Crime

La folle histoire de la fusillade de Norco

Ou comment deux fumeurs de joints persuadés de l'imminence de l'apocalypse ont causé la mort de trois personnes après un braquage raté.
Le policier Bolasky, blessé norco
Photo de Riverside Press Enterprise

9 mai 1980, Californie. Cela fait plus d’un an que George Wayne Smith et Christopher Harven habitent ensemble dans une petite maison de Mira Loma, et une dizaine de jours qu’ils préparent leur premier braquage.

Smith, 28 ans, et Harven, 30 ans, ne sont pas encore des criminels, juste des paumés convaincus de l’imminence de l’apocalypse. Le premier croit qu’elle sera biblique car il fréquente l’un des innombrables groupes chrétiens « Born again » du coin. Le second s’est laisser glisser dans le désespoir et la pseudoscience après avoir perdu travail et femme. Il est persuadé que l’humanité va s’effondrer sous son propre poids. À force de mélanger leurs croyances mortifères, les deux amis ont conclu qu’ils devaient se préparer à la fin du monde en mettant beaucoup d’argent de côté.

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Entre deux coups d’arrosoir sur les 300 plants de cannabis qui poussent dans leur jardin, Harven et Smith ont préparé le coup en lisant des traités militaires. Ils ont aussi bricolé des grenades explosives et incendiaires grâce à l’Anarchist Cookbook. Ce 9 mai 1980 est la date fixée pour le braquage. Ils sont prêts. Le frère de Christopher, Russel Harven, 27 ans, a accepté de les aider. Ils ont également fait appel aux frères Delgado : Manuel a 21 ans, Belisaro 17 seulement.

« L’équipe entasse son arsenal aux pieds de l’otage : quatre fusils d’assaut et un fusil à pompe, plusieurs milliers de munitions, des dizaines de grenades artisanales et une bombe »

La matinée touche à sa fin quand les frères Delgado et Russell Harven se mettent en quête d’un véhicule qui permettra de transporter tout l’équipement du commando. Une camionnette verte bouteille attire leur attention sur le parking d’une quincaillerie d’Orange. Son propriétaire, Gary Hakala, s’est garé pour réparer un rétroviseur cassé. Arme au poing, les malfrats l’entraînent à l’intérieur du véhicule et le ligotent. Ils prennent ensuite la route de Corona, au Sud de Norco, où les attendent Christopher Harven et George Smith. Là, l’équipe entasse son arsenal aux pieds de l’otage : quatre fusils d’assaut et un fusil à pompe, plusieurs milliers de munitions, des dizaines de grenades artisanales et une bombe.

Les passe-montagnes et vestes camouflage des quatre hommes trahissent immédiatement leurs intentions. Alors qu’ils parcourent les quelques mètres qui les séparent de l’entrée nord, une employée de la banque située de l’autre côté de la rue les repère. Elle a déjà prévenu la police quand le commando pénètre dans le bâtiment. Le braquage commence. George Smith donne les ordres d’usage en remuant son fusil d’assaut : tout le monde par terre, personne ne bouge. Russel Harven bloque l’entrée ouest avec son AR-15, Manuel Delgado saute sur un comptoir et met les otages en joue avec son fusil à pompe. Christopher Harven empoigne le directeur et lui fait ouvrir le coffre, dont il extrait un peu plus de 20 000 dollars. C’est peu.

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Alors qu’ils quittent la banque, les braqueurs aperçoivent une voiture de police approchant par le Sud sur Hamner, l’avenue qui longe la banque. Ils ouvrent le feu. L’officier Glen Bolasky, 24 ans, sait qu’un braquage est en cours mais il n'est pas prêt. Lorsqu’une balle fracasse son gyrophare dans un claquement sec, il pense qu’une ampoule changée le matin même vient d’éclater et pénètre sans hésiter sur le parking. Sa voiture s’arrête à cinq mètres des malfrats. Il voit les passe-montagnes, pense à les renverser mais n’en a pas le temps : une volée de munitions de guerre détruit son pare-brise. Dans la poussière de verre et les détonations, Bolasky croit rêver un instant. La balle qui rentre dans son épaule gauche le réveille.

« Les balles des fusils d’assaut sont si rapides qu'elles transpercent les sièges et les portières, formant des cratères de taule déchiquetée à quelques centimètres de lui »

Le visage et le bras droit percés d’éclats, le jeune agent se couche sur le siège passager et enclenche la marche arrière sous le feu du commando. La voiture finit sa course en travers de la Quatrième rue, au nord de la banque. Les braqueurs profitent de l’occasion pour embarquer dans la camionnette. Les coups de feu cessent, un silence étrange s’installe. Bolansky s’extrait de son véhicule, fusil à pompe à la main. Il décharge les quatre cartouches de l’arme dans les portes arrières du van qui recule vers lui. Les plombs transpercent le véhicule, le pare-brise explose, Smith est blessé à l’aine. Au volant, Belisaro Delgado s’effondre : un plomb a pénétré dans son cerveau. La camionnette parcourt une cinquantaine de mètres et s’encastre dans un grillage au croisement de la Quatrième rue et de l’avenue Hamner.

