Honolulu Wailana Coffee House
Photo d'Adam Jung

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Food

Une histoire orale du plus glorieux des restos d'Hawaï

Des drag queens aux joueurs de tuba, tout le monde a un truc à raconter sur le Wailana Coffee House.

Il y a une dizaine d’années, je quittais une soirée du Nouvel An avec deux amis, tous les trois en petite forme. On avait bu pendant des heures. Un inconnu avait eu la bonne idée de nous dévoiler le contenu de son estomac (une belle galette) et, la fin de soirée arrivant, notre seul souhait était de trouver un truc à manger et de rentrer à la maison. Il était 4 heures du matin, le 1er de l’an, et le seul endroit qu’on imaginait ouvert à cette heure-là, c’était le Wailana Coffee House.

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On est arrivé devant ce restaurant ouvert 24/7, on s’est installé tous les trois autour d’une table et on a commandé des œufs, du bacon, des galettes de pomme de terre, du café, et des pancakes à volonté. Vers la fin de notre festin, l’un de mes potes m’a dit de jeter un œil à la table d’à côté, où un type assez baraqué habillé d’une veste en cuir distribuait des biftons à trois jeunes filles qui étaient assises avec lui, et qui étaient toutes trois vêtues de ces robes moulantes qu’on voit dans les soirées huppés ou dans les films.

Mon pote m’a demandé si je pensais que c’était des escorts. Et j’ai répondu qu’on s’en tapait.

L’une des filles nous a entendus, elle s’est levée et elle est venue jusqu’à notre table, nous demandant si on venait de la traiter de pute. Avant que l’un de nous puisse répondre, elle a remarqué un appareil photo numérique posé sur la table et demandé qu’on prenne une photo tous ensemble. Alors je l’ai prise en photo. Elle et mes deux potes.

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Ensuite, elle est tranquillement retournée à sa table. Soit elle était complètement à l’Ouest, soit elle avait totalement oublié la conversation qu’on venait d’avoir. Une minute plus tard, le serveur arrivait à notre table, et on lui racontait ce qui venait de se passer. Le gars a éclaté de rire et il a décidé que lui aussi voulait une photo, arguant que, de toute façon, au matin, on aurait tous oublié qui est qui.

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Il n’y a pas d’anecdote « typique » du Wailana Coffee House. Cet immense restaurant de Honolulu, qui fait également bar à cocktail, ouvert 24/7, était l’un des derniers résistants du Waikiki à l’ancienne ; un monde fréquenté par des gens de la trempe de Don Ho (qui débarquait avec ses potes après un show au Hilton Hawaiian Village, de l’autre côté de la rue), Jack Lord (entre deux épisodes de la série originale Hawaii Five-O des années 1970, qui était tournée au Wailana, comme celle d’aujourd’hui), ou Wilt Chamberlain (qui a vécu dans un immense appartement avec terrasse juste au-dessus, de la fin des années 1970 au début des années 1980).

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Depuis 1969, ce lieu est le refuge de tous ceux qui cherchent un endroit où se poser, du businessman matinal qui veut faire une halte avant d’aller bosser aux chanteurs et danseurs de la nuit qui sortent de leurs spectacles dans les clubs de la ville. Mais il accueille aussi les familles, les jeunes mariés, les retraités, les drag queens, les sans-abri et, à l’occasion, les jeunes étudiants tout bourrés (comme mes potes et moi).

Au Wailana, il y en avait pour tous les goûts, avec un menu qui s’étalait sur six pages, comme une espèce de recueil des meilleurs plats. On pouvait commander un petit-déjeuner à toute heure, que ce soit des gaufres belges géantes, des saucisses écossaises ou des œufs Bénédicte, voire des salades de fruits qui débordaient du bol. Parmi les spécialités locales, on trouvait des pancakes à la macadamia, le légendaire petit-déjeuner à l’hawaiienne, avec des bananes grillées au beurre sur du hachis de bœuf avec des œufs ; et un bol de petit-déj’ composé de galettes de pomme de terre, de saucisse, de bacon et d’œufs brouillés avec un filet de sirop de coco.

