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N'importe quoi

L’enfer, c’est être athée en prison quand seul Dieu peut vous pardonner

« Il y a cette idée selon laquelle les détenus arrivent en prison mauvais et en ressortent bons. C'est pour ça, je pense, que la religion est si puissante en dedans. »
Photo : Chaddy Fynn sur Pixabay

Les prisons peuvent être des lieux glauques, mais saints quand même. On a tous entendu ces histoires : un criminel endurci commet un crime odieux, se retrouve derrière les barreaux pour des décennies, croise un codétenu qui cite un bon passage de la Bible et finit par rencontrer Dieu.

Il y a du vrai là-dedans. Si le Royaume-Uni est de moins en moins pratiquant, on note par contre une augmentation importante du nombre de croyants dans les prisons du pays. On compte environ 42 000 chrétiens derrière les barreaux, soit 2000 de plus qu'en 2004. Le nombre de musulmans, lui, a doublé, passant de 6 500 à plus de 12 000. Beaucoup de prisons se sont adaptées pour aider leurs détenus dans leur relation avec Dieu en mettant à leur disposition des salles de prières, des aumôniers et des régimes alimentaires en accord avec leur foi.

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Ce qui est très bien, à moins que vous soyez athée. Personne ne sait vraiment combien de détenus le sont, en partie parce que la question n'a jamais été posée, mais 25 000 détenus ont déclaré « ne pas avoir de religion » en 2014.

J'ai rencontré Alan* à Londres. L'année dernière, il a fini de purger sa peine de huit ans et demi de prison pour vol et voies de fait dans différents pénitenciers. Il a grandi dans une famille catholique plus ou moins pratiquante, mais Alan est aujourd'hui athée. Plusieurs fois dans notre conversation, il a décrit la religion — toutes les religions — comme « rien qu'un ramassis de conneries ». Il y a eu un petit malaise quand je lui ai dit que j'étais musulman, mais ça l'a amusé et il m'a souhaité de me « réveiller et de revenir à la raison ».

« La religion a une immense importance en prison, tout le monde est fou, m'a dit Alan. Pour certains, c'est une question de survie : des gars qui étaient associés à un gang se sont convertis à l'islam. C'était plus pour faire partie du groupe que parce qu'ils y croyaient sincèrement. Je ne les blâme pas. On est vraiment seul en prison. »

Alan affirme que le mélange de temps libre, d'abondance de livres religieux et de conversations fréquentes avec les aumôniers pousse les détenus vers la foi. Pour certains, c'est selon lui par simple opportunisme : « Ils s'en foutent de la religion, mais ils ne veulent pas être isolés toute la journée. Alors ils font un peu de théâtre et vont convaincre le directeur qu'ils ont décidé de changer de vie en prison. C'est juste pour sortir de leur cellule et participer aux activités de groupe : du sport, des arts, des affaires comme ça. »

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Quand j'ai demandé à Alan pourquoi lui n'avait pas fait semblant d'être croyant, il a haussé les épaules : « Je ne suis pas un bon acteur. J'avais l'occasion de parler à l'aumônier de la prison si je le voulais, mais je n'en voyais pas l'utilité. Je n'avais pas envie de faire semblant d'être croyant juste pour obtenir des privilèges sans importance. » Peu font ce choix. La vie d'Alan derrière les barreaux a été solitaire, passant son temps à s'entraîner, regarder la télé et dormir.

Presque toutes les prisons britanniques comptent au moins un aumônier, selon le ministère de la Justice. Même si ce service est censé être destiné à tous les détenus, le rôle de l'aumônier en prison a presque toujours été religieux. « Les difficultés spirituelles sont très répandues en prison : le sentiment d'abandon, de solitude et de honte est palpable », m'a dit Ben Ryan, chercheur au sein du groupe de réflexion chrétien Theos. « Les discussions avec les aumôniers peuvent apporter des réponses à leurs questions. Ce sont des personnes de confiance, ayant un statut différent du reste du personnel de la prison. On les utilise parfois comme intermédiaire, pour mettre fin à des protestations. Quant au rôle religieux, c'est pour permettre aux détenus d'exercer leur droit de pratiquer leur religion. »

Bien que les aumôniers aident à la réhabilitation des détenus, car les chapelles sont des endroits sûrs pour eux, Ben a ajouté qu'on pourrait en faire davantage pour venir en aide aux non-religieux. Les autres détenus manquent d'options pour obtenir du soutien.

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C'est un sentiment que doit partager Alan, qui a mentionné que la forte présence de la religion dans le système carcéral britannique lui laissait peu d'options dans les moments difficiles de sa peine. Il a vécu des épisodes de profonde dépression, mais il ne se sentait pas à l'aise d'en parler à l'aumônier. « C'était un homme gentil, mais il ne me comprenait pas vraiment ce que je lui expliquais. Il ramenait tout à ma spiritualité et à ce que je devais faire pour élever mon esprit. Je lui ai dit que je ne croyais pas en Dieu, ce à quoi il a répondu qu'il n'y avait pas de problème. Mais cinq minutes plus tard, il se remettait à parler de Dieu qui aime tout le monde. Ça m'a juste mis plus en colère. »

« Il y a cette idée selon laquelle les détenus arrivent en prison mauvais et en ressortent bons. C'est pour ça, je pense, que la religion est si puissante en dedans. C'est cette volonté d'être pardonné. »

Selon la British Humanist Association (BHA), les cas comme celui d'Alan sont beaucoup plus communs qu'on le pense. Depuis près de dix ans, la BHA distribue des exemplaires du Manuel du jeune athée dans des prisons de tout le pays. L'association fait du lobbying auprès du gouvernement pour qu'il offre plus de ressources aux détenus athées.

« Le mot aumônier a une forte connotation religieuse et les études montrent qu'il freine les non-religieux », m'explique Simon O'Donoghue, membre de la BHA. « Nos aidants, qui offrent le même type de soutien que les aumôniers, c'est-à-dire de l'écoute dans les moments difficiles. »

Simon estime aussi que, même si la plupart des services de réhabilitation dans le système carcéral — notamment les services de probation et de soutien psychologique — sont laïques, il y a tout de même des éléments religieux. Par exemple, « reconnaître la nécessité d'une puissance supérieure » dans le programme d'aide pour se sortir de la dépendance à la drogue. « Si vous êtes alcoolique ou toxicomane et athée, votre choix est beaucoup plus limité que si vous êtes croyants. »

Offrir plus de choix aux détenus sera toutefois difficile. Les réductions budgétaires dans les centres pénitentiaires touchent d'abord le soutien aux détenus. Des bénévoles comblent le vide et, sans surprise, ils proviennent de groupes religieux. C'est une sorte de paradoxe : les personnes les plus susceptibles de vouloir aider — « à cause de cette idée de rédemption en prison », selon Matthew Wells, secrétaire national de la Community Chaplaincy Association — sont souvent les personnes que les détenus athées rejettent le plus.

« Il y a cette idée selon laquelle les détenus arrivent en prison mauvais et en ressortent bons. C'est pour ça, je pense, que la religion est si puissante en dedans. C'est cette volonté d'être pardonné », estime Alan. Selon lui, les prisons devraient mettre l'accent sur la formation. « Avec tout ce temps libre, les détenus pourraient réfléchir à leurs opinions et décider par eux-mêmes ce qu'ils veulent être quand ils sortiront. Mais c'est plus de travail que de fournir un type qui répète que "Dieu vous aime". »

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