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Un satellite-oeuvre d'art visible à l'oeil nu sera bientôt mis en orbite

Avec son Orbital Reflector, l'artiste Trevor Paglen veut nous pousser à revoir notre conception de l'espace.
Image : Trevor Paglen

Le superflu n'a pas sa place dans l'espace. Les abysses de l'univers débordent de belles choses. Bien peu sont d'origine humaine : nous avons construit des engins habités, des lanceurs et des satellites qui peuvent paraître beaux dans tout ce qu'ils ont d'utile, et nous tirons beaucoup d'inspiration de ce que ces machines voient pour nous : des étoiles lointaines, d'éclatantes nébuleuses, notre propre maison. Mais de l'art humain installé dans l'espace ? Ça n'existe pas. Aucune de nos oeuvres ne flotte dans le vide.

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L'artiste américain Trevor Paglen veut changer cela dès l'année prochaine. Avec son Orbital Reflector, il espère lancer une sculpture en orbite terrestre basse. Ce satellite n'aura qu'une fonction esthétique : nous autres terriens pourrons l'observer depuis le sol et la suivre à l'aide d'une application dédiée.

L'Orbital Reflector ressemble à une grosse fléchette de gazon ou une épée sans poignée qui dériverait dans l'espace. Le premier prototype du satellite était une sphère, mais Trevor Paglen et son équipe l'ont peu à peu transformé en un diamant étiré d'une trentaine de mètres. L'idée : conférer la plus grande surface réfléchissante possible à l'oeuvre afin de la rendre visible à l'oeil nu dans le ciel de nuit.

Aux alentours d'avril 2018, l'Orbital Rflector sera plié dans une boîte de la taille d'une brique et placé dans un CubeSat. Installée dans une fusée SpaceX Falcon, cette dernière sera expédiée par-delà l'atmosphère puis relâchée en orbite à environ 500 kilomètres d'altitude.

Au bout de deux mois, la sculpture quittera naturellement son orbite à force de frottements avec l'atmosphère. Entraînée par la gravité, elle se désintègrera en retombant vers la Terre.

Ce n'est pas la première fois que Paglen se glisse dans l'espace. En 2012, il a mis en orbite géosynchrone The Last Picture, un disque de silicone contenant cent photographies de la vie sur Terre. Dans son travail, il est souvent question d'observer les pouvoirs qui nous observent : ses précédentes expositions photographiques s'intéressaient aux traces physiques de la surveillance gouvernementale ou aux algorithmes de machine learning.

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La dernière fois que j'ai discuté avec Paglen, en février 2017, il me parlait sur Skype depuis son appartement berlinois. À ce moment-là, l'Orbital Reflector était encore un projet inconnu du grand public. Pourtant, les avis le concernant étaient déjà mitigés. Aujourd'hui encore, beaucoup de gens se montrent sceptiques voire opposés à l'idée d'un satellite complètement "inutile". Après tout, l'orbite terrestre est déjà constellée de débris spatiaux.

"Je pense que les gens imaginent l'espace par le prisme du progrès, m'a-t-il expliqué quand nous nous sommes à nouveau rencontrés en septembre dernier. Et je crois qu'ils le perçoivent comme une partie de l'histoire que nous nous racontons à propos de l'avancement de la civilisation… Ce projet, pour moi, est un rejet de cette manière de penser, de l'idée que l'aventure spatiale, comme la destinée manifeste, est motivée par la guerre et le pillage."

Paglen, qui se déclare "très grincheux quand on parle d'espace", maintient que la plupart des gens se montrent trop sentimentaux à l'idée d'envoyer de fragiles humains et leurs coûteux systèmes de survie dans le vide. "Quand je dis que je ne pense pas que les missions habitées soient nécessaires, les gens s'offusquent", regrette-t-il.

Pour Paglen, le futur de l'art spatial est sombre. Comme la conquête des coins reculés de notre système solaire, il est limité par plusieurs facteurs : temps, coûts, difficulté extrême. Les créateurs ne sont pas près de se battre pour remplir le ciel de sculptures.

L'artiste explique : "Il y a un côté "nouvelle frontière" à l'Orbital Reflector. Pour moi, c'est une relation plus compliqué que ça… C'est la manière la plus intéressante de penser à l'espace, en terme de limites. Quelles sont les limites de notre capacité à concevoir quelque chose d'autre ?" Une référence au fait que nous considérons souvent l'espace comme réservé aux militaires et aux compagnies privées assez riches pour le conquérir.

En dépit du fait qu'il s'attaque à la dimension sentimentale de la conquête spatiale, ce projet n'est pas dénué de romantisme. Il fournit une excuse pour regarder vers le ciel et y trouver un peu de nous-mêmes. "Regarder le ciel - c'est quelque chose que les humains font depuis toujours, affirme Paglen. C'est une manière d'essayer de penser à notre relation avec la Terre."