Le week-end, on pouvait également commander du bœuf à la crème sur un toast avec deux œufs, le « Spécial S.O.S. », ou une offre spéciale comprenant tous les pancakes que l’on puisse engloutir (plus deux œufs et deux tranches de bacon) pour moins de 10 balles. Il y avait une bonne dizaine de burgers différents, et quatre – ouais, quatre – sections consacrées aux sandwichs. Du maxi club sandwich avec trois pains (dans la section des « Combinaisons remarquables de sandwichs ») aux sandwichs au pain de viande avec sauce spéciale (dans la section « Chaque sandwich est une spécialité de la maison »).

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Le Wailana était très connu pour son buffet de salades, notamment de brocoli et de chou, les tranches de betterave en conserve, le kimchi, la gelée, les dés de tomate et d’oignon dans la vinaigrette, la salade aux trois haricots, la salade de pâtes, et cinq assaisonnements aux choix, du lundi au dimanche, de 11 à 23 heures, souvent servies en accompagnement de plats tels que le ragoût de bœuf en cocotte, les côtelettes de porc panées, le foie-de-bœuf, le steak Salisbury et le fish and chips « Moby Dick ». Avec les plats du midi et du soir, on pouvait prendre un demi-litre de vin de la maison pour 8,50 dollars. À choisir entre du Bourgogne, du Chablis ou du rosé.

Le menu était écrit par Mel Campbell, un ancien manager du Wailana et pubard dans un canard local, qui a vraiment mis le paquet sur les descriptions. Si certains plats ne bénéficient que d’une ligne, comme les 225 grammes de steak de New York ( « Grillé, beurré et mariné – Le roi des Steaks »), d’autres, comme le pain de viande, ont droit à tout un paragraphe : « Goûtez ce que la fierté peut faire de meilleur. Un pain de viande tout frais…Tendre et moelleux à l’intérieur. Un délice parfaitement assaisonné … Une viande au goût chaleureux, accompagnée d’une sauce non moins excellente, avec des épices, de la ciboulette, des cornichons au vinaigre, le croustillant en plus… Un prestigieux dîner… Ce pain de viande, c’est du bonheur dans l’assiette.

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Le célèbre pain de viande. Photo d'Adam Jung

Des cocktails exotiques comme les Mai Tais, Blue Hawaiis ou autres Lava Flows (ainsi que de la bière et du vin) étaient également disponibles, dans un salon aux couleurs locales comptant 50 sièges, jouxtant la salle principale, et habilement placé à côté des toilettes.

Cette hutte circulaire faite de bambou et de feuilles était l’un des derniers bars tiki de Hawaii, habillé de masques en bois et de carapaces de tortues accrochées aux murs. Au bar, aucune boisson ne coûtait plus de 7 dollars (le Mai Tai, spécialité du Wailana, était à 4 dollars avant de faire le grand saut pour passer à 5 en mai dernier) et, quelle que soit l’heure, on trouvait toujours une population de piliers de bar, de touristes et de vétérans portant des casquettes de la Guerre du Vietnam, de celle de Corée et même de la Seconde Guerre mondiale.

Entre le bar à cocktail et le restaurant, le moment était toujours bon pour faire une halte au Wailana, pour un petit-déjeuner, un steak, des sandwichs, une tranche de tarte ou un cocktail fruité, et plonger, l’espace d’un instant, dans le vieux Waikiki.

