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Business plan de demain : monter sa compagnie de transport en République Démocratique du Congo

En août 2010, à 20 ans, je suis parti au Rwanda avec trois potes pour réaliser un reportage sur l'élection présidentielle. À la fin du mois, je suis rentré en Europe tandis que Yassin, Arthur et Louis-Guillaume ont décidé de monter leur propre...

Photos : Arthur Draber, L.G. Roldan et Yassin Ciyow

En août 2010, je suis parti au Rwanda avec trois potes pour réaliser un reportage sur l'élection présidentielle locale. On a passé un mois à tracer dans une partie du monde que nous ne connaissions que via les livres et les images à la télé. À la fin du mois, je suis rentré en Europe tandis que Yassin, Arthur et Louis-Guillaume ont passé la frontière vers la République Démocratique du Congo. C'est là que leur est venue l'idée de monter leur propre compagnie de bus, Amani Express (« Paix Express », en français).

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La RDC est classé 6ème pays le plus corrompu d'Afrique, et 175ème sur 183 en terme de climat d'affaires. La situation politique y est pour le moins instable ; il n'y a pas d'infrastructures ni de routes goudronnées. La pauvreté est partout, et les miliciens font du business de minéraux dans la forêt vierge.

Les trois nouveaux chefs d'entreprise se sont installés à Butembo, une ville d'environ 250 000 habitants de la province du Nord-Kivu, au nord-est du pays. La plupart des gens vivent ici du commerce de bétail et de l'agriculture. À vue d'œil, il y a environ une chance sur 600 000 de devenir milliardaire dans le coin. C'est pourquoi j'ai demandé à LG et Yassin, de passage à Paris, pourquoi ils avaient décidé de gagner de l'argent à 6 000 kilomètres de Paris.

L'un des premiers départs d'Amani Express

VICE : Hé, pourquoi vous avez eu envie de monter une boîte en République Démocratique du Congo ?
Yassin : C'est principalement de l'inconscience, je pense. On a fait abstraction des raisons qui font que la RDC est un pays qui attire très peu les investisseurs étrangers. On ne s'est pas dit que si la RDC était classé comme le sixième pays le plus corrompu d'Afrique, ça devrait dissuader les gens comme nous d'y investir des thunes. On avait cette part de naïveté qui, au final, nous a été bénéfique.
LG : On avait surtout une vraie fascination pour le pays. On voulait s'installer dans un environnement un peu hostile, vivre une aventure différente. Dès le moment où l'on a passé la frontière, on s'est sentis pris d'un immense sentiment de motivation.

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L’appât du gain a joué aussi, j'imagine.
LG : Quelque part il y avait cet aspect là, forcément, mais ce n'est pas ce qui nous a poussés à le faire. Si ça avait été notre seule motivation, on aurait fait la même chose ailleurs. L'idée de défi, le fait de s'installer dans un environnement si particulier a pris le dessus sur l'aspect purement lucratif.

Vous avez été mal vus en tant que blancs ? Comment ça s'est passé ?
Yassin : Comme je suis métisse, je pensais pouvoir être le « trait d'union » entre les Congolais et nous. Mais je me suis vite rendu compte qu'à leurs yeux j'étais aussi blanc que les autres. Quand on est arrivés, on se faisait appeler « muzungu », soit « l'homme blanc » ou « l'homme riche ». On pensait qu'avec l'entreprise, les autorités de la région nous feraient passer du statut de pigeon blanc à celui de gentil blanc, mais pas du tout : l'entreprise est victime d'une corruption très forte à cause de notre couleur de peau. En revanche, notre rapport avec la population a beaucoup évolué ; nous sommes aujourd'hui totalement intégrés dans notre quartier.

Ouais.
LG : Au début, c'est difficile d'imposer sa personnalité. Lorsqu'on est blanc en Afrique, même si les autorités en profitent, la population au contraire a tendance à nous mettre naturellement sur un piédestal. Les gens sont souvent admiratifs et respectueux comme si on était « supérieurs ». C'est étrange.

