 euros d'amende – car se doper est illégal même chez les amateurs – nombreux sont ceux qui sautent le pas.

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Ici, le revendeur n'a plus touché une barre de musculation depuis longtemps. Mais dans sa propre salle dans le sud de la France, Laurent arbore un physique digne d'une statue grecque. Lui, préfère parler de « molécules pharmaceutiques. » Officiellement, Laurent est prof de sport. Officieusement, il se considère comme un « dopeur pro » : « Je fais ce qu'on appelle des protocoles de dopage pour des sportifs de haut niveau que l'on peut voir à la télé ». Il propose ses services également aux amateurs car « le dopage est dangereux mais quand il est fait avec l'aide de connaisseurs, ça limite les risques au maximum ». Alors cet ancien utilisateur de 44 ans questionne les amateurs qui viennent dans sa salle car il sait que certains veulent s'en procurer : « Beaucoup de jeunes qui démarrent sont vite à la recherche de produits. Je dirais qu'ils sont dans une génération chimique. Il y a des molécules pour rajeunir dans les crèmes de soin, pour faire briller les cheveux dans les shampoings, pour la mémoire avant un examen, pour la libido. On vit dans une ère moléculaire, tout le monde en veut. »

Maxime, 35 ans, fait de la musculation pour se sentir bien : « Quand tu remplis ta chemise, tu es tout de suite plus attirant, au niveau des filles bien sûr mais aussi au travail et auprès de tes amis. Tu te sens serein, sûr de toi, tu rayonnes. » Mais après une période de stagnation, il se trouve devant un dilemme : laisser tomber ou trouver un moyen de passer le cap. En traînant sur Internet, il découvre que la pharmacologie serait une solution. « Je ne savais même pas que les dopants étaient accessibles aux amateurs. Je pensais vraiment qu'il n'y avait que les pros qui les utilisaient. Je ne connaissais rien à rien. Et comme quand on ne connaît pas un milieu on en a peur, alors j'ai dévoré tous les sites d'informations sur le sujet ». Au fil des recherches, il se rend compte que l'on peut les utiliser avec précaution. Il découvre aussi que des sportifs de sa salle en utilisent : « Dans ce milieu, on parle entre connaisseurs et c'est à partir de ce moment qu'on a échangé des infos et des sources de produits fiables ». Rassuré, il fait ce qu'il appelle le grand virage.

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Arnaud Sylvain a choisi un blog, testo-steroids.com, pour informer des dangers du dopage. Il donne aussi des infos sur le moyen de faire une cure propre. Ancien sportif de haut niveau, il a été initié aux molécules par son équipe d'entraîneurs. Conscient des risques à essayer seul, il insiste : « Les répercussions sur l'organisme peuvent être vraiment sérieuses et l'accès au produit est de plus en plus simple ». Comme pour les revendeurs qui traînent à la salle de sport, Internet est l'endroit où les sportifs se ravitaillent. Christian - son « prénom du jour » comme il dit - est gérant du site français top-steroid-online.com créé il y a 5 ans depuis la Thaïlande où il vit depuis 10 ans. Sur cette plateforme, on trouve tout ce qu'il faut pour sculpter son corps à base de produits, des stéroïdes anabolisants comme la testostérone, mais aussi des hormones de croissance, à qui veut développer sa musculature plus vite que la nature ne le permet. Il y a aussi les produits pour maigrir et même certains médicaments initialement prévus pour les chevaux. S'il n'a jamais été attiré par les haltères, il s'est pris de passion pour le business de la dope qu'il voit comme un « secteur de niche avec un fort potentiel de développement, surtout dans les pays émergents ». Dans sa clientèle, 6% de sportifs pro, 34% d'amateurs et surtout 60 % de newbies. « C'est très important de donner de l'info à ses débutants, qui, quoi qu'il arrive, utiliseront un produit. Quand un jeune nous contacte en disant "j'ai acheté ça à un mec et là ça va pas", on est apeuré ! Une cure encadrée ne représente aucun risque. Pour chaque utilisateur, le produit a sa posologie et ses protections à utiliser. »

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C'est pour éviter des désastres que Christian s'est entouré d'une équipe d'anciens sportifs professionnels, également utilisateurs, « plus calés sur le sujet que n'importe quel médecin » pour conseiller ses clients via un tchat en direct sur son site ou par mail. « On a même une équipe de nuit pour répondre à nos clients français à cause du décalage horaire », poursuit Christian. Informer au plus près de la principale source d'achat est le meilleur moyen de limiter les risques. Car grâce à ce grand marché virtuel, les produits, de celui qui ne vaut rien au plus dangereux, se monnaient facilement derrière son écran.