Jusqu’à aujourd’hui. Le 14 octobre, le Wailana Coffee House a fermé ses portes pour toujours. Les travaux nécessaires afin de garder ce restaurant vieux de plus d’un demi-siècle ouvert s’élevaient à près d’un million de dollars. Ainsi, il y a quelques mois, les patrons Kenton Tom, Malcolm Tom et Joanna Leong ont pris la difficile décision de baisser le rideau. C’est peut-être un détail pour vous, si vous n’êtes pas du coin, mais pour les gens d’ici et ceux venus en visite à Oahu, c’est la fin d’une époque qui se sera étalée sur plus de sept décennies.

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Photo d'Adam Jung

« Tout a commencé au zoo. À l’époque, c’était une concession », raconte Kenton Tom. En 1947, ses parents, Mary et Francis Tom, avaient d’abord ouvert le Wailana comme un restaurant drive-in. Mais lorsqu’une clôture a été dressée, empêchant les voitures de s’arrêter pour passer commande, ils ont décidé de déménager. En 1949, Francis Tom s’est associé avec des amis et des proches pour acheter un bout de terrain à l’angle du Boulevard Ala Moana et de Ena Road (c’est là que se trouve le restaurant, encore aujourd’hui). À l’époque, c’était considéré comme la banlieue de Waikiki. « Il n’y avait rien du tout ici. Pas de route pavée, par de Hilton Hawaiian Village… Si j’ai bien compris, c’était un coin marécageux. Rien d’autre », explique Tom. « Les gens pensaient que mon père était fou. »

À l’origine, Mary et Francis avaient appelé leur restaurant le Kapiolani Drive Inn. Il était ouvert 24/7 et pouvait accueillir plus de 100 voitures. Les week-ends, surtout après les bals de promo ou lorsque le restaurant faisait son offre spéciale de 5 burgers pour un dollar, une longue file de voitures s’étirait jusqu’à l’extérieur du parking et dans la rue adjacente. Un néon brillait à toute heure au-dessus du bâtiment, guidant les clients dans la nuit et représentait un type qui grattait un yukulele et une danseuse en tenue hawaiienne.

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« Ça a été un drive-in des années 1950 jusqu’à la fin des années 1960. Mais les tendances changent constamment et le drive et le self-service étaient en bout de course. À Hawaii, les terrains sont chers, et même à l’époque, les prix montaient déjà. Alors apporter des modifications au restaurant était un moyen de tirer un meilleur parti de l’espace », explique Tom.

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En 1969, la famille s’associe à Bruce Stark, un promoteur immobilier, pour construire un immeuble de 24 étages sur le terrain et pour transformer le Kapiolani Drive Inn en un restaurant de 750 mètres carrés (avec un bar à cocktail) capable d’accueillir jusqu’à 250 personnes assises. Ils renomment le restaurant Wailana Coffee House. En hawaiien, « wailana » signifie eaux calmes, ou flotter sur l’eau, comme un nénuphar.

« Le restaurant a été ouvert pendant 49 ans et il a servi 14 millions de repas », raconte Tom. « On a toujours fait notre pâte pour les pancakes nous-mêmes. On la laissait reposer toute la nuit pour qu’elle monte. On faisait nos propres sauces, même celles des spaghettis. Et on a encore notre recette spéciale pour le pain de viande. »

« On portait des perruques et des costumes qui partaient en lambeaux. Le temps de finir le repas, on était quasiment nus et on essayait de se rhabiller avec des morceaux de fringues. Parce qu’on n’était pas là pour se changer. On voulait juste manger. »

Waikiki perd quelque chose d’incommensurable avec la fermeture du Wailana. Voici quelques histoires qui nous ont été racontées par ceux qui connaissent le mieux cet endroit :

Ian Stanley (perceur professionnel et transformiste) :

Après avoir choisi une école, ma mère s’est rendue au Wailana pour un entretien universitaire, ce qui lui a donné un tout autre point de vue sur ce qu’elle voulait faire. Du coup, elle a rencontré mon père à la fac. On peut dire que, sans le Wailana, je n’existerais pas.

