Euro Communiste

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Sports

J’ai maté l’Euro avec les Jeunes communistes d’Angers

Blagues sur Lénine et frites à foison : j'ai suivi la compétition dans un local du Maine-et-Loire.

C'est dans un climat relativement tendu que l'Euro de football s'est ouvert le 10 juin dernier. Entre la mobilisation contre la loi Travail, les violences policières qui l'accompagne, la prolongation de l'état d'urgence, l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution et la crainte d'un nouvel attentat, le cocktail sécuritaire et anxiogène concocté par les pouvoirs publics ne manquait pas d'étouffer les inclinations libertaires et enjouées des supporters hexagonaux.

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On connaît la propension qu'ont les politiques à s'emparer du moindre évènement sportif pour en faire une tribune au service de leurs intérêts. De la France black-blanc-beur à la non-sélection de Karim Benzema en passant par la grève des joueurs à Knysna ou celle de la SNCF avant l'Euro, le football – sport le plus populaire et donc le plus convoité – a toujours servi de marchepied à l'arrivisme crasse.

Alors que les révélations se multiplient au sujet du financement des nouveaux stades – sortis de terre par l'intermédiaire des très critiqués partenariats public-privé – on exige du contribuable qu'il oublie pendant quelque temps ses revendications et qu'il se contente d'agiter gentiment un drapeau tricolore. Autant le dire : l'Équipe de France avait « du pain sur la planche » avant de ramener un semblant de sérénité dans le pays.

Afin d'en apprendre un peu plus au sujet du regard porté par des gens dits « politisés » sur une compétition propre à anesthésier pendant quelques semaines la psyché des individus, j'ai pris la direction du siège du Parti Communiste (PC) d'Angers. Là, des jeunes du département du Maine-et-Loire se sont réunis pendant un mois pour mater les matches de l'équipe de France. C'est seulement lors du troisième match de poule que j'ai entendu parler de ces réunions semi-privées entre « camarades », ce qui explique mon absence lors des victoires arrachées in extremis contre la Roumanie et l'Albanie.

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Je me voyais bien atterrir dans une communauté située à mi-chemin entre le pédantisme anti-ballon rond des auditeurs de France Culture et l'intérêt pour « la chose populaire » typique des lecteurs du Monde Diplomatique. Pour certains, le football est simplement synonyme d'argent sale, de cul-terreux et d'absence de conscience politique de la part de « millionnaires applaudis par des smicards ». Sauf que le football est aussi le dernier lien social dans de nombreux territoires jugés – avec un mépris assez peu dissimulé – comme étant périphériques. À ce titre, la liesse qui accompagne la retransmission publique d'un match me fait songer aux clameurs des manifestations – un espace de socialisation intense, qui charrie ses propres rituels : chants, sifflets, drapeaux, etc.

Le siège du Parti Communiste d'Angers se situe dans un quartier tout neuf de la ville. Des petits immeubles de cinq étages succèdent à de beaux espaces verts. Une affiche frappée d'un logo rouge est tout juste discernable derrière une vitre. Le local est entièrement blanc : le plafond, les murs, le sol. Vincent, le responsable de la section angevine, raconte avoir passé l'après-midi à refaire le bar avec ses camarades en prévision de la fête de l'Humanité – programmée en septembre. « Il s'appelle le Vladimir y liche », me dit-il. Je mettrai quelques secondes à comprendre l'astuce. Sinon, un barbecue et une friteuse nous attendent dans l'arrière-cour.

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Une vingtaine de chaises ont été disposées pour accueillir les Jeunes communistes du coin. Vincent se met en quête d'un site de streaming afin de suivre France-Suisse. Au final, une dizaine de personnes regarderont le troisième match des Bleus. La section d'Angers des Jeunes communistes compte 130 adhérents ou sympathisants. Parmi eux, on croise des étudiants, des lycéens et des jeunes travailleurs. C'est une « organisation politique de jeunesse » qui accueille des individus entre 15 et 30 ans – individus qui n'hésitent pas à se référer au marxisme-léninisme.

Je me retrouve baigné dans une agréable ambiance estudiantine mâtinée de questions assez précises du genre : « Comment les journalistes font-ils pour se forger une opinion politique s'ils vont tous dans des écoles de droite ? » Je bafouille des trucs sur Daniel Schneidermann et Hunter S. Thompson, sans trop y croire.