Yassin, Arthur et l'équipe d'Amani Express

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Mais, vous avez eu beaucoup de problèmes avec les autorités locales ?
LG : [rires] C'est clairement la source de nos plus gros problèmes.
Yassin : Ils appellent ça les « tracasseries » là-bas. Par tracasserie, tu peux entendre « fusil sur la tempe », ce qui peut effectivement être assez « tracassant ». Il nous est arrivé de voir des militaires débarquer chez nous, envoyés par le responsable local de l'immigration – que nous connaissons très bien maintenant. Il se dit : « j'ai fait un mauvais mois, j'ai besoin d'argent, je vais faire pression sur les expatriés avec des Kalachnikov pour leur soutirer du blé. ». On s'est retrouvés plusieurs fois dans ce genre de situation. Pour ne pas qu'il nuise à nos activités, on est obligés de garder une relation stable avec lui, et donc de glisser une enveloppe. Ça peut aller de l'équivalent de 20 à 1 550 euros.
LG : C'est vraiment du théâtre. On est face à un représentant de l'ordre qui essaie de nous faire peur en nous menaçant d'exil ou de prison.

Yassin, LG et un de leurs amis policiers

Le contexte politique a-t-il eu des répercussions sur vos activités ?
Yassin : On a du mal à déterminer à quel point la guerre a pu avoir un impact sur notre activité. Mais on a beaucoup de problèmes aux frontières, par exemple, à cause des différents groupes armés qui se disputent le territoire et qui introduisent leurs propres taxes. Au niveau de l'entreprise, on n'arrive pas à avoir une comptabilité stable parce que les prix des passages frontaliers changent trop souvent.

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La rue dans laquelle est basée l'agence de Butembo  

Et personnellement, vous avez déjà eu de grosses frayeurs ?
LG : Un matin, on s'est fait réveiller par un crépitement de balles. J'ai reçu un message d'un ami congolais qui disait : « Restez chez vous, ça tire de partout. » On a appris qu'il y avait eu un affrontement entre des FRDC (l'armée congolaise) et des Mai-Mai – les rebelles de la jungle, rarement sobres – près de l’aéroport, à 1.5 km de chez nous. Ce jour-là, Yassin et moi devions aller à Kampala, en Ouganda, et donc emprunter la route où s'étaient déroulés les affrontements. Lorsqu'on est arrivés à hauteur de la scène, en se frayant un chemin à travers la foule, on a pu apercevoir des cadavres. Le spectacle était effrayant : quatre corps de Mai-Mai gisaient là, dont deux avec le pénis découpé.
Yassin : C'était horrible. Et puis j'ai trouvé ça assez malsain qu'une telle foule, surtout les enfants, se rassemble autour pour regarder. Les gens voient ce genre de choses tous les jours et semblent immunisés.

Les cadavres des rebelles Mai-Mai

Vous avez déjà eu des problèmes avec vos propres employés ?
Yassin : Le premier gérant qu'on a engagé pour notre entreprise était aussi un ami. Au début, il nous a aidés à nous intégrer et nous a servi de lien avec les gens sur place. On a vécu huit mois dans la même maison que lui. Dans le courant de l'été 2011, ce même type a tenté de nous faire expulser du pays pour pouvoir s'attribuer les actifs de la compagnie – camions, bus, etc. Aujourd'hui, la compagnie est entre de bonnes mains. Notre gérant actuel est quelqu'un de brillant qui a su gagner notre confiance.

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Des employés de l'agence Amani Express à Butembo

Pourquoi avoir décidé de laisser les bus de côté pour passer au fret, puis au transport d'hydrocarbures ?
LG : Tous ces changements étaient destinés à limiter les risques. On n'arrivait pas, en envoyant un bus à 800 km, à assurer qu'il arrive à l'heure. Pour cette même distance, un bus peut mettre trois jours, deux semaines ou même un mois, suivant les problèmes rencontrés. En se tournant vers le transport du pétrole, on arrive à limiter l'impact de l'imprévisible car on ne transporte plus quarante passagers mais juste une marchandise qui ne subit pas d'imprévus. On est donc soumis à moins de pression. Et la principale différence entre les marchandises et les passagers, c'est que la marchandise ne se plaint pas.

Un camion-citerne Amani Express

Au final, vous vous êtes bien adaptés à la vie en RDC ?
LG : Ça a été une transformation radicale. On n'a pas d'eau courante, pas d'électricité. Forcément ça change du confort occidental, mais quelque part, notre vie n'est pas si différente que ça. Nos habitudes ne diffèrent pas de celles qu'on a en Europe. Au niveau du rythme congolais, les choses se font plus lentement. Toute la structure de la société repose sur l'idée qu'on ne peut rien prévoir. On s'y est fait avec le temps.