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J’avais pris l’habitude de faire un tour au Wailana après les nuits passées dans les rues de Waikiki, autour de l’International Market Place [centre commercial]. Parfois, je me baladais et je faisais quelques trucs vers le zoo ; des conneries, histoire d’interpeller les gens là où je trouvais que ça serait drôle. Je jonglais, je faisais le con, je jouais le fakir sur un matelas de clous, je jouais le cracheur de feu, le mangeur d’insectes, le lanceur de couteaux, la pelote d’aiguilles humaine. Que du bon vieux spectacle de foire à l’ancienne.

L’équipe du Wailana n’a jamais eu le moindre regard hostile envers les types carnavalesques comme moi qui gravitaient autour, se pointaient à 3 heures du matin, faisaient des tours et, plus généralement, se comportaient comme des drôles de zigues. Le Wailana est un putain de monument, mec.

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Sandra Nakamura (ancienne serveuse du Wailana, 1982-1992) :

Je travaillais dans l’équipe de nuit, la vraie nuit. Tous les barmen venaient ici après avoir fermé leur rade, et ils occupaient tout le restau. Ils y laissaient pas mal d’argent et ils lâchaient de bons pourboires. Don Ho venait souvent, lui aussi. Il adorait le buffet de salade, mais il ne mangeait qu'un seul type de laitue et ce n'était pas de la romaine.

« Une fois, un type est venu et il a donné les clés de sa voiture à la serveuse en guise de pourboire. La caisse était garée juste devant, et c’était un cabriolet. Elle a accepté. »

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On avait tous des clients un peu bizarres. Il y avait ce couple qui venait presque chaque nuit, avec des tenues assorties, comme s’ils allaient à un bal de promo. Un client régulier m’achetait toujours des paquets de ma marque de cigarettes préférée. Un jour, un type m’a donné une cassette et il m’a dit de m’entraîner à chanter, parce qu’il allait m’embaucher pour aller au Japon. Sur la cassette, il y avait tout un tas de vieilles chansons d’amour japonaises comme Sukiyaki.

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Sandra au Wailana au début des années 1980.

Une autre fois, un type est venu et il a donné les clés de sa voiture à la serveuse en guise de pourboire. La caisse était garée juste devant, et c’était un cabriolet. Elle a accepté.

La première fois que j’ai travaillé au Wailana, un type est entré pour dîner avec des amis et de la famille, et il m’a demandée en mariage. J’ai dit : « Mais t’es qui, toi ? » et il a répondu qu’il était le président de Kikkoman. Il a dit que sa boîte pesait 400 millions de dollars et qu’il voulait que je signe un contrat de mariage et que je devienne sa femme. J’avais 29 ans et je n’étais pas mariée, mais j’ai dit que je n’étais pas ce genre de femme. Parce que je crois en l’amour, le vrai.

Dennis Imoto (artiste et instit' à la retraite) :

Je me souviens du vieux Kapiolani Drive Inn ! Mon père y allait souvent pour acheter les cinq burgers à un dollar, et on allait à Ala Moana [Beach] pour manger nos burgers avec des frites.

Quand j’étais dans le programme de cuisine, à la fac de Kapiolani, on nous a emmenés au Wailana lors d’une sortie pour qu’on se rende compte du contrôle des coûts des produits alimentaires. C’était au tout début du Wailana, au début des années 1970. En général, un restaurant met trois ans à récupérer tout ce qui a été investi. Si vous n’arrivez pas à récupérer votre mise en trois ans, alors le restaurant risque de ne pas marcher. Le Wailana a réussi à le faire en un an, et il a été considéré comme un véritable succès. Les longues files d’attente et le fait qu’il tourne 24/7 ont clairement aidé. Le reste appartient à l’histoire.