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Constatant la mort du jeune Delgado, les quatres braqueurs s’extraient de la camionnette et tirent en direction de Bolasky. Le policier s’est réfugié derrière le bloc-moteur de sa voiture, son seul couvert efficace. Les balles des fusils d’assaut sont si rapides qu'elles transpercent les sièges et les portières, formant des cratères de taule déchiquetée à quelques centimètres de lui. Il riposte avec son revolver de service, en vain. Ses tirs claquent à peine dans le chaos. Le sang coule abondamment de sa blessure, la tête commence à lui tourner, il sent sa peau devenir froide. La peur se glisse dans ses appels à l’aide sur la fréquence de la police. Deux de ses collègues arrivent enfin.

L’agent Antony Delgado intervient en premier. Il arrête son véhicule sur l’avenue Hamner à environ 50 mètres au Nord de la camionnette accidentée et ouvre le feu avec son fusil à pompe. Les braqueurs ripostent sans oublier l’homme qui a tué leur camarade : une balle traverse l’avant-bras de Bolasky alors qu’il tente de récupérer des munitions dans sa voiture. Un troisième policier, Charles Hille, arrive par l’Est sur la Quatrième rue. Il vient de remarquer son collègue blessé quand deux coups sourds claquent sur la tôle de son véhicule. Hille comprend immédiatement qu’on lui tire dessus. D’un coup de volant sur la droite, il s’engage sur un terrain vague et se gare à l’abri d’un petit bâtiment. Il sait que Bolasky est en danger de mort.

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« Ils s’installent en ligne devant leur voiture, comme un peloton d’exécution »

Pris en tenaille, les braqueurs battent en retraite sans cesser de tirer. Hille ne prend pas le risque de riposter. Il bondit sous le feu, traverse le terrain vague et se jette sur le bitume auprès de Bolasky. Le policier blessé luit de sueur, une main sur son épaule blessée, l’autre sur son revolver à demi-vide. Hille recharge son arme et l’entraîne derrière un arbre tout proche, un couvert plus sûr, puis s’élance en direction de sa voiture. Laissé seul, Bolasky lève les yeux : un civil est planté devant lui. Celui-ci demande : « Mais qu’est-ce qui se passe ? » Le policier lui répond qu’il risque de mourir s’il reste là. L’homme décampe, la voiture de Hille approche en zigzaguant. Le blessé bascule à l’intérieur alors que les braqueurs interceptent un pick-up jaune sur l’avenue.

Quatre minutes ont passé depuis le début du braquage. Hille file vers l’hôpital de Corona, le commando prend la fuite vers le Nord. Plusieurs voitures de police arrivent juste à temps pour se lancer à sa poursuite. Gary Hakala émerge de la camionnette, encore ligoté mais sain et sauf. Plus de 500 coups de feu ont déjà été tirés, pour rien : les 20 000 dollars sont éparpillés sur le sol de son véhicule, entre les munitions et les grenades que les braqueurs n’ont pas pu emporter.

Au volant, Gregory Harven dévale Hamner à contresens. Son frère est sur le siège passager, Smith et Manuel Delgado tirent sur leurs poursuivants depuis la benne. Leur plan demande d’atteindre les limites de la ville, où les attendent deux voitures de fuite remplies de matériel de camping et de munitions. Ils n’ont d’autre choix que les dépasser sans ralentir : derrière eux, les gyrophares s’accumulent. Alors que ses camarades concentrent leurs tirs sur un véhicule de police en approche sur la voie opposée, blessant l’agent Darrell Reed au genou, Harven tourne vers l’Est. La poursuite continue dans les petites rues de Mira Loma.

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L’agent Doug Borden croise le pick-up jaune à deux pas d’un élevage bovin. Il enfonce son véhicule dans une clôture sous les rafales mais s’en tire indemne. Quelques virages plus loin, c’est au tour du policier Rolf Parkes de faire face aux braqueurs. La tôle claque, le pare-brise éclate, une balle taillade son crâne mais il fait demi-tour et se mêle à la poursuite. Le pick-up s’engage dans un carrefour où l’attendent trois voitures de police, qui sont immédiatement prises pour cible. L’un des conducteurs, Herman Brown, reçoit une volée d’éclats dans les jambes. Sur la fréquence radio des forces de l’ordre, des cris paniqués se chevauchent sur fond de sirènes.

