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Vice Blog

Une expo de fanzines – ou comment avant, les kids écrivaient leurs propres bouquins

Au cours de sa carrière, Crass a reçu des milliers de fanzines de kids venant du monde entier.

Au cours de sa carrière, le groupe anarcho-punk britannique Crass a reçu des milliers de fanzines de kids venant du monde entier. Gee Vaucher a ramassé ces mini-magazines faits main et dupliqués à la photocopieuse Xerox, puis les a stockés dans un placard de la Dial House, bercail du groupe à la fin des 70s/début des 80s. La galerie Boo-Hooray propose en ce moment une exposition intitulée In All Our Decadence People Die, où l’on peut admirer certains magazines ainsi que des travaux de Vaucher et une installation sonore de Penny Rimbaud. On a parlé à Gee de l’expo et du temps où les gens n’avaient pas besoin du code html pour faire du bon boulot de journaliste amateur.

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VICE : Salut Gee, ça sert à quoi de faire tout ça ?

Gee : À quoi ça sert ? On m’a déjà posé la question, un dénommé Penny Rimbaud.

OK, peut-être qu’on va un peu vite. Parlons d’autre chose, l’exposition que vous avez montée par exemple. Pour vous, c’est un moyen de montrer tous les fanzines, pamphlets et flyers que des petits anars vous ont envoyés ces 30 dernières années. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Je trouve cette collection étrange et magnifique en même temps, et je pense qu’il est important de garder en tête que ces magazines ont été conçus entre les 70s et les 90s. Évidemment certains de ces fanzines proviennent de la Dial House et de la collection privée de Crass, mais la plupart sont très intéressants ; on sent que leurs auteurs étaient très impliqués dans ce qu’ils faisaient. Ils disposaient vraiment de moyens rudimentaires —certains magazines datent même d’avant la Xerox ; c’est intéressant de voir le procédé de fabrication, que les magazines étaient faits à la main etc.

Je trouve ça assez insolite de faire une expo comme celle-ci en pleine ère du « Imprime-ton-propre-bouquin. » J’ai pensé que ça pouvait être utile aux jeunes de voir qu’on a pas forcément besoin de la toute dernière machine ; il suffit de couper des bouts de papier, d’avoir deux-trois bombes, des pochoirs, et voilà ! Mais qui sait, peut-être que ça ne prendra pas, si ça se trouve les gens ne vont pas apprécier du tout.

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Je ne sais pas, il y en a plein qui ont l’air bien. Vous en receviez tous les combien par la poste ? Y'en avait-il que vous attendiez en particulier ?

Certains étaient plus intéressants que d’autres, dans le sens où les auteurs ne se contentaient pas juste de parler des meilleures chansons pop mais commençaient à aborder des sujets propres à leurs quartiers, villes ou pays. Il y en a d’autres que j’ai gardés parce qu’on nous les a donné à des concerts — les concerts de Crass étaient ces lieux de rencontre entre vieux potes d’un peu partout qui vendaient leurs fanzines pour trois fois rien. Cela permettait un large échange d’informations, et de commencer de grandes amitiés. Je pense que beaucoup de choses se sont créées de cette façon ; c’est une très belle chose. Et, encore une fois, vous devez vous rappelez que les mails n’existaient pas, tout se faisait au bouche-à-oreille. C’était beau.

C'est moins beau, aujourd'hui ?

L’email n’a pas de dimension tactile, pas d’odeur. Ces fanzines avaient quelque chose de sensuel, l’odeur du Xerox ou de l’encre par exemple, ou encore l’odeur d’une tasse de thé renversée imprégnée sur le papier. Les pages n’étaient pas forcément découpées, ni même reliées entre elles convenablement, mais c’était fait par quelqu’un qui voulait partager quelque chose, et c’est ça que je trouve important.

Vous trouvez qu’on a perdu quelque chose maintenant qu’il suffit de cliquer sur un bouton pour partager avec le monde entier ?

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Je n’ai rien contre le progrès et la technologie, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi les anciennes techniques devraient être abandonnées. Les gens n’écrivent plus de lettres, tu vois ? On a les emails, mais j’aime bien recevoir des lettres et des cartes postales — j’adore les images et les timbres. J’aime attendre de voir si j’ai reçu quelque chose dans ma boîte aux lettres.