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Photo d'Adam Jung

Kevin Mau (chanteur au Wailana Lounge, 2013 – à nos jours) :

J’ai joué à Waikiki pendant 38 ans. J’ai joué au Coconut Willy’s, à l’International Market Place pendant 20 ans, et c’était génial parce que c’était en plein air. Dès qu’on mettait la musique, les gens ralentissaient puis s’arrêtaient carrément et venaient nous écouter. Moi je chantais et je jouais de la guitare. Mon père était musicien, il jouait avec l’Orchestre symphonique de Hawaii et la Royal Hawaiian Band. Il a joué avec des mecs comme Johnny Mathis et Jack Benny, donc c’est la classe mondiale. Moi, je suis un simple chanteur de bistrot. Quand j’ai commencé à jouer de la musique, vers la fin des années 1970, il y avait un club avec de la musique en direct tous les dix mètres à Waikiki, et ça swinguait jusqu’à 4 heures du matin. C’est plus le cas aujourd’hui.

J’ai passé près de cinq années au Wailana. Je jouais le mardi et le jeudi, de 17 à 20 heures. C’est l’un des derniers bars du vieux Waikiki où on trouve encore des touristes, des gens du coin et pas mal d’habitués. Ici, on vous traite comme un ami, comme si vous étiez chez un pote. Les patrons essaient aussi de garder des prix bas. On peut dîner, boire quelques verres et se garer pour moins de 20 dollars. Le parking pour 2 heures, c’est 75 cents ou un truc comme ça. C’est cadeau. Le Hilton [Hawaiian Village, de l’autre côté de la rue] est à 6 dollars la demi-heure.

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Mon passage au Wailana est sans doute le boulot que j’ai le plus apprécié de ma vie. Au milieu de mon spectacle, les gens sont déjà debout en train de danser. Tout le monde est chaud, en train de danser en ligne, de faire l’electric slide ou le shuffle. Et on n’a même pas de piste de danse.

C’est aussi l’un des derniers vrais bars tiki. Les gens qui viennent ici en visite disent que c’est à ça que doit ressembler Waikiki. Pas besoin d’hôtels de luxe 5 étoiles avec des chambres à 400 dollars la nuit à tous les coins de rue. Je me souviens d’un jour où la femme de Kenton [Tom] m’a dit que Kareem Abdul-Jabbar avait été un client régulier. Bon nombre de célébrités locales et d’artistes passent par ici. C’est un peu comme cette vieille émission de promo bienveillante de Don Ho où tout le monde vient chanter un morceau et s’offrir une danse. Après le Wailana, je vais aller au bar Nashville’s [un bar de country] à la Aloha Tower. Je joue aussi au Elks Club ou au Hawaii Yacht Club le week-end. Tout le monde passe par les clubs privés aujourd’hui, parce qu’il n’y a plus de bars normaux qui proposent des concerts à Waikiki.

Kimo Mansfield (artiste et chorégraphe hawaïen) :

Je jouais souvent avec Don Rickles au Sahara Hotel. J’ai joué pendant 14 ans à Las Vegas et je suis revenu à Hawaii en 1970 pour aider à monter un spectacle au Royal Hawaiian Hotel. Le Wailana est vraiment un lieu unique. Écoutez le public. C’est de l’amour à l’état pur. Quand Kevin Mau commence, les gens se taisent. Puis ils se lèvent et se mettent à danser.

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« Regardez cette carapace de tortue sur le mur. On ne voit plus ce genre de chose dans les lieux plus modernes. J’ai grandi près de l’île du Chinaman’s Hat, à côté de Kaneohe, sur l’île de Oahu, et je me souviens de l’époque où les gens capturaient des tortues et en faisaient des steaks au barbecue. »

Je me suis installé à cette place tous les mardis et les jeudis des trois dernières années pour écouter la musique. Les gens peuvent venir et s’y asseoir, mais à 17 heures pétantes, le barman vient et leur demande de se lever, parce que c’est ma place.

