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Une seringue dans le bras et des flics à ma porte : comment j’ai touché le fond

L'histoire d'une héroïnomane, de son addiction et des ratés des politiques antidrogue.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Illustration de Corey Brickley
Illustration de Corey Brickley

Illustration de Corey Brickley

Cet article est un extrait du livre de Maia Szalavitz, Unbroken Brain, qui paraîtra le mois prochain chez St. Martin' Press.

J'ai ouvert la porte avec une aiguille plantée dans le bras.

Sept flics de la brigade des stups ont fait irruption en hurlant – cinq mecs baraqués et deux femmes. Je me suis dépêchée de prendre ma dose avant de tout jeter par terre, discrètement. J'attendais Lina, qui devait revenir avec l'argent de la coke que Matt et moi lui avions filé. Je souffrais d'une infection de l'oreille – c'est grâce à ça que j'avais chopé l'antidouleur que je m'injectais. C'était du Demerol, fourni par le service médical de ma fac, Columbia. J'étais vraiment très malade : le médecin m'avait prescrit un opiacé alors qu'il connaissait mon passé d'héroïnomane.

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Bien entendu, je n'étais pas censée prendre du Demerol en intraveineuse. En fait, j'avais réussi à me sevrer pendant quelques mois, en espérant être réadmise à la fac après mon « année sabbatique ». Mes vieux démons avaient fini par reprendre le dessus. J'étais stupide de croire que je pourrais m'en sortir aussi facilement.

Avant cette horrible journée de septembre 1986, limiter ma consommation de drogue me paraissait chose facile, du moins en théorie. Je n'étais pas vraiment une adepte du sevrage total – je replongeais toujours au bout de quelques semaines. Cette brève période d'abstinence que je venais de briser avec le Demerol avait débuté à la suite d'une expérience douloureuse.

À force de partager mes seringues, j'avais contracté l'hépatite A un peu plus tôt dans l'été. Normalement moins grave que les hépatites B et C, cette maladie m'a pourtant pourri la vie. N'importe quel aliment me semblait empoisonné. Si j'essayais d'avaler ne serait-ce qu'une petite quantité de matière grasse, j'avais automatiquement la nausée.

J'ai compris que j'étais malade quand je me suis rendu compte que l'héroïne ne soulageait pas mes symptômes. J'étais terrifiée. Le sang dans mon urine et des selles grises m'ont menée tout droit aux urgences. J'étais si malade que je ne pouvais rien ingurgiter. Dans cet état-là, il m'a été relativement simple d'arrêter la drogue.

C'était si simple qu'une fois sortie de l'hôpital, j'étais persuadée que mon problème de drogue était résolu. Je ne comprenais pas que le sevrage ne suffisait pas à mettre fin à une addiction. Je croyais encore que l'addiction était avant tout une dépendance physique.

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Je devais réintégrer Columbia une semaine plus tard. On m'avait autorisée à reprendre les cours parce que j'avais réussi à convaincre les profs que, grâce à l'hépatite, j'avais enfin dit adieu à la drogue.

Lors de mon épreuve de réadmission, j'ai évoqué ma maladie et mon désir de rétablissement. À mon grand étonnement, j'ai parlé ouvertement du mal qui me rongeait. Mes camarades savaient que j'avais arrêté les cours à cause de la cocaïne, mais ils ignoraient la suite – l'héroïne, mon problème au foie. Je pensais vraiment prendre un nouveau départ. Je n'ai juste pas mentionné le fait que je vivais et travaillais avec un dealer de coke. Je ne savais pas encore comment régler ce petit détail.

En y repensant, j'ai vraiment honte des événements qui se sont déroulés par la suite dans cet appartement de la 49 e rue, à côté du Radio City Music Hall et du Rockefeller Center. C'est l'exemple même d'un comportement irréfléchi engendré par la dépendance. J'ai perdu tous mes moyens quand j'ai ouvert la porte et que j'ai compris qu'il ne s'agissait pas de Lina, notre cliente. Ses « amis » s'avéraient être la brigade des stups de Long Island. Un pote de Lina l'avait dénoncée pour éviter la prison.

Lina était une étudiante naïve de deuxième année à la New York University, originaire de Nassau County à Long Island. Elle avait des cheveux noirs, quelques piercings et était plutôt sophistiquée. Son pote avait été chopé en flagrant délit. Afin d'alléger sa peine, il n'avait pas hésité à la balancer.

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J'avais connu Lina dans l'une des boîtes les plus branchées des années 1980. C'était une période heureuse. Je ne me droguais pas encore. Ironie du sort, Lina ne vendait pas de drogue, et c'est à peine si elle en consommait. Elle prenait un peu de coke à l'occasion et en revendait à l'un de ses potes, pour lui rendre service. À ce moment-là, je ne savais pas encore que, pendant que la police retournait mon appartement, Lina avait déjà été arrêtée et patientait dans un camion en bas de mon immeuble.

