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Interviews

Conversation avec un fabriquant de faux billets

David, faussaire français, nous a raconté comment il arrivait à écouler ses euros contrefaits.
faux billet
Un billet de 50 euros passés aux rayons UV.

En France, la contrefaçon de monnaie est l'un des trafics les plus sévèrement réprimés : 30 ans de réclusion criminelle et des amendes s'élevant jusqu'à 450 000 euros. Les policiers français traquent ainsi sans relâche les faux-monnayeurs, même lorsque ceux-ci bronzent au soleil, en planque, à l'autre bout du monde. C'est ce qui est arrivé en janvier 2016 aux trois Français qui se livraient à ce trafic juteux depuis la Thaïlande.

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Pourtant, selon les estimations de la Banque centrale européenne (BCE), les faux euros en circulation seraient en nette hausse. Environ 899 000 faux billets ont été signalés en zone euro en 2015, soit quelque 61 000 de plus qu'en 2014. Sans surprise, la majorité des billets contrefaits sont ceux de 50 et 20 euros. Les grosses coupures éveillant rapidement des soupçons chez les commerçants et autres particuliers, elles sont de plus en plus délaissées par les faussaires du continent.

Loin des grosses usines à faux billets tenues par la Camorra napolitaine, j'ai rencontré David*, qui possède sa propre petite imprimerie, quelque part en France. D'après ses dires, il arrive à arrondir ses fins de mois difficiles en produisant des faux qu'il qualifie lui-même de « bas de gamme », profitant notamment du manque de réseau de ses clients pour les vendre.

Il a accepté de me dévoiler ses combines pour produire et écouler facilement des faux euros relativement mal faits.

VICE : Salut David. Tu as eu besoin de quel matériel pour produire de faux billets ?
David : Si tu veux faire des faux billets bas de gamme, tu n'as pas besoin de grand-chose. Un ordinateur, plusieurs logiciels de conception graphique, une imprimante, et un template de billets. Un template réussi, c'est de loin la chose la plus importante ; j'y ai travaillé dessus des centaines d'heures. Il te faut également du papier coton et des hologrammes ; ça te coûtera 1 000 euros pour 10 000 hologrammes. Pour les deux derniers éléments, tu peux les trouver facilement sur le site Alibaba, chez les vendeurs chinois. Ils savent clairement ce que tu comptes faire avec ça. Et ils s'en contrefoutent.

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OK. Tu commandes tout ça directement à ton adresse ?
Non, je ne reçois jamais la commande chez moi. Si les douaniers découvraient du papier coton – mais surtout des hologrammes – dans un colis, j'aurais sûrement le droit à une visite matinale de leur part. C'est pour ça que j'utilise des « drops », c'est-à-dire des boîtes aux lettres d'immeubles inutilisés que j'ouvre grâce à un « passe PTT » [ le passe-partout des facteurs, N.D.L.R.], acheté sur le deep-web.

Tu prétends que tu produis des « billets bas de gamme ». Qu'est-ce que cela signifie ?
Eh bien, ce sont des billets mal faits, de ceux à passer de nuit au livreur de pizza du coin.Malgré tout, ils trouvent preneur assez vite. Il faut dire que je fournis un petit plus en assurant un service après-vente et en glissant quelques petites quelques astuces à mes clients pour rendre les biftons plus crédibles. Par exemple, pour éviter que le papier soit trop « propre », on va essayer de le rendre plus lourd, moins lisse, et pour ce faire on va utiliser de la laque pour cheveux que l'on applique sur le billet, à environ 50 cm de celui-ci. Sur certains billets ça fait changer la teinte certes – mais pas sur les miens.

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Le template d'un faux billet de 50 euros.

Peux-tu revenir à l'origine de ton parcours ? Comment en es-tu arrivé à produire des faux billets, en fait ?
C'était il y a trois ans environ. À cette époque, j'étais en galère de thune après une longue période de chômage ; je ne trouvais pas de travail dans ma branche. J'ai donc cherché un moyen de gagner de l'argent rapidement, et sans me casser le dos dans un job de merde.

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Au même moment, un ami venait de toucher des faux billets. Il avait payé ça un peu cher – environ 7 euros le billet de 20 euros – mais ça valait le coup : c'étaient des billets de première qualité.Le genre qu'on voit très rarement dans la rue, avec un papier pas trop lisse, des dimensions similaires aux vrais, une impression qui respecte bien les couleurs originales des billets, un hologramme avec un bon relief et surtout, la présence d'un grattoir de bonne facture qui rassure le pigeon en cas de doute.

Et donc, ton ami t'a proposé un marché.
En effet : il avançait l'argent et moi je me chargeais de les écouler. Vu ma situation financière, je n'étais pas en mesure de refuser. J'ai donc fait le tour des petits supermarchés ; mon objectif, c'était d'acheter une bouteille d'eau pour récupérer un maximum de monnaie. Et au fur et à mesure j'ai pris confiance en moi. Puis je me suis lancé dans des plans Leboncoin.

Qu'est-ce qu'un « plan Leboncoin », au juste ?
C'est simple : au lieu de faire le tour de tous les petits commerçants en bas de chez toi, c'est beaucoup plus facile de contacter des particuliers pour acheter du matériel high-tech. Quand je téléphonais pour fixer un rendez-vous, j'essayais toujours de repérer la voix d'un jeune adulte, ou d'une personne âgée. Ce sont eux qui ont le plus de mal à reconnaître les faux.J'avais donc acheté un smartphone « jetable » à 45 euros puis une carte SIM activée sous un faux nom, et disposant d'un accès internet. Et je les arnaquais.