Tapez « achat stéroïdes » dans un moteur de recherche et des milliers de résultats apparaissent. Mais charlatans et vrais vendeurs se disputent ce marché illégal. Pour ouvrir un site sans se faire griller, les créateurs usent de parades et d'astuces virtuelles. Prenons le site 120kg.in. Comme le .IN l'indique, son nom de domaine envoie en Inde. Mais son adresse IP indique que son serveur est en Malaisie. Et d'après la fiche de renseignements du site, le propriétaire est Robert Summerly, dont l'adresse renvoie à la très chic rue de la Paix parisienne. Pour le paiement via Western Union, un certain Ali Sener est désigné comme le destinataire. Depuis la Turquie, il réceptionne les paiements de ce site mais aussi ceux de musclesfax.in et de valkyrie-online.net, copie non intégralement traduite du site du laboratoire chinois valkyrie-pharmatical.com.

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Un vrai imbroglio qui compliquerait les poursuites judiciaires pour les clients comme pour les autorités. Christian connait bien toutes les astuces : « On joue au chat et à la souris. On utilise des serveurs à l'étranger et des noms de domaines dans des paradis fiscaux. Ça nous rend intraçables ». Sur un forum d'initiés, le gérant du site Francegear – maintenant hors service – explique d'autres ruses : « Pour le téléphone, nous utilisons le système VOIP (Voix par adresse IP). Une centrale d'appels indienne redirige les appels sur un portable sécurisé. Ça explique la messagerie vocale en anglais. » Concernant l'adresse postale marseillaise qui était présente sur le site, il commente : «Personne ne prête attention à l'adresse postale. Nous avons une autre société étrangère domiciliée à l'adresse indiquée mais j'imagine que personne ne va m'envoyer une lettre d'amour là-bas ».

Sécuriser son site pour éviter les autorités et garantir un service fiable n'est pas donné à tout le monde et seuls les meilleurs à ce petit jeu résistent à l'épreuve du temps. « C'est très complexe de tout verrouiller pour être sûr que le site ne soit pas fermé et surtout bien protégé. Au dernier recensement qu'on avait fait, il y en avait plus de 7000 mais 80 % des sites ont fermé l'an dernier. Seules les vraies organisations tiennent et on est moins d'une dizaine », poursuit Christian. Quand il parle d'une vraie organisation, il fait référence à une structure semblable à une entreprise : « On gère ce site comme une société légale. On est une équipe de 26 personnes de toutes nationalités. On est divisé en pôles : commerce, clientèle, conseil, internet, achat, logistique. Et on innove, on a été les premiers à proposer le tchat en direct et un staff d'experts pour les conseils ». Un gage de sérieux pour conforter le client. Sur son blog, Arnaud donne des conseils pour éviter les arnaques. Avec les services clients, le nombre de visites et les commentaires sont des indices de bonne réputation. Il ajoute : « Un site qui prouve l'envoi mais surtout la réception des colis comme certains sont des preuves de sérieux ». Car le transport est en effet l'un des points de vulnérabilité de ce trafic.

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Après un petit tchat avec un conseiller, le panier d'achats plein de promesses et le paiement fait par agence de transfert d'argent comme MoneyGram ou Western Union, les molécules vont devoir réellement traverser le globe car aucun labo ne se trouve en France. Pour entrer dans l'Hexagone, les colis postaux passent obligatoirement par la douane. Un risque de se voir confisquer sa marchandise pour l'acheteur, comme le rappelle Laurent : « Si le paquet est ouvert, c'est le douanier qui vient vous livrer et vous mettre une amende. » Mais cela peut aller plus loin s'il s'agit d'un revendeur. Toujours sur le forum, l'ancien de FranceGear raconte que son collaborateur Sergio s'est fait arrêter par les douanes en décembre 2014 après des envois postaux. Il a purgé 8 semaines de détention provisoire en attendant son procès où il risquait jusqu'à 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende.

