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La fête de Pessah à Hébron, en Cisjordanie, est un bordel sans nom

La dernière fête de Pessah, organisée par des colons juifs vivant en sol palestinien, est aisément une des choses les plus étranges que j’aie vues dans une région où les trucs bizarres fleurissent chaque jour.

Le tombeau des Patriarches.

La ville de Hébron, en Cisjordanie, est, dans le meilleur des cas, un endroit assez bizarre. Mais la dernière fête de Pessah, organisée par des colons juifs vivant en sol palestinien, est aisément une des choses les plus étranges que j’aie vues dans une région où les trucs bizarres fleurissent chaque jour.

La psychose collective à Hébron provient d’un conflit de propriété vieux de plusieurs siècles à cause du tombeau des Patriarches, connu sous le nom de Mosquée d’Ibrahim chez les musulmans ou de Grotte de Machpelah, chez les juifs. Le tombeau est le lieu où serait enterré Abraham/Avraham/Ibrahim, le père fondateur de l’islam, du judaïsme et de la chrétienté, soit autant de bonnes raisons de se foutre sur la gueule.

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Mais l’état de folie dans lequel se trouve Hébron actuellement n’est pas tant lié au fanatisme religieux qu’à une ségrégation ethnique en bonne et due forme. Hébron est le seul endroit en Cisjordanie où des colons israéliens vivent à l’intérieur même d’une ville palestinienne. Pour faire face à cette situation quelque peu gênante, Hébron a été divisé en deux secteurs – l’un contrôlé par des militaires israéliens, l’autre par les autorités palestiniennes.

Les proportions de colons, de Palestiniens et de soldats israéliens dans la vieille ville contrôlée par les Israéliens, sont incroyables, dans le vrai sens du terme. Genre, je n’y croirais certainement pas si je n’en avais pas été témoin. Il y a environ 500 colons israéliens pour 30 000 Palestiniens, alors que 2000 soldats israéliens tournent autour de ce beau monde chaque jour pour maintenir l’ordre.

Le tombeau des Patriarches est également divisé ; il existe une partie musulmane et une partie juive, parce que, comme vous pouvez l’imaginer, elle peut donner lieu à certains débordements. Par exemple, en 1994, un colon américain, Baruch Goldstein, a décidé de massacrer gratuitement 29 Palestiniens du côté musulman du tombeau.

Les militaires israéliens ont expulsé des milliers de Palestiniens de leur maison et ont fait fermer plus des trois quarts des commerces palestiniens de la vieille ville. Ils ont aussi mis en place une série de mesures dans le but que tout le monde emploie le terme « apartheid » dans la ville ou encore la construction d’un mur géant au milieu d’une des rues principales – l’opération s’appelle sobrement « politique de séparation ».

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Les colons, bien sûr, voient ça comme une nécessité pour la survie d’Israël. Porte-parole des colons, David Wilder explique : « Si nous n’occupons et ne peuplons pas ces zones, elles seront envahies par notre ennemi car leur but est de conquérir tout l’Etat d’Israël. » Il s’avère que les objectifs des Palestiniens avec lesquels j’ai discuté à Hébron sont plus modestes, comme, disons, amener leurs enfants à l’école sans que des colons leur jettent des pierres.

Un ami à moi, qui écrit pour un magazine pro-palestinien, m’a invité à l’accompagner pour voir ce qui se passait dans la vieille ville en ce jour de Pessa’h. Lorsque nous sommes arrivés en taxi dans la zone de la ville contrôlée par les Palestiniens, tout était calme. Nous sommes passés par la vieille ville contrôlée par les Israéliens, où de jeunes soldats qui s’ennuyaient nous ont fait passer par un checkpoint quelques mètres plus loin. Le graffiti le plus courant sur les murs d’Hébron, « Libérez la Ville Fantôme », va bien à cette ville sinistrement vide, où les devantures de magasin ont été soudées au sol et les maisons vidées de leurs habitants.