Je ne pense pas que ça ait quelque chose à voir avec la nostalgie. Je pense plutôt que c’est une envie de sentir quelque chose de « palpable ». On peut conserver quelque chose de physique – coller des images aux murs, mettre une lettre dans sa poche pour la lire plus tard – mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on ne peut pas faire la même chose en imprimant un mail ou qu'importe. Puis, il y a l’écriture, aussi. J’adore l’écriture des gens. C'est quelque chose qu'on ne voit plus, et ça me manque.

Je vois ce que vous voulez dire. À chaque fois que j’écris une lettre à quelqu’un, j'ai l'impression d'être un gamin de cinq ans caché dans un abris atomique.

Je suis une personne visuelle, je peux reconnaître les gens grâce à leur écriture. La personne est à telle adresse, et avant même d’ouvrir l’enveloppe je me dis : « OK, c’est une lettre d’untel ou untel. » J’aime ce sentiment. Les emails sont pratiques pour s’organiser, mais je n’aime vraiment pas écrire de « lettres » depuis mon ordinateur.

Y a-t-il un fanzine dont vous vous souvenez en particulier ?

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Je me souviens d'un qui sortait du lot, parce qu’ils n’avait rien à voir avec la musique. Comme celui fait par un mec nommé Graham Burnett, qui était en fait très jeune à l’époque et qui dirige aujourd’hui des ateliers de permaculture. Tous ses fanzines traitaient de la façon de faire pousser ses propres aliments. Il s'intéresse à ça depuis toujours.

Il avait quel âge, à cette époque ?

Il devait avoir quatorze ans. Je me souviens de la première fois qu’il est venu à la maison. Sa mère l’a déposé devant chez nous et il était choqué. Déjà à l’époque, son style était le même qu’aujourd’hui, c’est assez hallucinant. C’était un fanzine très particulier, il avait pas mal de succès je me souviens.

Il s’appelait comment ?

Je ne me souviens pas. Mais le type se fait appeler « Spiralseed. » Aujourd'hui, il écrit plein de bouquins sur comment  faire pousser ses propres aliments ou comment fabriquer des toilettes sèches, comment vivre simplement sans faire d’effort pour rien…

On en a parlé au déjeuner, non ? Du fait que les systèmes de production dépérissent et qu’il va bientôt être très utile de savoir comment faire pousser ses propres aliments.

Oui, je pense en effet que la situation va empirer. Je pense qu’on n’a même pas encore vu la partie visible de l’iceberg. Je soutiens n’importe quelle démarche qui fasse se rendre compte aux gens que s’ils vivent en communauté — que ça soit dans un village ou une grande ville — ils doivent s’entraider. On ne peut pas survivre tout seul, surtout dans les grandes villes. À la campagne, les gens ont cette relation de confiance ou d’amitié avec les autres. Mais, oui, je pense que du coup, les gens questionnent la façon dont ils vivent.

Oui ce n'est pas marrant tous les jours, en effet.

Ce n’est même pas leur vie, c’est… c’est la vie qu’on leur a imposée. Je ne vois pas ce qui pousse les gens à se comporter comme ça. Je comprends le raisonnement, je peux voir les enfants, la famille, les responsabilités. C’est admirable, mais le prix à payer est trop élevé. Ça ne doit pas se passer comme ça. Même pour les enfants, ça ne doit pas se passer comme ça. J’ai des amis qui ont trois enfants et tous reçoivent un enseignement à domicile. Je connais deux foyers qui font ça et je trouve ça fantastique. Les gosses ont envie de grandir, ils ont envie d’apprendre et je pense que c’est parce que la société les éduque, les parents aussi, et ils partagent ce que d’autres enfants apprennent chez eux. Les gamins se font ballotter d’un endroit à un autre et amassent de la connaissance, je trouve ça fantastique. Trop de règles, ça limite vraiment — regardez, les gosses ne peuvent même plus jouer avec des marrons dans un parc. Je veux dire, où en est-on arrivé ? C’est complètement fou !

INTERVIEW : ANDY CAPPER