Pour contourner la Poste, des moyens sont possibles : les transporteurs privés. Laurent explique : « Les sociétés comme PLS, JLS, EMS, passent la frontière les yeux fermés avec des tonnes de marchandises partout en Europe. Les produits passent les douanes ni vus ni connus ». Maxime a été surpris par le premier colis qu'il a reçu : « Vous recevez un colis de stéroïdes – qui a un numéro de suivi – mais il ressemble à un paquet lambda au premier regard. Les sites modernes ont des systèmes de camouflages de folie. C'est très impressionnant. » Conscient que le transport est l'un des maillons faibles du trafic, Christian a recruté un expert pour atteindre un taux de passage allant jusqu'à 95% : « On a très peu de saisies car notre employé dédié au transport s'assure que le moyen utilisé est le moins risqué. Pour le simple consommateur, le colis sera juste saisi. De notre côté, on est couvert. Rien ne nous relie au colis une fois qu'il est parti. »

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Une fois le paquet arrivé et déballé comme un cadeau de Noël, certains vérifient la qualité du produit avant de l'injecter ou de le gober. En raison de la méfiance envers les labos est-européens, les produits asiatiques semblent avoir conquis la confiance des acheteurs. Arnaud est catégorique sur ce point : « Les mauvais produits arrivent toujours des labos des pays de l'Est, des produits préparés dans des baignoires rouillées ou de vieux seaux sans respect des règles d'hygiène. Il faut préférer le marché asiatique ». En particulier thaïlandais. C'est l'un des seuls pays au monde où la production n'est ni autorisée ni interdite. « Ici, la production est tolérée. C'est pour cela que les produits sont de haute qualité. Ce sont des grands groupes qui les fabriquent en même temps que nos shampoings ou nos dentifrices », relate Christian qui vit dans le pays du sourire pour le business.

La qualité du produit est le nerf de la guerre stéroïdée : « La réputation du site se fait par le bouche-à-oreille. Un produit de mauvaise qualité et toute la confiance qu'on a su créer depuis plusieurs années est perdue », raconte Christian qui a quitté sa France natale pour s'installer au plus près des laboratoires. Il est en contact direct avec eux. Direct, mais discret : « On fonctionne par niche indépendante. On échange par des moyens de communication cryptés qui s'effacent au bout de quelques minutes. Le transport entre le labo et le revendeur est aussi rendu anonyme entre les deux parties ». Le souci du détail. Labos, revendeurs, clients, tous sont liés mais rien ne se voit. « Certains de nos collaborateurs ne savent même pas ce que l'on fait concrètement. C'est une façon de protéger tout le monde », poursuit le gérant. Avant une commande, Maxime choisit des produits dont il peut vérifier réellement la provenance. « Je n'achèterais jamais une marque qui n'a pas de système anti-fake. Les hologrammes, les logos, les boîtes, ça se reproduit. Mais un numéro d'identification unique vérifiable sur le site officiel de la marque garantie à 100% que le produit est un original. Malgré des numéros d'authentification, l'équipe de Top-steroids n'hésite pas à faire des tests aléatoires à 1500 € l'unité sur sa marchandise.

Certains clients et revendeurs font de même. A la réception du colis, Laurent s'octroie une dernière vérification pour être sûr que les fioles ne contiennent que les molécules voulues. Il se rend dans un laboratoire d'analyse médicale français. Pourtant illégale, il n'a jamais eu de problème à faire analyser sa marchandise : « Quand vous payez un laboratoire pour qu'il vérifie vos produits, ils n'en n'ont rien à faire de la légalité. Ils encaissent les 100 € de travail et puis c'est tout. »

Une fois le tour du monde bouclé et les vérifications faites, les produits sont prêts à faire leurs effets dans le corps des sportifs. Pour ceux qui n'ont pas passé commande sur Internet, le revendeur est bientôt de retour à la salle de sport avec la marchandise. Dans la salle de la région parisienne, après un tour de parade pour montrer sa présence, le revendeur sédentaire ressort s'appuyer contre sa BMW garée au plus près de l'entrée. Les premiers clients ne tardent pas à le rejoindre. Sans prêter attention à ce qui se passe autour d'eux, ils se penchent au-dessus du coffre pour échanger quelques billets contre des petites molécules. Certains n'auront pas la patience d'attendre. Ils s'enfermeront dans leur voiture ou le vestiaire pour en tester les effets immédiats.

D'autres préfèreront le calme de leur foyer pour s'injecter dans les veines ces précieux liquides à l'abri des regards indiscrets. Maxime se souvient bien de ce qu'il a ressenti lorsque les premiers effets se sont fait sentir : « C'est une sensation bizarre ! De la puissance et de l'excitation en même temps. Je soulevais un poids que je n'aurais jamais bougé avant et je me suis dit : "c'est moi qui ai fait ça !" Je sentais mes muscles gorgés de sang, une libido explosive et l'envie de faire plein de choses. Mais j'ai aussi vite senti que j'étais plus nerveux, sur la route, avec ma femme, au travail, mais je me contrôlais en faisant de la muscu à fond. J'étais fier et content. Ça m'a boosté à mort. J'avais envie de me dépasser pour de savoir jusqu'où je pouvais aller. Et je pensais déjà à ma prochaine cure. »

Photos Garance Renac.