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La cocaïne mangeuse de chair menace-t-elle vos soirées ?

Réponse : pas vraiment, sauf si vous passez votre temps à sniffer de la merde.
Max Daly
London, GB

Photo publiée dans le British Medical Journal montrant une femme dont la peau a été détruite par le lévamisole présent dans la cocaïne qu'elle a consommée.

De la cocaïne coupée au lévamisole est en train de ronger la peau des consommateurs britanniques. C'est en tout cas ce qu'affirment de nombreux reportages parus au début du mois d'octobre. Ces derniers ont insisté sur la dangerosité d'une cocaïne « dévoreuse de chair », responsable de troubles vasculaires rares à l'origine de la décomposition de la peau et d'un noircissement des oreilles. Ces récits plutôt glauques étaient régulièrement accompagnés d'images tirées d' une étude du British Medical Journal qui relatait la décomposition du corps d'une consommatrice de coke, recouverte de taches noirâtres et de plaies ouvertes.

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Comme à leur habitude, les journaux n'ont pas tardé à révéler l'identité du coupable présumé : le lévamisole, un vermifuge pour bétail présent dans « 80% de la cocaïne » selon les médias. Le message véhiculé était assez simple – continuez à sniffer et vous perdrez l'intégralité de votre peau.

Bien entendu, dès qu'un média parle de drogue, une histoire flippante surgit sans crier gare – le premier mythe à défaire est donc celui qui associe consommation de coke et disparition systématique de l'épiderme. La probabilité que vous vous retrouviez sur un lit d'hôpital à cause d'une surexposition au lévamisole est très faible, que vous preniez de la cocaïne ou non. À moins, c'est vrai, que vous soyez originaire du nord de la Finlande (j'y reviendrai plus tard).

Au cours des dix dernières années, les dealers du monde entier se sont mis à couper leur coke avec du lévamisole. Selon le pays dans lequel vous résidez, de 40 à 90% de la cocaïne contiendrait ce produit chimique. Le gouvernement britannique affirme que près de 80% des cargaisons de cocaïne qu'il a saisies en 2014 contenait du lévamisole. En Espagne, une étude réalisée en 2012 a détecté la présence de cette substance dans 57% de la cocaïne analysée. Au Danemark, la même année, ce chiffre grimpe à 90%.

Sauf que ces statistiques, si alarmantes soient-elles, ne veulent pas dire grand-chose tant que l'on ne précise pas la quantité de lévamisole présente dans la cocaïne. Une recherche sur le niveau de pureté de la coke menée par Lana Brockbals – dévoilée en exclusivité pour VICE – a montré que sur 106 échantillons de cocaïne provenant d'un festival britannique que l'on ne nommera pas, 83 contenaient des traces du vermifuge. Cependant, la concentration moyenne de lévamisole dans chaque pochon dépassait à peine les 5%.

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Dès lors, est-ce que sniffer de la cocaïne qui contient 5, 10 ou même 20% de lévamisole justifie une telle agitation médiatique ? On dénombre 21 millions de consommateurs de cocaïne sur la planète et les hôpitaux ne sont pas encore saturés par des gens dont la peau se dissout.

J'ai pu m'entretenir avec le docteur Lindy-Anne Korswagen, l'une des auteurs de l'étude de BMJ mentionnée par les médias. « Si l'on prend en compte le nombre de consommateurs de cocaïne, la proportion de cas est faible, précise-t-elle. Le risque d'effets secondaires graves – agranulocytose, ulcères de la peau ou détérioration des organes – est infime. Entre 2011 et 2014, il y a eu 210 cas rapportés dans le monde, dont trois mortels. »

Illustration de Tom Scotcher

Les auteurs d'une étude similaire datée de 2013 et publiée dans un journal médical américain affirment que la plupart des victimes qu'ils avaient rencontrées étaient des consommateurs intensifs de cocaïne. Selon eux, « une part considérable des individus affectés sont des consommateurs chroniques, ce qui suggère une exposition longue et cumulative à la drogue, et donc au lévamisole. »

