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Les Créanciers au bûcher !

Une rétrospective de toutes les fois où la France a été endettée au cours de son histoire – et comment elle s'en est sortie.

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Pour plus d'informations sur le sujet, allez lire « Vive la banqueroute » de Thomas Morel et François Ruffin, paru en 2013 aux éditions Fakir.

Comme vous le savez, la France est dans la merde. La dette publique cumulée de la zone euro émarge aujourd'hui à 92,1 % de son PIB, soit environ 8 800 milliards d'euros. Selon l'INSEE, celle de la France s'élevait à la fin du troisième trimestre 2014 à 95,2 % du PIB, soit un peu plus de 2 000 milliards d'euros. Ces chiffres relativement impressionnants nous en feraient presque regretter la « bonne gestion » des dirigeants du Zimbabwe, à qui il ne restait plus que 160 balles sur le compte en banque après avoir payé tous leurs fonctionnaires il y a deux ans de ça.

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Comme un avertissement par transitivité à notre pauvre pays, le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker rappellait récemment aux Grecs – et aux autres pays du Sud de la zone euro, tous endettés dans des proportions indécentes – : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » Ce qui revient à gentiment intimer à la Grèce et aux autres, qu'il fallait remettre leurs rêves d'effacement de la dette à une autre fois.

Le truc, c'est qu'il y a justement eu d'autres fois. La France a, en effet, été aspirée dans la spirale de la dette à plusieurs reprises au cours de son histoire. Je me suis penché sur toutes les époques où le pays a fait faillite, histoire de voir comment la France avait bien pu régler ses petits problèmes de portefeuille. Rassurez-vous, ça s'est toujours plutôt bien fini – sauf pour les créanciers.

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ENVOYER SES CRÉANCIERS AU BÛCHER
Au début du XIVe siècle, les dernières croisades menées par le grand-père de Philippe le Bel, se terminent sur un échec cuisant. En manque de denier, le roi Philippe va d'abord se livrer à une vulgaire entreprise d'inflation et de dévaluation, par la réduction des métaux présents dans chaque pièce de monnaie afin d'en fondre des nouvelles.

Puis, Philippe le Bel a une autre idée en tête. L'ordre du Temple, qui avait pour mission de protéger les pèlerins et Jérusalem, avait amassé un beau magot au cours de leurs missions. Il décide donc de faire arrêter tous les Templiers du royaume sans que le pape, Clément V, ne puisse s'y opposer. Le 13 octobre 1307, les biens de l'ordre du Temple sont saisis et ses chevaliers jugés.

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Accusés entre autres d'usure et de pratique sodomite, ils sont enfermés et questionnés. En 1314, Jacques de Molay, grand maître de l'ordre, est brûlé vif à Paris. Maudits sur treize générations par leur victime, Clément V et Philippe le Bel meurent tous deux dans l'année – après avoir quand même renfloué les caisses du royaume.

TIRER AU SORT CEUX QUI SERONT REMBOURSÉS
Poursuivant la politique belliqueuse de son père, le roi Henri II livre bataille sur plusieurs fronts. Mais tout cela à un coût et le roi de France décide d'avoir recours à un grand emprunt contracté auprès du Parti de Lyon. Jouissant alors du privilège royal des foires, la capitale des Gaules attirait marchands et banquiers de toute l'Europe.

Estimé à deux millions d'écus et remboursable en 41 échéances, l'emprunt souscrit auprès de banquiers lyonnais est suffisant pour couvrir la dette de guerre. Mais, dans l'incapacité de rembourser celle-ci dès la quatrième échéance, la banqueroute est rendue publique en décembre 1557. Henri II meurt d'un accident dans un tournoi en 1559 et c'est sa femme, Catherine de Médicis, qui devient régente du royaume de France.

C'est elle qui propose en 1561 d'organiser une loterie, afin de désigner le tiers des créanciers qui sera indemnisé. Quant aux autres, que dalle. Le reste de la dette fut répudié d'un trait de plume.

Mais le Roi Soleil ne s'arrête pas là. De 1661 à 1665, ce ne sont pas moins de 494 créanciers ou gens d'affaires qui défilent devant ce tribunal et voient toutes leurs fortunes confisquées.

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DIRE NON À TOUT ET SE MARIER
Lorsqu'Henri IV monte sur le trône en 1594, les comptes du royaume sont en piteux état. Les intérêts de la dette absorbent presque 75 % du budget annuel. Sully, ministre des finances du royaume, organise un audit de la dette et la chiffre à plus 300 millions de livres. Il se lance ensuite dans l'examen minutieux des titres de créances et des rentes en cours. Il en juge certains comme étant « abusifs », d'autres « illégitimes », et décide en conséquence de ne pas les honorer.

Aussi, la dot du mariage du roi Henri avec l'Italienne Catherine de Médicis couvre la somme que le royaume devait à sa famille. Quant aux banquiers suisses, Sully les oublie et leurs créances avec, ouvrant la voie à un règne court mais prospère.