Deux des flics m'ont fait sortir dans le couloir. J'étais défoncée, fiévreuse, complètement abasourdie – mais surtout terrifiée. Je voyais leurs flingues dans les étuis. Ils ont agité un formulaire devant moi en me promettant que si je le remplissais, je ne serais pas arrêtée. J'ai obtempéré, bêtement. Encore aujourd'hui, je ne sais pas ce qui m'a pris : ce devait être le mélange de peur, de fièvre et de grande naïveté. C'est sans doute la chose la plus stupide que j'ai jamais faite – mis à part vendre de la drogue.

Bien sûr, les flics se foutaient de moi. Je m'en serais rendu compte si mes pensées avaient été plus claires. Le fameux document était un mandat de perquisition. Si je ne l'avais pas signé, ils n'auraient sans doute jamais pu me poursuivre en justice.

Les stups se sont alors précipités dans ma chambre. Matt était en train de peser de la coke, en caleçon. Il y en avait une grosse quantité, au moins un kilo. À côté du bureau étaient planqués 17 000 dollars en cash.

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Les flics fouillaient notre appartement et se moquaient du bordel qu'ils généraient. Leur comportement était tellement caricatural que ça rendait la situation encore plus irréelle. Un des types, baraqué, portait un t-shirt Hard Rock Café.

Matt, pourtant chopé la main dans le sac, n'était même pas emmerdé. Quant à moi, j'étais menottée. Je me souviens avoir été poussée dans l'ascenseur. Alors que j'étais sur la 49e rue, j'ai ressenti, l'espace d'un instant, un étrange sentiment mêlant soulagement et liberté. Ce que je redoutais le plus au monde venait d'arriver ; je n'avais plus à m'en inquiéter. Puis la peur revenait, encore plus forte qu'auparavant.

Illustration de Corey Brickley

J'allais passer les cinq prochaines années de ma vie à payer le prix de cette journée. Je n'allais pas guérir avant deux ans et mon addiction allait encore empirer après mon arrestation. Certes, le système pénal a sans doute raison de s'attacher à lutter contre le trafic de drogue. En revanche, il s'avère inefficace pour ce qui est de gérer les addictions. Mon expérience le prouve, et ce n'en est qu'une parmi des millions.

Une addiction n'est pas synonyme de dépendance à une substance en particulier. Si ce n'était que cela, le système pénal suffirait pour en venir à bout. Une addiction dépasse le cadre de la simple réponse physiologique.

Réfléchissez-y une minute. Les toxicomanes continuent à prendre de la drogue, quitte à perdre leur boulot, leur petit(e) ami(e), leur logement, leur famille, leurs rêves – parfois des parties de leur corps. J'ai continué à en prendre après avoir contracté une maladie qui me donnait l'impression d'avoir été empoisonnée, après avoir été virée de la fac que j'avais toujours rêvé d'intégrer. J'ai continué à en prendre malgré le risque d'overdose, la paranoïa généralisée.

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Partir du principe qu'une expérience douloureuse peut mettre fin à une addiction n'a aucun sens. Les toxicomanes prennent de la drogue pour tenter de gérer leur détresse. Leur ajouter de la détresse supplémentaire ne va rien arranger.

De nombreuses études démontrent que le cerveau d'un toxicomane ne réagit pas de manière logique aux notions de récompense et de réprimande. Le désir de récompense surpasse souvent la peur d'une future sanction.

Pourquoi autant de gens sont-ils convaincus que pénaliser la drogue permet aux addicts de « remonter la pente » ? Difficile à dire. Ce que j'aimerais comprendre, c'est pourquoi les traitements punitifs qui considèrent l'addiction comme une maladie ne la traitent pas en tant que telle.

Le problème vient sans doute de nos lois et de leur histoire. Pour paraphraser le génétiste Theodosius Dobzhansky, le traitement des addictions et la politique antidrogue n'ont aucun sens sauf si on les considère d'un point de vue historique. Afin de comprendre comment on en est venu à « traiter » par la sanction une maladie qui par essence lui résiste, nous devons analyser la façon dont les idées reçues sur l'addiction ont influencé notre législation.

La première loi drogue aux États-Unis est née à l'époque de la ségrégation raciale. Le concept d'un toxicomane noir « diabolique » a permis de crédibiliser le système en place. Cette politique antidrogue tournée contre les minorités n'a pas pris fin au cours des années 1960, bien au contraire. En 1971, Richard Nixon a lancé sa « guerre contre les drogues » dans le cadre d'une stratégie du Parti Républicain visant à convaincre certains électeurs démocrates du sud du pays de basculer à droite, déçus par les réformes consécutives au mouvement des droits civiques.

Par la suite, Ronald Reagan a ajouté son grain de sel en insistant sur des mots comme « délit », « drogues » et « urbain » afin d'inciter les électeurs racistes à voter pour les Républicains, les seuls capables de lutter contre les dérives des Noirs. Comme le souligne Michelle Alexander dans son best-seller The New Jim Crow, ce renforcement des lois antidrogue a permis d'incarcérer des millions de Noirs américains.

Tout cela permet d'expliquer en partie pourquoi les Américains défendent encore une politique antidrogue répressive vouée à l'échec.

Extrait de Unbroken Brain de Maia Szalavitz. Tous droits réservés à l'auteur. Réédition d'après l'aimable autorisation de St. Martin's Press, LLC.

Suivez Maia Szalavitz sur Twitter.