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Kimo Mansfield, aujourd'hui et quand il était plus jeune. Photo via Mike Keany

Regardez cette carapace de tortue sur le mur. On ne voit plus ce genre de chose dans les lieux plus modernes. J’ai grandi près de Chinaman’s Hat, une île à côté de Kaneohe sur Oahu, et je me souviens de l’époque où les gens capturaient des tortues, en faisaient des steaks au barbecue et enlevaient les carapaces. Ça fait remonter pas mal de souvenirs. Des gens ont demandé à acheter celle qui est sur le mur, là. Mais vous savez combien ça coûterait ? J’imagine qu’un soir, elle disparaîtra du mur, et vous me verrez filer en courant avec la carapace sur le dos.

Jonnett (barmaid du bar à cocktail du Wailana) :

Les gens qui travaillent ici ont démontré une grande loyauté envers les patrons. D’abord, on devait fermer le 30 septembre. Puis on a prolongé jusqu’au 14 octobre. Mais la demande a dépassé toutes les attentes et on s’est retrouvé à court de personnel. Alors tous les employés qui étaient partis avec l’idée qu’on fermait fin septembre, et qui avaient déjà commencé d’autres trucs ailleurs sont revenus pour prêter main forte pendant 15 jours. C’est une belle marque de loyauté.

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Monchalee Steiger (directrice marketing de l'hôpital) :

Mon plat préféré, c’est les spaghettis, parce qu’on peut avoir un tour de rab gratuit. Je ne plaisante pas. La première fois que j’en ai commandé, quand le serveur est venu voir si j’étais prête pour le rab, j’ai refusé. J’ai dit que j’étais repue. Le serveur s’est approché et m’a dit un secret : « Acceptez toujours le rab de spaghetti gratuit. Si vous ne pouvez pas les manger maintenant, vous pouvez organiser l’assiette de façon à faire croire que vous en avez mangé un peu et emporter le reste à la maison. De cette façon, vous aurez un plat de spaghettis qui vous attend le lendemain matin, pour faire passer votre gueule de bois. »

Le meilleur secret de ma vie.

Kaipo Punohu (postier chez USPS) :

Mes potes tubistes de l’orchestre allaient au Wailana après les concerts et les matchs de foot, parce que c’était le seul endroit où on pouvait encore manger à cette heure-là. On faisait des concours de mangeurs de pancakes dont j’ai gardé d’excellents souvenirs. C’est aussi là-bas que j’ai rencontré ma future femme (elle jouait aussi du tuba), et pendant les fêtes de Noël, un jour, j’ai joué à la machine à pinces et j’ai gagné un chien en peluche que je lui ai offert.

La semaine dernière, on a rassemblé quelques tubistes de la grande époque pour un nouveau concours de pancakes et on a bien rigolé. On s’est installés dans cet endroit qu’on dirait tout droit sorti des années 1970, et on a mangé des pancakes jusqu’à l’indigestion. C’était vraiment cool.

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Photo d'Adam Jung

Matthew Dekneef (écrivain et journaliste à Hawaii) :

Mes souvenirs du Wailana ne sont jamais grandioses ou extraordinaires, pour être tout à fait honnête. Ce sont des petits trucs. Comme ce soir où un de mes meilleurs potes chantait « El Nei » ou « Waikiki » dans le salon karaoké. Ou celui où on a rejoué la scène d’ouverture du dîner de Pulp Fiction à une table, dans un coin du resto (sans les armes). J’aurais du mal à vous l’expliquer, mais j’ai l’impression qu’à chaque fois que je passe par le Wailana, je repars avec de nouveaux souvenirs.

Holly Holman (enquêtrice, interview de @808Viral ) :

Mon mari et moi adorions le Wailana, à tel point qu’on a failli appeler notre enfant comme ça. Mais finalement, c’était un garçon. La semaine dernière, on y est retourné pour profiter d’un dernier repas là-bas. Et mon mari, qui ne mange plus de viande depuis huit ans, a fait une entorse à son régime alimentaire pour s’offrir le petit-déjeuner irlandais (une omelette avec du bœuf haché) en souvenir du bon vieux temps !