Quant au match, la qualification étant presque en poche, il s'agit surtout de faire plaisir au public. Malheureusement, la France et la Suisse se « neutralisent » et la rencontre se solde par un triste 0-0. Je profite de cette torpeur pour avaler un sandwich à la saucisse, quelques frites et une canette de bière – le tout contre un peu d'argent destiné à renflouer les caisses du Parti. En effet, lors des élections régionales de novembre 2015, le candidat Alain Pagano n'a pas atteint les 5 % garantissant le remboursement des frais de campagne – ce qui a contribué à déstabiliser financièrement les sections du Parti communiste situées dans la région. Une secrétaire embauchée à temps partiel va d'ailleurs être licenciée prochainement faute de moyens.

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Une semaine plus tard, le dimanche 26 juin, le local est presque vide – l'heure est plutôt « matinale » pour certains. Les fêtards de la veille arrivent alors que Hugo Lloris a déjà concédé un but sur penalty face à l'Irlande. Tandis que le match s'écoule dangereusement, je fume des clopes dans la cour et écoute les conversations au sujet des imperfections de la presse locale. L'un de mes interlocuteurs bosse dans le développement durable. Il est passé par la « JC » avant de rejoindre le Parti. À ses côtés, une fille considère que les journalistes font preuve d'un véritable « mépris de classe » lorsqu'ils raillent le parler des footballeurs.

Il faut attendre la 58e minute pour voir la France égaliser, avant de prendre le dessus peu de temps après – toujours grâce à Griezmann. « On respire un tout petit mieux », affirme Bixente Lizarazu sur TF1. Le public scande « Aux armes ! », ce que la petite assemblée s'empresse de reprendre en chœur. « On gueule ça pendant les manifs », me précise un mec afin d'expliquer ce soudain accès d'enthousiasme. Aujourd'hui, on me paye une bière à la fin du match.

À la fin du match, un gars de 50 balais évoque Jean-Luc Mélenchon. Un type près de lui, âgé d'une quarantaine d'années et militant à Lutte Ouvrière, prend la parole. « Mélenchon, c'est un politicien », tranche-t-il.

France-Islande, où le choc imprévu en ce dimanche 3 juillet. Dès le début de la rencontre, les Bleus assomment leurs concurrents et s'assurent une place en demi-finale. La friteuse est de sortie et je passe plus de temps dehors à fumer des clopes qu'autre chose. On entend des cris de joie provenant des balcons alentour – un quatrième but est annoncé, et nous nous ruons dans le salon pour l'admirer « en direct » via notre streaming, qui souffre d'un retard de quelques secondes.

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À la fin du match, un gars de 50 balais évoque Jean-Luc Mélenchon. Un type près de lui, âgé d'une quarantaine d'années et militant à Lutte Ouvrière, prend la parole. « Mélenchon, c'est un politicien », tranche-t-il. Pas question d'alliances pour 2017. Sinon, le barbecue électrique a été remplacé par une plancha.

Lors du choc France-Allemagne, quelques visages arborent des maquillages tricolores. Deux drapeaux français trônent dans la salle. Trente personnes sont présentes. On descend des canettes de bière et de la vinasse. Quelques blagues sur les Allemands fusent.

La première mi-temps est une longue résistance face aux vagues allemandes. Il faut une main de Bastian Schweinsteiger dans la surface de réparation pour que la France respire. À la mi-temps, un étudiant en sociologie affirme que le marxisme est une science. Une fille porte des bottes noires qu'elle a « glanées » – signifiant à ses interlocuteurs qu'elle les a récupérées dans les bennes situées près des grands magasins. Elle porte sur chaque joue un trait de maquillage bleu-blanc-rouge.

À la 72e minute, Antoine Griezmann double la mise. Un couple d'amoureux nouvellement bacheliers s'embrasse. Les klaxons résonnent dans la ville – même dans une ruelle déserte située dans l'est d'Angers.

« On est les seuls à ne pas avoir de drapeaux », se lamente un type avant la finale, conscient de l'omniprésence des bannières tricolores dans le pays – et notamment dans le Maine-et-Loire, du fin fond du Choletais au centre-ville d'Angers. Au siège du Parti, l'ambiance est plus feutrée qu'ailleurs. Une averse force les organisateurs à transférer la plancha et la friteuse à l'intérieur du local – qui ne tardera pas à s'emplir d'une forte odeur de friture.

« Va y avoir une putain d'action pour la France ! », hurle un gars qui a entendu les voisins s'exclamer. Par malheur, notre streaming a toujours du retard sur celui des environs – ce qui fait que les offensives françaises appartiennent toutes à la catégorie du dérisoire. Une blessure, des occasions, quelques poteaux et un tir improbable plus tard, la France perd. Je quitte les Jeunes communistes d'Angers, qui rentrent chez eux en silence.