Les braqueurs tirent tellement que les policiers les croient dotés d’armes automatiques. Derrière eux, les véhicules détruits par les balles s’amoncellent mais les flashes bleu et rouge ne disparaissent pas. Smith, Russell Harven et Manuel Delgado décident d’attaquer les civils pour faire diversion. Ils mitraillent une voiture sans atteindre le conducteur puis un groupe d'enfants de 12 ans. L’un d’entre eux reçoit une balle dans le doigt. Un hélicoptère venu d’un commissariat voisin apparaît au-dessus du chaos, ajoutant au vacarme des coups de feu. Les braqueurs dirigent leurs tirs sur lui. L’Interstate 15, leur meilleure chance de s’échapper, est à quelques centaines de mètres.

« Plusieurs véhicules s’approchent à pleine vitesse. James Evans, 39 ans, s’enfonce dans le piège en premier »

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Une balle perce le plancher de l’hélicoptère et détruit les circuits électriques du tableau de bord. Des flammes montent dans l’habitacle. Le pilote n’a d’autre choix que prendre la fuite. Au sol, le pick-up jaune s’insère sur l’Interstate 15 en direction du Nord. Profitant de cette autoroute large et rectiligne, Smith et Delgado jettent des grenades pour creuser les distances et prennent le temps de viser. Leurs balles frappent des voitures plusieurs centaines de mètres en arrière. Un message radio ordonne aux agents d’éteindre leur gyrophare : les malfrats s’en servent pour viser. La course-poursuite dure depuis 40 minutes quand Harven quitte l’Interstate 15 en direction des monts San Gabriel.

L’ascension commence. Sur les petites routes de montagne, le bitume se change bien vite en terre mais le pick-up ne ralentit pas. Les braqueurs ont une longueur d’avance. Lorsqu’une portion de route effondrée les oblige à abandonner leur véhicule, ils décident de tendre une embuscade aux policiers. Ils s’installent en ligne devant leur voiture, comme un peloton d’exécution. Le pilote d’un nouvel hélicoptère comprend leurs intentions et tente de prévenir les forces au sol, en vain : l’appareil émet sur une fréquence auxquelles les voitures n’ont pas accès. Plusieurs véhicules s’approchent à pleine vitesse. James Evans, 39 ans, s’enfonce dans le piège en premier.

Les quatre criminels vident leurs chargeurs de 30 cartouches sur le pare-brise d’Evans. Étrangement indemne, le policer ouvre sa portière, se jette par terre et rampe derrière sa voiture. Il riposte avec son arme de service. Les six coups se perdent dans la forêt alentour. Les arbres sont hauts sur la pente raide, il fait humide. Le policier recharge, lève la tête, tire une septième fois. Il meurt instantanément quand une balle le frappe à l’œil gauche. Il est presque 16h30. Les policiers McCarty et McFerren, cloués au sol quelques mètres derrière, sont témoins du meurtre. Les braqueurs avancent vers eux.

McFerren se cache derrière la voiture, McCarty reçoit une balle dans le bras droit. La fusillade est telle qu’il se réfugie sous le véhicule et creuse le sol à mains nues pour tenter de se protéger. Il s’est lancé dans la course-poursuite en emportant le fusil d’assaut M16 de son commissariat mais ne sait pas s’en servir. Comme Evans, il ne peut que vider son revolver de service en direction des braqueurs. Les rafales de ces derniers ne faiblissent pas. Saisi par la peur de mourir, McCarty s’extrait de sa cachette, empoigne le M16 dans la voiture et le braque sur ses assaillants. Il tire sur un levier, appuie sur un bouton au hasard, presse la gâchette. Les coups partent. Smith, Delgado et les Harven prennent peur, enfin. Abandonnant leur équipement, ils franchissent la route effondrée et s’enfoncent dans la forêt. Les policiers ne les poursuivent pas. Ils couvrent le corps d’Evans et attendent les renforts.

Les recherches commencent à la tombée de la nuit. Plusieurs hélicoptères et plus de 200 agents prennent part aux battues dans la brume, la pluie et les températures négatives. Cela ne donne rien. Au petit matin, quatre policiers du commissariat de San Bernardino se rendent en voiture au quartier général aménagé dans la forêt. Deux silhouettes apparaissent sur leur route. Ce sont les frères Harven, trempés et tremblant de froids. Russell porte trois armes de poing : ils pourraient tirer, tenter quelque chose, mais ils se rendent sans résistance. Un peu plus à l’Ouest, Smith entend deux policiers approcher de sa cachette. Il émerge les mains en l’air. Ne reste que Manuel Delgado.

Le frère survivant s’est réfugié sur les hauteurs sous d’épais buissons. Deux agents du SWAT le surprennent par le flanc. Officiellement, Delgado refuse de se rendre et se retourne revolver à la main, contraignant les policiers à ouvrir le feu. Le premier tire trois décharges de fusil à pompe, le second trois balles de fusil d’assaut. Dans un ultime sursaut, le braqueur se tire dans le cœur. La fusillade de Norco est terminée. Trois personnes sont mortes, plus de trente véhicules ont été détruits. Smith et les frères Warren seront condamnés à la prison à perpétuité en 1982.

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