Easten James (pro du marketing sur les réseaux) :

J’ai avalé une bouteille entière de sirop d’érable pour l’anniversaire de deux amis jumeaux. Celle en verre qu'on trouve sur toutes les tables.

Arthur Wilson (coiffeur) :

Avant, il y avait des rencontres des Alcooliques Anonymes au bar tiki. Ils ouvraient le bar à cocktails vers 6 heures du matin et on voyait débarquer entre 10 et 30 personnes. Un mélange de locaux et de gens du continent. Je ne sais pas comment l’idée est née, mais je suis tombé dessus un jour, en cherchant des réunions des Alcooliques Anonymes qui se tiennent le matin. Et c’était sympa, parce que la réunion commençait, puis quelqu’un venait prendre les commandes des petit-déjeuners et vous remplissait votre tasse de café.

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Certains étaient sobres depuis 20 ou 30 ans, et d’autres depuis un jour ou deux. Tout le monde trouvait ça cool de tenir la réunion dans un bar. L’ironie de la situation n’échappait à personne. Certains avaient eu l’habitude de venir se biturer là, et maintenant ils y venaient pour rester sobres. C’était un bar qui proposait de l’alcool la nuit et de la sobriété en matinée.

Le Wailana et ses murs orange vont me manquer, les lampes suspendues et les sièges en vinyle marron… Le service était de qualité et la nourriture toujours très bonne.

Les autres fois où je venais au Wailana, c’était avec des grands groupes, après les spectacles de drags ou les soirées en boîte. Le Wailana était un lieu de rendez-vous où les gens allaient manger avant de rentrer chez eux. On était environ une dizaine à rentrer, tout peinturlurés ou habillés en drags, avec des paillettes ou du eye-liner. Ça provoquait un certain désordre visuel.

À 4 heures du matin, à la fermeture des bars, le restaurant se remplissait de locaux bourrés et de militaires, quand on arrivait, tout le monde arrêtait de manger et nous regardait jusqu’à ce qu’on aille s’asseoir. Comme on savait qu’ils regardaient nos manigances, on parlait plus fort que d’habitude et on se donnait en spectacle. Pour que tout le monde sache qu’on était là. Et les serveurs et les serveuses nous connaissaient tous donc c’était cool, il n’y avait pas de souci. On était comme le premier RuPaul’s Drag Race, on montrait aux gens des modes de vie alternatifs.

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Cocoa Chandelier (directeur artistique) :

Le Wailana est l’endroit où tous les gays et lesbiennes avaient l’habitude de se retrouver, et ça faisait souvent pas mal de bruit. Ça remonte aux années 1990 maintenant, à l’époque des clubs et des raves. À l’époque, tout le monde était habillé de manière extrêmement horrible et on se pointait par groupes de 15 ou 20 personnes. On portait des perruques et des costumes qui partaient en lambeaux, et le temps de finir le repas, on était quasiment nus. On essayait de se rhabiller avec les morceaux de nos vêtements. Parce qu’on n’était pas là pour se changer. On voulait juste manger.

« Au Wailana, il y a toujours eu des militaires, des drag queens et des personnes en tout genre. Tout le monde était toujours très ouvert et avenant. »

On allait au Wailana en sortant de boîtes comme le Pink Cadillac, le Fusion ou le Wave Waikiki. Le mardi soir, c’était la soirée gothique, ou un truc comme ça. Un soir, c’était la soirée des groupes de musiciens de la fac. Mais le lundi, c’était du lourd. On avait l’habitude d’aller à un concours de danse au Wave. Et, peu importe qui gagnait le concours, on allait tous manger dehors, et le gagnant payait le petit-dej’ ou un truc comme ça, parce que le prix du vainqueur était de 100 à 500 dollars. Et on finissait toujours au Wailana. Jamais chez Zippy.

