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Culture

Mon job ? Écrire des phrases d'accroche pour les riches qui draguent en ligne

Samantha passe ses journées à donner des conseils à des bourges qui n'y comprennent rien au Jeu de l'amour et du hasard.

Certaines personnes sont vraiment, vraiment douées pour les rencontres en ligne. Elles sont capables de jongler entre une dizaine de conversations à la fois, d'éloigner les prédateurs grossiers et de pousser de parfaits inconnus à accepter de les rencontrer en public. OK, pourquoi pas. Parfois, je me dis qu'il s'agit d'une compétence troublante, mais ce n'est que mon point de vue.

En revanche, je n'aurais jamais imaginé qu'une telle compétence puisse être utile sur le marché du travail – un truc que l'on peut mettre sur son CV. Il s'avère que de grandes entreprises exploitent ce talent. J'ai rencontré Samantha, une étudiante de 21 ans qui travaille dans ce domaine pour joindre les deux bouts. S'il est, selon elle, impossible de devenir riche en flirtant avec des bourges étant plus vieux que votre mère, il n'en demeure pas moins qu'une telle industrie peut vous dépanner quand vous avez besoin de thunes. Je lui ai posé quelques questions afin de mieux comprendre les tenants et les aboutissants d'un marché florissant.

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VICE : Salut Samantha. Comment en es-tu arrivée à faire ça ?
Samantha : Décrocher ce job a été bien plus compliqué que je ne le pensais. Le recrutement consistait en une série de tests. On m'a d'abord demandé de prendre part à un va-et-vient de messages hypothétiques afin d'obtenir un rencard. L'un des tests impliquait de regarder l'extrait d'un entretien de deux heures d'un type et de créer son profil en conséquence, en disant des trucs de manière nunuche et « charmante ». Ensuite, il fallait rédiger des phrases d'accroche.

Quel est le meilleur moyen d'obtenir un rencard, selon ton expérience ?
Tout est question de quantité – on parle à 20 femmes en même temps par client, voire plus. Il faut, en moyenne, cinq à huit messages pour obtenir un numéro. Il faut créer de bons rapports avant de dire « faisons ça hors ligne ». Tellement de recherches ont été menées là-dessus, ça m'a étonnée. Ma boîte a des centaines de feuilles de calcul sur les différentes réponses possibles. Mes supérieurs me recommandent différentes méthodes de drague selon l'âge du sujet. Par exemple, l'humour méprisant marche bien sur les jeunes femmes, mais pour les femmes plus âgées, l'humour classique ou les compliments directs sont plus efficaces… De ce que j'en vois, tout le monde estime que les jeunes femmes sont stupides.

Y a-t-il d'autres femmes rédactrices ?
Il y a une poignée de femmes. Mes patrons cherchent surtout des hommes qui écrivent pour d'autres hommes, parce que le ton idéal doit être un peu dominateur, un peu méprisant.

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Genre, des réflexions machistes ?
Ouais. Ils nous suggéraient d'avoir recours à des phrases comme : « Même sur la pire de tes photos, tu es jolie. » C'était vraiment nul. Sinon, j'ai dû conseiller des trucs comme « ce t-shirt te donne l'air moins pâle » ou « tu es plutôt jolie pour une brune ». Il fallait aussi se pavaner. Si une femme mentionnait qu'elle aimait aller à la plage, il fallait dire « oh, ça tombe bien, j'ai une maison à Hossegor », quelque chose comme ça.

C'est vraiment ringard.
En fait, ces mecs aiment bien utiliser un langage vraiment kitsch. Les formateurs nous disent : ne vous contentez pas de poser des questions, offrez des options. On nous conseille de balancer des trucs comme : « Si on t'offrait un voyage gratuit n'importe où dans le monde, tu irais a) dans un chalet dans les Alpes, pour skier toute la journée et boire du chocolat chaud le soir ; b) à Tahiti, où la seule chose que tu aurais besoin d'emmener, c'est ta paire de tongs préférée. » C'est mot pour mot un script qu'on nous a filé. Le plus drôle est de faire semblant d'être cette « charmante » personne.

As-tu besoin d'être en contact avec les types pour lesquels tu écris ?
Non, et heureusement. Les chargés de comptes gèrent les clients, les entretiens et les photos. Ensuite, ils nous remettent les retranscriptions des entretiens, où les mecs décrivent leur vie entière – leur maison, leurs études, leur travail, leur vie amoureuse, leurs vacances, leurs enfants, leurs espoirs, leurs rêves. Tout, littéralement. Tout ce qu'ils ont envie de faire savoir à l'autre personne. Ensuite, ils vont faire des photos chez un professionnel. Ce que je préfère dans le boulot est d'évaluer les photos. Ils en fournissent une vingtaine et nous devons les classer.

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À quoi ressemblent-ils ?
Ils ont tous l'air seuls et empotés. Beaucoup sont divorcés et ne savent pas quoi faire d'eux-mêmes. Ils sont tellement désespérés, maladroits. Un mec porte une casquette sur toutes ses photos. Sur l'une d'elles, il est dans un champ et porte une casquette à l'envers, un polo et un short. Il y a une chaise au milieu du champ – lui se tient derrière la chaise, penché, les mains sur le dossier.

Penché du genre « tu pourrais bientôt être sur cette chaise » ?
Oui, cette chaise au beau milieu d'un champ est une sorte d'invitation bizarre – c'est horrible.

Est-ce qu'ils sont tous issus de la bourgeoisie ?
Je dirais oui, parce que le service est vraiment onéreux. Je pense que les cibles sont vraiment les hommes riches et âgés, qui n'ont tout simplement pas le temps de draguer en ligne. Ils préfèrent engager des gens pour le faire à leur place. Mais il m'est arrivé de bosser pour un agent de sécurité qui cherchait quelqu'un.

Te sens-tu personnellement investie dans ces « rencards » avec ces femmes ?
Je ne dirais pas que je suis personnellement investie, déjà parce que ces femmes sont bien plus âgées que moi. Malgré cela, j'ai envie de réussir et de gagner des commissions. Je pense que certaines personnes avec qui je travaille éprouvent du plaisir à l'idée de former des couples, mais moi je m'en fiche un peu. Je suis vraiment détachée – c'est juste divertissant pour moi. Après, j'ai l'impression qu'appeler ça de l'entremise est un peu glauque dans un sens – c'est chiant pour cette personne qui pense parler à un mec « charmant » alors qu'en fait, c'est moi qui rédige les propos. Ça risque de donner lieu à une nouvelle ère de comédies romantiques, d'ailleurs.

Je crains le pire. Merci beaucoup, Samantha.