Crime

Antonin Bernanos, nouveau symbole de la dérive judiciaire ?

Le militant antifasciste est en détention préventive depuis le 18 avril dernier à la suite d'une bagarre entre militants d’extrême droite et antifas. Sa remise en liberté doit être étudiée ce jeudi au Tribunal de grande instance de Paris.
Antifa
Christophe ARCHAMBAULT / AFP

A la question « Pourquoi les antifas et les militants d’extrême droite se mettent tout le temps sur la gueule », les premiers vous répondront qu’il s’agit de tenir la rue. D’empêcher les seconds de véhiculer leurs idéologies et de s’en prendre à certaines personnes qui se retrouvent au mauvais endroit au mauvais moment.

Le 15 avril, une rixe a eu lieu, non loin de la cathédrale Notre-Dame, alors en flammes. « Une confrontation a opposé des militant.e.s antifascistes aux fascistes de Génération Identitaire, des Zouaves Paris et de la Milice Paris. Expulsés de la rue, les fascistes ont porté plainte, ce qui a conduit à l'arrestation, la mise en examen et l'incarcération des antifascistes. Aucun militant fasciste n'a été inquiété », précisait le collectif Libérons-les dans un communiqué daté du 22 avril. Cinq antifas ont été placés en garde à vue, mais un seul est aujourd'hui en détention préventive. Il s’agit d’Antonin Bernanos, déjà mis en cause dans l’affaire du quai de Valmy. Il est incarcéré depuis le 18 avril et la justice lui reproche des faits de « violence commise en réunion » et de « vol avec violence » suite à une plainte déposé par un militant du camp adverse. Autrement dit d’avoir frappé et volé des militants d’extrême droite. Sa remise en liberté doit être étudiée ce jeudi à l’occasion d’une audience qui devrait amener du monde au Tribunal de grande instance de Paris.

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Depuis son arrestation, le jeune homme est trimballé de maison d’arrêt en maison d’arrêt : Fresnes, la Santé et peut-être bientôt un établissement pénitentiaire en province. Au grand dam de ses soutiens qui ne comprennent pas ces mesures et pointent du doigt un acharnement. Un acharnement qui peut trouver son prolongement dans le traitement qui est réservé cet étudiant en sociologie de 25 ans : l’isolement médiatique – dont on ignore les tenants et les aboutissants.

Cette affaire interpelle dans la mesure où les affrontements entre militants antifascistes et d’extrême droite ne sont pas nouveaux. Plusieurs ont d’ailleurs eu lieu au cœur des manifestations des Gilets Jaunes. Et elle pose question dans un contexte sécuritaire assez particulier depuis les mobilisations du début d’année 2019. Pêle-mêle : des manifestants sont envoyés en détention provisoire pendant plusieurs semaines, ou des photographes et vidéastes qui sont la cible de violences policières en manif.

Avant l’audience du jeudi 1er août, Arié Alimi, l’avocat d’Antonin Bernanos a accepté de revenir sur cette affaire.


VICE : Bonjour Maître. Qu'espérez-vous de cette audience ?
Arié Alimi : Je ne peux être confiant car il y a très peu d’éléments sur sa libération. Antonin Bernanos est un détenu particulier. La justice fait tout pour le maintenir en détention provisoire, là où dans un autre dossier il ne le serait pas. On n’aurait pas ouvert une instruction pour un dossier pareil et elle a justement été ouverte pour permettre la détention provisoire longue d’Antonin Bernanos. Dans le cas contraire, il aurait fallu le juger tout de suite, avec un grand risque de relaxe et une absence de détention provisoire.

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Mais un maintien en détention provisoire ne veut-il pas dire que le prévenu représente un danger pour l’ordre public ?
La justice considère qu’il peut y avoir réitération des faits. Il paie son passé et l’image que la police et la justice peuvent se faire de lui.

Pour vous, cela signifie qu’il y a une dérive de l’exécutif, comme celle qu’on a pu observer depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes ?
Il y a eu une politisation de la justice et Antonin Bernanos en est un exemple. On s’en prend à des opposants politiques et la justice est instrumentalisée. Elle ne doit pas être un outil du rétablissement de l’ordre social. La justice est là pour sanctionner une infraction et rien d’autre. Là concrètement, le procureur de la République se sert de l’outil judiciaire comme rétablissement de l’ordre social et de mise sous silence de contestataires politiques. Ça a été pareil lors des mobilisations des Gilets Jaunes.

Selon vous, l’Etat de droit est-il remis en question ?
Oui ça questionne le fonctionnement du processus judiciaire, la façon dont une personne est jugée. Si elle est jugée ou pas de manière impartiale, si la séparation des pouvoirs entre l’autorité judiciaire et le pouvoir exécutif est respectée. Là on a un exemple assez frappant d’une immixtion de l’exécutif dans le judiciaire par l’intermédiaire du procureur de la République.

« C’est la même chose dans l’affaire Antonin Bernanos : faire taire, intimider, ou ramener dans l’ordre traditionnel des personnes qui s’opposent à un ordre politique »

On peut prendre l’exemple de Geneviève Legay [un militante blessé à la tête le 23 mars à Nice, défendue par maître Arié Alimi, NDLR] : on voit bien que le parquet a trop dérivé dans sa fonction. Le procureur de la République de Nice a reconnu auprès de sa hiérarchie qu’il avait menti concernant l’absence de violences policières, pour protéger le chef de l’exécutif qui lui-même avait déclaré qu’il n’y avait pas eu de contact entre les forces de police et Geneviève Legay. Vous voyez bien que le parquet joue ce rôle de cheville ouvrière de l’exécutif dans la justice et c'est la même chose dans l'affaire Antonin Bernanos. Le rôle de l’institution judiciaire est instrumentalisé face à des opposants politiques comme Antonin Bernanos.

Pensez-vous que nous sommes entré dans une nouvelle ère judiciaire ?
Est-ce qu’aujourd’hui en France les opposants politiques subissent une forme de persécution ? A-t-on un ordre social qui est protégé en dépit du bon sens et du fonctionnement de la justice ? Oui clairement et de plus en plus. Encore une fois on instrumentalise l’outil judiciaire et les qualifications judiciaires pour des choses qui n’ont rien à voir avec du judiciaire. Dans l’affaire de Tarnac, on aurait pu juger en comparution immédiate, ou par la voix d’un tribunal traditionnel, des faits de dégradation. On a choisi d’utiliser une procédure complètement disproportionnée, à savoir la procédure terroriste, en essayant de qualifier politiquement des personnes qui pouvaient être des contestataires intellectuels. C’est la même chose dans l’affaire Antonin Bernanos : faire taire, intimider, ou ramener dans l’ordre traditionnel des personnes qui s’opposent à un ordre politique.

Pour vous, sont-ils des détenus politiques ?
Oui il y a une dérive. On commence à poursuivre les journalistes pour les mauvaises raisons, on saisi leur outils de travail. On poursuit des opposants politiques, on les place en détention provisoire en les faisant passer pour des délinquants et parfois pour des terroristes. Oui bien sûr il y a eu une vraie dérive du fonctionnement judiciaire à cause du ministère public qui pense qu’il est le protecteur de l’ordre public et ce n’est pas ça.

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