Des douzaines de bus étaient alignées dans les rues. Ceux-ci avaient servi à faire venir des gens des quatre coins d’Israël pour célébrer le Pessa’h avec le fantôme du fondateur de leur religion. Nous nous sommes arrêtés pour discuter avec un gars de l’une des quelques organisations internationales basées à Hébron venues pour « observer » la situation – ou, pour être plus exact, ne rien faire du tout, même pas prendre des notes. Notre fixeur nous avait dit que nous n’arriverions jamais à atteindre la fête de Pessa’h, la zone n’étant ouverte qu’aux seuls juifs pratiquants. J’ai pris cette mise en garde comme un défi et me suis pressé seul en direction du tombeau des Patriarches.

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Des juifs israéliens prient devant le tombeau des Patriarches.

Lorsque nous sommes arrivés vers la zone de séparation (qui comprenait toute la partie musulmane du tombeau, interdite d’accès aux Palestiniens pour deux jours entiers, jusqu’à la fin de Pessa’h), un soldat est sorti en courant d’une petite cabane située à côté d’un checkpoint.

« Houlà, houlà, houlà, vous allez où comme ça ?

– Pessah, c’est bien par ici, non ?, ai-je répondu de mon sourire le plus sincère.

– Ah, oui. Bienvenue ! », a-t-il répondu, souriant comme pour dire, « OK, j’ai décidé que vous étiez juifs vous aussi. »

« Bien joué », a chuchoté mon ami alors que nous marchions, soucieux d’éviter le regard des soldats assis devant le checkpoint. Pour autant que je sache, nous étions les seuls journalistes qui avaient réussi à entrer dans la fête de Pessa’h.

Mis à part les costumes rattachés aux différentes mouvances de Judaïsme, Pessah de l’intérieur ressemblait exactement à toutes les fêtes de village auxquelles j’avais assistées auparavant. On y vendait de la barbe à papa et les gamins s’amusaient sur un château gonflable. J’avais l’impression qu’il y avait une sorte de tombola (mais je ne peux pas en être sûr puisque l’homme au micro parlait hébreu) alors que certains pique-niquaient sur les pelouses parfaitement entretenues à côté de la partie juive du tombeau.

Bien que relativement bon enfant, je n’avais jamais vu autant de mitraillettes lors d’une fête régionale. Mais même les soldats, armés de M4, semblaient joyeux et détendus, profitant du soleil et de leurs deux jours de répit.

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Quand j’ai passé un autre checkpoint pour accéder au tombeau des Patriarches, le seul soldat énervé de tout l’endroit m’a tiré hors de la file par le bras. Il avait décidé, pour une raison quelconque, que j’avais l’air louche. Il m’a demandé si j’étais juif et je lui ai dit que j’étais chrétien, ce qui est partiellement faux. Ça ne me dérange pas que les gens pensent que je suis juif – ça a même tendance à faciliter les choses avec les Israéliens – mais pour une raison qui m’échappe, j’établis d’instinct une limite morale quand il s’agit de mentir activement au sujet de la religion.

Le soldat s’est mis à me demander, d’une manière particulièrement agressive, « où était cachée mon arme ». C’est un truc récurrent lors de mes interactions avec le personnel de sécurité israéliens. Ils ont toujours l’air de croire que j’ai réussi à dissimuler une mitrailleuse entière sous mes fringues. Après avoir établi que je n’étais pas armé, le gars m’a finalement laissé passer, à contre cœur. Je n’étais jamais allé dans la partie juive du tombeau auparavant, même si j’avais déjà visité la partie musulmane assez de fois pour connaître par cœur l’emplacement de chaque impact de balle laissé par le vieux massacre.

C’était de plus un bon jour pour une visite, le tombeau étant plein à craquer d’une foule internationale de participants au Pessa’h, tous vêtus d’une immense variété de tenues religieuses aux couleurs chatoyantes. Une fois à l’intérieur du tombeau, j’ai été frappé par la différence entre la partie musulmane délabrée et la partie juive immaculée, miraculeusement dotée d’une cour spacieuse et parfaitement propre.

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Incapable de comprendre ce qui se passait pendant le service religieux en hébreu, je suis retourné dehors avec mon ami, où nous avons décidé d’aller voir ce qui passait du côté palestinien de la vieille ville.