Jade et l’autre serveuse étaient toujours contentes de nous voir débarquer, parce qu’elles nous connaissaient, moi et quelques autres filles, en drag. Et il y avait une serveuse. Mary. En langue mahu, « mary » est un terme local très utilisé pour manifester de la tendresse. Du coup, cette serveuse, Mary, pensait qu’on était constamment en train de l’appeler, alors que pas du tout.

Pour mes 30 ans, on est allés au Wailana vers 8 heures du matin, et on a commencé avec les pancakes à volonté. On avait deux caddies garés devant la porte qui étaient prêts à nous emmener pour une balade. Après la balade, on est revenus au Wailana et on a fait un karaoké dans le bar à cocktail, vers 21 heures. Une autre fois, je me souviens être venue la veille de la Grande Course Aloha. Tous les touristes japonais étaient là, et mangeaient des spaghettis pour la course du lendemain. Au Wailana, il y a toujours eu des militaires, des drag queens et des personnes en tout genre. Tout le monde était toujours très ouvert et avenant. On avait parfois quelques bastons, mais rien d’excessif. L’ambiance était bonne.

Kenton Tom (copropriétaire de Wailana) :

Lorsqu’on a annoncé que le Wailana allait fermer, le restaurant a commencé à recevoir des tas de lettres et d’appels téléphoniques de personnes qui voulaient me dire combien ils aimaient cet endroit, combien ils se souvenaient des débuts du Wailana et des vacances qu’ils avaient passées ici. C’est fou. Je pense qu’on ne se rendait pas vraiment compte de la popularité de l’endroit.

Je crois que l’une des raisons du succès du Wailana est sa localisation, dans ce qu’on considère comme les limites de Waikiki. Le centre de Waikiki est plus près de Sheraton, du Royal Hawaiian, du Outrigger. Donc on est assez proches des touristes, mais assez loin pour éviter la congestion, et que les locaux puissent tout de même y trouver leur place. Les touristes se trompent parfois parce que notre enseigne dit « coffee house » [café], et ils s’attendent à trouver un truc dans le style Starbucks. Alors qu’on est tout le contraire. On n’a pas de gros budget consacré à la publicité comme Denny’s ou IHOP. Mais les visiteurs voient beaucoup de locaux entrer chez nous, et c’est clairement la meilleure publicité.

Nombre de nos employés ont travaillé avec nous pendant très longtemps. Certains pendant 20 ou 25 ans. Moi, j’ai commencé ici en 1977, mais je n’ai jamais pensé à reprendre tout seul le restaurant familial. Mon frère et ma sœur avaient chacun sa carrière, et après, ils sont venus me rejoindre au Wailana. J’ai été major de promo en école de commerce, et j’ai un diplôme en compta. Au début, je pensais aller travailler à New York. Mais je suis heureux d’être resté ici.

Francis J. Tom (cofondateur de Wailana, extrait d'une lettre du menu) :

Cher client :

Je suis heureux que vous soyez ici. Merci d’être venu. Nous voulons que vous vous sentiez bien accueilli et nous allons nous occuper au mieux de vous, de votre arrivée jusqu’à votre départ. Chaque personne qui entre au Wailana est spéciale. Notre responsabilité est de nous assurer que votre repas sera agréable et que vous profiterez de tout le confort que nous pouvons vous offrir. Nous serons attentifs et ne lésinerons pas sur les efforts pour que vous puissiez savourer un bon repas, accompagné d’un service personnel de qualité, et nous nous montrerons à la hauteur du prix.

Notre premier restaurant Wailana a ouvert en 1970 sur Ala Moana, et le succès qu’il a connu nous encourage à persévérer dans cette ligne. Ainsi, nous continuons de travailler dur afin de garder votre confiance. Revenez quand vous voulez. Merci.

* Propos rapportés par James Charisma (sauf la lettre). Les entretiens ont été édités pour plus de clarté.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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