Le toxicologue Robert Hoffman de l'université de New-York m'a affirmé que la quantité de lévamisole présente dans un pochon moyen de cocaïne était « trop faible » pour pouvoir affecter la plupart des consommateurs. Il ajoute qu'au cours d'une utilisation de lévamisole lors de tests pharmaceutiques, les patients tolèrent sans difficulté les doses prescrites. « Admettons qu'un rail moyen de cocaïne pèse 100mg. Il peut donc contenir près de 10mg de lévamisole. Aujourd'hui, des patients continuent de recevoir une dose quotidienne de 150mg de lévamisole sans courir aucun risque », garantit le docteur Hoffman.

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Il m'a tout de même précisé que certaines personnes sont plus vulnérables que d'autres aux effets secondaires nocifs de ce produit tant critiqué. « Les recherches suggèrent que certains patients ont une prédisposition génétique qui augmente leur risque d'intoxication, dit-il. Heureusement, cette prédisposition est rare au sein de la population. »

En effet, le gène en question – HLA-B27 – est présent chez 8% des personnes caucasiennes, 4% des Nord-Africains, entre 2 et 9% des Chinois et moins de 1% des Japonais. Et, chose étrange, il est présent chez un quart des habitants de la Laponie.

Les chercheurs suggèrent ce que les chimistes colombiens ont sans doute découvert il y a bien longtemps : la cocaïne mélangée au lévamisole donne naissance à un produit encore plus fort.

Le lévamisole n'est pas la menace pour l'humanité que les médias voudraient nous faire croire – et ça n'a rien de surprenant. Dans un business aussi profitable que celui de la cocaïne, personne n'a intérêt à vendre une marchandise qui décime trop rapidement les consommateurs. Au contraire, avec le lévamisole, les grands cartels ont trouvé le produit le mieux adapté pour couper leur came.

Un rapport, dirigé par une agence des Nations Unies et dont la publication ne devrait plus tarder, précise d'ailleurs que l'utilisation du lévamisole entre dans le cadre de la stratégie globale des cartels depuis près de 10 ans. Si les Colombiens ont ouvert le bal, les dealers péruviens et boliviens n'ont pas tardé à leur emboîter le pas.

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Les auteurs de ce rapport décèlent plusieurs raisons qui expliquent pourquoi le lévamisole est devenu le leader des produits de coupe de la cocaïne. D'abord, il est très facile de les mélanger, le lévamisole donnant l'impression de faire « gonfler » la cocaïne. De plus, ce produit est facilement disponible en grande quantité dans de nombreuses villes de la région andine. Si l'on en croit un expert qui travaille pour l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le lévamisole coûte 50 dollars le kilo à Bogotá et Medellín, alors qu'un kilo de cocaïne s'échange à plus de 2 000 dollars.


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La plupart des spécialistes s'accordent à dire que le lévamisole décuple l'effet de la cocaïne par l'intermédiaire de l'aminorex, une substance proche de l'amphétamine présente dans sa composition. Les chercheurs suggèrent ce que les chimistes colombiens ont sans doute découvert il y a bien longtemps : la cocaïne mélangée au lévamisole donne naissance à un produit encore plus fort.

« Les gens font erreur lorsqu'ils imaginent les grands producteurs de cocaïne grimés en paysans dans un laboratoire perdu au milieu de la jungle », affirme Mike Power – un journaliste qui a enquêté sur le trafic de cocaïne en Colombie. « Il serait vraiment étonnant que les cartels ne connaissent pas les effets stimulants du lévamisole, précise Power. Il y a quatre ans, en Colombie, j'ai été témoin du déménagement de nombreux labos dans le sous-sol d'immeubles modernes ultra-sécurisés. Si les cartels peuvent faire croître leurs profits de 10% en intégrant une substance qui maximise l'effet de la coke, ils ne vont pas s'en priver. »

Et Power de conclure : « La vérité est simple et brutale. Si vous avez consommé de la cocaïne au cours des dernières années, vous avez sniffé du vermifuge pour bétail sans le savoir. Votre organisme finira forcément par en payer le prix. »

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