Nous sommes alors tombés sur un début d’affrontement entre la police frontalière israélienne et une foule d’environ 150 Palestiniens qui leur jetaient des pierres. La foule n’agissait pas contre la fête de Pessah, mais plutôt contre le fait que les colons avaient organisé des visites guidées de la zone palestinienne ; toutes les demi-heures environ, un groupe de 50 colons et touristes se faisaient escorter par des soldats israéliens au cœur même du Hébron palestinien.

Ces visites enfreignent ouvertement les règles signées par Israël lors des Accords d’Oslo, qui interdisent aux soldats israéliens d’entrer dans des zones contrôlées par l’Autorité palestinienne. Il s’agit également d’une invasion d’un territoire souverain, car la Palestine est désormais reconnue en tant qu’État.

La police frontalière avait utilisé deux bus pour bloquer l’accès à la rue empruntée par les colons et leurs touristes. Les chauffeurs de bus, attendant à l’intérieur de leurs véhicules, avaient l’air de somnoler tandis que des cailloux tapaient contre leurs vitres. Les soldats ont ensuite repoussé les manifestants à environ 50 mètres de là et les ont maintenu à distance à l’aide de tirs réguliers de balles en caoutchouc.

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Je me tenais à quelques mètres des soldats alors qu’ils tiraient tous azimuts sur la foule, aux côtés d’une dizaine d’observateurs internationaux. Ceux-ci semblaient terrifiés, et j’ai même entendu une femme suppliant ses collègues à plusieurs reprises de la laisser « rentrer au bureau ». Je me suis dit que le rôle d’un « observateur » spécialement déféré à Hébron un jour où la police tirait sur la population serait peut-être justement de rester là. Mais n’étant pas observateur, je suppose que ce n’est pas à moi d’en juger.

L’un des activistes internationaux, ignorant visiblement tout de la situation en Palestine, m’a demandé si les heurts étaient courants ici et s’il y avait parfois des blessés. « Tous les jours », ai-je répondu, me demandant comment il réussissait à ne pas voir le barrage de coups de feu se tenant à quelques mètres de lui.

Les bus israéliens qui amènent les touristes aux environs du Hébron palestinien.

Le même activiste m’a par la suite demandé si je pouvais le filmer en train de danser. Trop abasourdi par sa requête pour refuser, j’ai pris sa caméra et l’ai filmé en train de faire des tours sur lui-même alors que la police frontalière israélienne tirait des balles en caoutchouc en direction des Palestiniens. Alors qu’il exécutait ses pas, un Palestinien l’a insulté de manière virulente, ce qui m’a semblé être une réponse à la hauteur de la débilité de la scène.

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Une femme qui participait à l’excursion des colons, le sourire comme figé sur son visage, m’a fait un signe de paix avec les doigts. De notre côté, mon ami pro-Palestine et moi avons décidé de voir où elles et ses amis se dirigeaient. Nous avons marché le long d’une rue parallèle jusqu’à ce que nous trouvions un endroit d’où nous pourrions voir passer le régiment de génies. J’ai marché dans une petite allée, j’ai passé la tête dans un coin et ai été accueilli par un groupe de soldats israéliens qui ont immédiatement levé leur arme dans ma direction, ce à quoi je ne suis toujours pas habitué.

Nous avons ensuite décidé de rentrer chez nous, considérant que rien de bien intéressant n’allait se produire ce jour-là – intuition qui s’est avérée parfaitement exacte. Ce n’est que sur le chemin pour sortir de la ville que nous avons commencé à réaliser l’étrangeté de la scène que nous venions de vivre. Le plus bizarre étant à quel point tout le monde avait l’air de trouver ça normal. Les colons pensaient visiblement qu’ils agissaient dans leur bon droit et que les touristes en provenance d’autres régions du territoire israélien profitaient simplement du soleil comme si personne ne se faisait tirer dessus à 500 mètres de là. Ils n’ont sans doute même pas remarqué que leurs bus avaient été utilisés à des fins militaires alors qu’ils mangeaient de la barbe à papa.

Mais le pire au final, c’est que les Palestiniens aussi ont passé une journée normale. À quelques pas des heurts et de l’endroit où les bus servaient de barricades, la vie à Hébron suivait son cours comme n’importe quel autre jour. Des douzaines de taxis roulaient dans les rues et l’on continuait à vendre des chaussettes dans la vieille ville, comme n’importe quel autre jour à Apartheid City.

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