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Aussi, j'évitais d'arnaquer trop de gens dans la même zone. J'essayais de rendre le travail d'investigation des flics le plus difficile possible.

Combien de fausse monnaie as-tu réussi à écouler avec cette technique ?
L'équivalent de 10 000 euros. Les plans Leboncoin m'ont permis d'écouler plus vite les billets, notamment en évitant de fait les caméras de surveillance des supermarchés. Et la hi-fi ou les ordinateurs que je récupérais, je pouvais les revendre au même prix dans la journée.Puis, une fois les 10 000 euros écoulés, on a voulu faire une plus grosse commande. Mais notre contact, qui était seulement un intermédiaire, n'en avait plus, et a refusé de nous filer son fournisseur. C'est là que j'ai décidé de me lancer dans l'impression.

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L'hologramme d'un faux billet de 50 euros.

C'est là que tu as décidé de te lancer dans l'impression de faux billets.
Exactement. Mais dans la « rue », en tout cas là où j'habite, personne ne sait faire de faux biftons. Donc j'ai fait mes recherches, comme tout le monde sur le « clear web », puis je me suis rapidement tourné vers le « deep web ». J'ai commencé par les forums français comme French Deep Web par exemple. Ce site est une mine d'or, et permet d'accumuler beaucoup de connaissances. Des choses qu'on ne t'apprend pas dehors. Puis il fait le lien avec les markets anglophones qui sont encore plus fournis en savoir-faire criminel.En fouillant des centaines d'heures sur ces sites, en achetant plusieurs tutoriels plus ou moins sérieux et en gaspillant beaucoup de papier, j'ai réussi à réaliser mes premiers billets potables de 50 euros.

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Puis, au fil des essais, tu t'améliores. Peu à peu, tu ajoutes des sécurités supplémentaires sur ton billet, qui permettent de déjouer le Pentest ou le test des UV notamment.

Aujourd'hui, cette activité te rapporte combien par mois ?
Pour moi c'est une activité irrégulière. Je me fixe un certain montant à refourguer, puis une fois que j'arrive à ce chiffre, je m'arrête. Je dois être actif au maximum trois mois dans l'année. C'est uniquement pour compléter mes revenus. Depuis, j'ai retrouvé du taf et avec ça je double mon salaire tous les mois. Ça me permet d'améliorer mon quotidien : je me paie de bons restos, je peux partir en vacances et mettre un peu de côté, c'est-à-dire faire des choses que je ne pouvais pas faire avec un simple Smic.

Tu n'as pas peur de te faire serrer ?
À vrai dire si, extrêmement. Produire de faux billets, c'est un crime contre l'État. Néanmoins, j'essaie de minimiser les risques.

Comment tu fais ?
Pour commencer, je garde le matos chez moi uniquement lorsque je suis en période de production. Dès que l'impression est terminée, tout retourne directement dans une planque. Aussi, je travaille toujours avec des gants afin de ne pas laisser d'empreintes sur mes billets. Bien qu'ils soient manipulés par beaucoup de personnes, on ne sait jamais, les flics pourraient faire un rapprochement avec mes empreintes sur plusieurs billets. D'autant plus que je suis déjà fiché pour diverses petites bêtises – ils ne mettraient pas longtemps à m'identifier.

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Et au niveau de la vente, comment ça se passe ?
Je prends également des précautions. Dans la rue, je vends uniquement à un petit cercle de connaissances. Si l'un d'eux se faisait serrer, je pense qu'il ne me dénoncerait pas. Toutefois, comme la majorité de mon chiffre d'affaires se réalise sur les divers markets du deep web, là aussi je prends mes sécurités.

Tu peux m'expliquer comment tu opères ?
L'ordinateur dont je me sers pour faire mes ventes sur ces markets a été acheté en liquide, et d'occasion. Pour la connexion Internet j'essaie d'être le plus difficile à retracer. J'utilise un VPN no log plus TOR et je me passe de Windows – je préfère Ubuntu. Tout ceci est censé me rendre anonyme. Mais comme je ne suis pas un monstre en informatique, j'ai rajouté une sécurité supplémentaire en me servant d'une clef 4G avec une carte SIM activée sous un faux nom. Comme ça même si les flics remontaient jusqu'à moi, ils auraient uniquement une zone de connexion plus ou moins équivalente à 100 mètres.

En plus je ne reste jamais très longtemps sur ces markets moi ce que j'aime bien faire c'est vendre en grosse quantité sur une très courte période, une fois mon stock proche de la fin, je commence à « scammer »…

C'est-à-dire que tu arnaques tes clients ?
La plupart des markets – français comme internationaux – possèdent un « mode Escrow », qui est censé éviter les arnaques, que ce soit du côté client ou vendeur. Ledit mode Escrow consiste en ceci : un membre de confiance du staff va garder l'argent le temps que le vendeur fournisse le produit au client. Une fois que le colis est reçu il relâche les fonds au vendeur.

C'est pourquoi, dès que j'arrive à environ 75 % de mon stock, je prétexte à mes clients que suite à des « différends avec les membres de l'équipe de modération », je ne passerais plus par le mode Escrow. Pour rassurer tout le monde, au début je continue à livrer la marchandise. Mais dès qu'ils sont tous rassurés, je commence à prendre des commandes que je n'envoie jamais. Ensuite je disparais pendant un certain temps et je reviens sous un autre pseudo.

À qui iront se plaindre les clients ? À la police ?

*David est un nom d'emprunt. Pour des raisons évidentes, il a tenu à rester anonyme.

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