ENFERMER SES CRÉANCIERS
En 1661, Louis XIV a 23 ans et règne déjà sur le royaume depuis plus de dix ans. Dans sa mégalomanie, quelque chose l'agace. Certains de ses sujets auprès desquels il a contracté des emprunts sont toujours plus riches que lui.

Humilié par le faste d'une réception que Fouquet, surintendant des finances, donna en sa présence, Louis XIV décide de l'éliminer. En mai 1661, le roi le fait arrêter à Nantes par d'Artagnan. Il l'accuse de détournement de deniers public et de lèse-majesté. Dans un tribunal mis sur pied pour l'occasion, le surintendant déchu est condamné à la prison à perpétuité et voit tous ses biens saisis. D'un même mouvement, il annule les prêts de plusieurs millions que Fouquet avait consentis au royaume.

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Mais le Roi Soleil ne s'arrête pas là. De 1661 à 1665, ce ne sont pas moins de 494 créanciers ou gens d'affaires qui défilent devant ce tribunal et voient toutes leurs fortunes confisquées. Une solution provisoire qui n'empêcha pas la dette, creusée par de multiples guerres, d'atteindre près de trois milliards de livres au terme de son règne de 72 ans, le plus long de l'histoire de France.

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TOUT FOUTRE AU FEU
À la mort de Louis XIV, la dette est colossale. Philippe d'Orléans doit assurer la régence pendant toute la minorité de Louis XV. En 1714, John Law, un dandy écossais, débarque en France et se propose de résorber la dette de l'État en prônant une politique monétariste. En 1716 il est autorisé à ouvrir sa banque, la Banque Générale, qui introduit le concept de papier-monnaie en France. Celle-ci devient la Banque Royale en 1718, et rachète la dette de l'État. Le cours des actions s'envole et les investisseurs s'arrachent ces premiers produits financiers toxiques, mélange d'actions de la compagnie de John Law des Indes et de dettes contractées par l'État.

Début 1720, lorsque plusieurs nobles viennent convertir des charrettes de billets en or, c'est l'effondrement. En juillet, c'est l'émeute. La Banque Royale est envahie par la foule, John Law s'enfuit à Bruxelles et en novembre, l'usage des papiers-monnaies est suspendu. Sur les trois à quatre milliards de livres de titres en circulation, l'État en reconnaît seulement 1,7 milliard, soit environ 40 %. En 1722, tous les billets sont brûlés sur la place de l'Hôtel de Ville de Paris. La moitié de la dette part ainsi en fumée.

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LA TERREUR ET LE GRAND LIVRE DE LA DETTE PUBLIQUE
Peu après avoir guillotiné le roi Louis XVI le 21 janvier 1793, le nouveau régime créa Le Grand livre de la dette publique dans lequel étaient consignés tous les créanciers de l'État. En manque de liquidité, le pouvoir organise un emprunt forcé et imprime toujours plus d'« assignats », sorte de papier-monnaie ayant cours forcé. L'inflation est énorme : on passe de 400 millions d'assignats à leur création à 45 milliards en 1796. Du coup, on brûle la planche à billets et substitut aux assignats un nouveau papier-monnaie. Le coup d'État du 4 septembre 1797 met un terme à cette situation intenable.

Le nouveau ministre des finances proclame le 30 septembre la banqueroute aux deux tiers. Sur la base du Grand Livre des créanciers, l'État répudie les deux-tiers de sa dette et supprime les créances sur l'État détenues par ceux qui ont fui le pays. Ce sont ainsi les trois-quarts de la dette qui sont effacés. Le ministre des finances déclara à cette occasion : « J'efface les conséquences des erreurs du passé pour donner à l'État les moyens de l'avenir ».

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REMBOURSER EN MONNAIE DE SINGE
Le XIXe siècle se passe de banqueroute, le franc germinal assure une stabilité sans précédent et les colonies, pillées de leurs richesses et contraintes d'acheter à la métropole, assurent un confortable excédent commercial. Vient alors la Première Guerre mondiale qui mobilise d'énormes sommes d'argent et nécessite de nombreux emprunts. L'Allemagne est condamnée à des réparations de guerre astronomique qu'elle ne peut pas payer.

La France poursuit sa reconstruction à grands coups d'emprunt mais le franc perd de sa valeur face à la livre-sterling. En 1926, la dette publique atteint 300 milliards de francs et monopolise 40 % du budget de l'État. La banque de France ne veut plus prêter et l'État est sur le point de ne pas pouvoir payer ses fonctionnaires. Le gouvernement n'a plus le choix : il divise la valeur du Franc par cinq, faisant fondre la dette d'autant, au grand dam des banquiers et des rentiers.

C'est peu ou prou la même chose qu'il se passe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. D'une dette s'élevant à 269 % du PIB en 1944, elle ne pèse plus que 36 % en 1952. Les dévaluations successives et l'inflation ont eu raison de la dette et ont profité aux travailleurs qui ont vu leurs salaires augmenter en proportion. Le Nouveau Franc, mis en circulation en 1960, puis l'Euro, consacrèrent une monnaie stable, favorable à la prospérité des capitaux. Jusqu'à aujourd'hui.

Alexandre est sur Twitter.