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Il faut sauver le Sud-Soudan

Guerre civile au Sud-Soudan (6/13) : La terre désolée

En février dernier, Robert Young Pelton et Tim Freccia ont traversé le plus jeune pays du monde, alors en pleine guerre civile, à la recherche du chef des rebelles Riek Machar.
Machot, à Nairobi, fait les cent pas en téléphonant via un téléphone satellite. Photos par Tim Freccia.

Machot est nerveux. Il déteste Nairobi. Il y règne trop d'agitation, trop de confusion pour lui. Le fait qu'il ait gardé exclusivement des mauvais souvenirs de sa dernière visite ne l'aide pas. À l'époque, il était un « enfant perdu » : un gamin terrifié qui découvrait la ville et se faisait racketter par les voyous d'un côté et la police, les commerçants et les chauffeurs de taxi de l'autre.

Une fois, pour économiser de l'argent, il avait décidé de rentrer à pied plutôt qu'en bus. Il s'était fait agresser par un groupe de jeunes sur un terre-plein d'autoroute. L'un d'entre eux l'avait blessé à la tête avec un couteau tandis que les autres lui prenaient tout ce qu'il possédait, y compris ses fringues. Il avait ensuite continué à marcher plusieurs kilomètres, du sang plein ses frusques, jusqu'à arriver devant la maison de son cousin. Les passants avaient trop peur des représailles pour lui venir en aide.

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Son retour ici le rend nostalgique - un mauvais type de nostalgie. À peine sommes-nous arrivés qu'il veut déjà repartir. Mais nous sommes coincés ici jusqu'à ce que nous trouvions un pilote prêt à nous rapprocher de Riek Machar.

Il passe son temps en compagnie de membres de la diaspora nuer, qui ont toujours l'air d'avoir quelqu'un à voir ou quelque chose à faire. Chaque dollar qu'on donne à Machot disparaît ; il n'arrête pas d'avancer à ses nouveaux amis. Il n'arrête pas non plus de nous demander de l'argent.

Pendant ce temps-là, nous prenons rendez-vous avec un groupe de politiciens nuers qui prévoyaient de se rendre à des négociations de paix à Addis-Abeba, en Éthiopie ; le problème, c'est qu'ils sont aujourd'hui assignés à résidence à Nairobi parce qu'ils ont été accusés de complot. Ils nous réclament des cartes téléphoniques, et nous leur offrons également un repas au restaurant. Ils affirment être aussi étonnés que nous par la tournure des événements. Ils disent ne pas savoir pourquoi on les a arrêtés. Ils ne savent pas pourquoi on les empêche d'aller à Addis-Abeba. Tout ce qu'ils savent, c'est que Salva Kiir est en train d'engager l'Afrique dans une nouvelle ère de guerre et de division ethnique.

Fiers, les Nuers me disent que deux hommes de Joseph Kony sont actuellement en discussion avec les hommes de Machar en vue de s'allier contre Kiir. La tribu Acholi de Kony est ethniquement, géographiquement et politiquement proche des Nuers. Ils contrôlent la frontière qui sépare le Sud-Soudan et l'Ouganda, et possèdent également des hommes à l'Ouest, jusqu'à la République centrafricaine. Les deux peuples ont surtout en commun de vouloir déposer Kiir.

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Notre équipement entassé à côté d'une affiche kényane faisant la promotion de l'abstinence.

Des armes ont commencé à circuler, les faveurs de chacun ont été peu à peu achetées, et des communications régulières entre le Nigeria, le Soudan et l'Érythrée se sont établies, chacun cherchant à tirer profit de l'instabilité de la situation au Sud-Soudan. Depuis les explosions de violence en République centrafricaine et au Congo, les puissances régionales ont également pris part à cette lutte pour le partage des terres. Tout le monde veut trouver une chaise avant que la musique s'arrête.

Les politiciens nuers nous présentent un jeune homme coiffé d'une casquette des New York Yankees. Il s'appelle Amos. Ils veulent qu'on l'emmène au Sud-Soudan, et notre groupe gagne avec lui un nouveau membre.

Amos a été sergent-major dans l'armée sud-soudanaise, garde du corps et chauffeur, et il est donc probable que sa présence se révèle utile par la suite. En décembre, le chef d'Amos, Taban Deng Gai (le gouverneur de l'État sud-soudanais de l'unité, actuellement en charge des négociations de paix), l'avait envoyé en Ouganda pour y acheter des pièces pour son 4-4 Cadillac. Pendant son absence, le pays s'est embrasé. Il ne sait pas comment retourner à Djouba sans risquer de se faire arrêter ou tuer.

Alors que nous discutons des différents moyens de rejoindre la brousse sud-soudanaise sans alerter le gouvernement de notre présence, quelqu'un suggère qu'on passe simplement par Djouba. Amos et Machot froncent les sourcils. « Ils nous tueront », disent-ils. Je n'ai pas besoin d'en entendre plus. Djouba n'est plus une option.

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Les jours passent tandis que Tim, Machot, Amos et moi-même continuons de chercher un moyen de passer la frontière sud-soudanaise. La météo est radieuse, les gens parlent bien anglais, et l'aéroport dessert de nombreuses destinations ; c'est d'ailleurs pour ça que Nairobi est le siège de nombreuses ONG africaines. La ville est bien entendu chère, bondée, sale et truffée d'escrocs. Derrière tout ça, il semble planer une sorte de désespoir ambiant. Les vendeurs de rue se font une place au milieu des voitures pour vendre leur marchandise le long de la route. Tout le monde cherche à se faire de l'argent, la corruption est partout. À la fin de chaque course en taxi, il faut négocier le prix. Même les policiers en charge de la circulation peuvent bloquer une voiture si le conducteur refuse de leur verser un pot-de-vin.

Plus nous restons à Nairobi, plus je comprends pourquoi Machot déteste cette ville. Si c'est ça la conception locale de la civilisation, alors j'ai hâte de me réfugier dans la brousse.

Finalement, après avoir passé huit jours ici et dépensé plusieurs centaines d'euros en communications satellites, nous voyons enfin le bout : nous avons trouvé un autre pilote et une piste d'atterrissage. Nous prenons la route pour Akobo.

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