Si Barber a photographié la réalité de la « Big Society » britannique

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Si Barber a photographié la réalité de la « Big Society » britannique

L'austérité est-elle vraiment une chose si terrible ? Si Barber a l'air mort de rire.

L'austérité est-elle vraiment une chose si terrible ? Depuis que ce truc a frappé l’Occident en 2008,les gens ont plus tendance à se hurler dessus et à sous-estimer la valeur de leur propre vie pour finir par fantasmer un futur fait de Prozac, de clochardisation et d’apocalypse. Et désolée d'abuser, mais putain, je viens de Grèce, donc je sais de quoi je parle.

D’un autre côté, l'austérité permet aussi de décaper la couche de merde inutile qui recouvre nos vies de gros bébés gâtés. Finis les taxis. Finies les pizzas de lendemain de cuite qui coûtent un bras. Finis les paons blancs qui agitent leurs plumes au milieu du jardin. Finies les petites chaussures couvertes de diamants. Tous ces trucs ne sont plus aussi importants lorsqu’on est occupés à trouver de la bouffe pour le soir-même.

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Si Barber est un photographe du Norfolk, en Angleterre, et ces six dernières années, il a été suffisamment touché par le côté follement amusant de la vie en Grande-Bretagne en ces temps de banqueroute qu’il l’a photographiée sous toutes les coutures. J'ignore si ce que je vais dire a un sens – puisque, je le rappelle, je suis étrangère – mais en parcourant The Big Society, je suis tombée sur les images de la Grande-Bretagne dont je rêvais à 12 ans et que j’aime par-dessus tout depuis que j‘y habite ; un pays merveilleusement plongé dans la merde et perdu, quelque part au-dessus de la Manche. J'ai discuté avec Si de ses travaux géniaux.

VICE : Salut, Si. Vous avez passé un bon moment à travailler sur le projet The Big Society je crois.
Si Barber : Et je suis toujours dessus aujourd’hui. Quand j'ai commencé ce projet, en 2007, j'avais à peine quelques centaines de livres à dépenser, et entre l'essence, le logement, la nourriture et les vadrouilles de fin de semaine en Écosse, tout partait dans mon travail. Aujourd'hui, alors que les temps sont encore plus durs, j'essaie de tirer un maximum de chaque shoot. Je sors et je fais deux ou trois trucs en même temps.

Vous arrive-t-il souvent de vous engager dans des projets que vous détestez profondément ?
Je n'en déteste aucun, mais je trouve que l'imagination de certaines personnes qui travaillent à la pige est, comment dire, limitée. Je travaille aussi relativement souvent pour des journaux de qualité et ils ont une vision également limitée de ce qui fait une bonne photo. Ils demandent souvent « un peu plus d'éclairage», ce genre de conseils nuls.

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Ce qui me plaît dans vos photos, c'est leur simplicité. Vous pointez votre appareil vers quelque chose d'intéressant, et vous en faites une photo.
Est-ce qu'il y a une photo qui sort du lot, selon toi ?

Les Flower Queens.

J'aime beaucoup la photo des Flower Queens. Le mémorial de Barbie aussi.
Il y a une espèce de tristesse dans ces deux photos. Celle des Flower Queens est particulièrement intéressante parce que la parade de cette année était la dernière du pays. Elle a eu lieu à Spalding, dans le Lincolnshire, une région rurale et un pôle important de l'industrie florale. Si, un jour, vous achetez des fleurs dans une station essence, sachez qu'elles viennent du Lincolnshire. Le défilé est habituellement financé par le conseil municipal et les commerces locaux, mais ils n'en ont plus les moyens aujourd’hui. La région a également accueilli une forte immigration des pays de l'Est, il y a donc pas mal de tension en ce moment. On n'en est pas aux violences physiques, mais on sent une tension culturelle qui rend l'endroit assez intéressant.

Qu'en est-il de la Barbie crucifiée ?
Ça, c'était à Cumbria, sur la A66 ; les gens du coin disent que c’est une route très dangereuse. Il y a beaucoup d'accidents, mais le plus malheureux c'est que les conseils municipaux retirent les monuments commémoratifs qui y sont installés. Ils sont aujourd’hui considérés comme une forme de publicité… Et puis, on dirait qu'ils sont construits avec trois sous. « Désolé, tu es mort, mais on n'a qu'un tout petit billet à dépenser là-dedans. » Ça n'engage que moi, mais je n'aimerais pas dégrader un mémorial, peu importe à qui il est destiné. En tous cas, ils sont intéressants ; ils trônent là quelques jours puis disparaissent comme s'ils n'avaient jamais existé.

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Monument commémoratif d'un accident sur la route A66, Cumbria.

Quelle est votre photo préférée ?
Je crois que c'est l'affiche de Claudia Schiffer recouverted’un hijab. Je l'ai vue à Manchester. Ce qui me plaît le plus dans cette photo, c'est le bus qu'on voit à l’arrière-plan. À mes yeux, c'est un symbole de l'Angleterre traditionnelle et je trouve que ça crée une certaine tension dans la photo ; j'adore ça.

J'ai noté que beaucoup de vos photos étaient consacrées à la vie dans l'armée. Pourquoi ?
Mon père était dans la Royal Air Force, donc j'ai grandi dans cet univers, et ce qui me frappe toujours dans l'armée, c'est qu'ils ont cette espèce d'image où tout est parfaitement ordonné, clean, etc. Mais la vérité est tout autre, c'est un désastre, un désastre absolu. Par exemple, le pourcentage de couples qui divorcent dans l'armée dépasse les 50%.

Comment vous expliquez ça ?
Je crois que c'est en partie lié au fait qu'ils sont tout le temps en déplacement. L'autre aspect qui m'interpelle, c'est le côté sentimental qui gravite autour de l'armée. La presse mainstream est contrainte de présenter la guerre comme une espèce d'entreprise noble, alors qu'en réalité, il ne s'agit que de vieux qui envoient des jeunes au casse-pipe. Et s'ils reviennent, ils sont charcutés ou complètement dépressifs. Personne n’en parle dans les médias anglais.

Cérémonie de « bienvenue à la maison » au retour des troupes d'Afghanistan. Le corps du soldat James Grigg est transporté dans l'église de Stradbrook, dans le Suffolk. Ce jeune homme de 21 ans, tué par une explosion à Musa Qala, est le 257ème membre des Forces Armées britanniques mort en Afghanistan.

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Aimeriez-vous que vos photos donnent lieu à ce genre de débats ?
Oui. Mais dès lors que l’on pose ce genre de questions, les gens vous considèrent comme un extrémiste. Et bien sûr, il y a un autre problème ; ces mecs qui reviennent, blessés, et qui sont pris en charge par des organisations caritatives. Ça crée ce fantasme du « héros » : c'est un sentimentalisme grossier, sinistre. Le gouvernement britannique envoie des gens à la guerre, mais quand ces gens reviennent, il attend que ce soit une organisation caritative qui s'occupe d'eux.

Je trouve que l’on retrouve une certaine« douceur » dans votre projet. Comme si ces photos disaient : l’Angleterre est toujours belle, l'Angleterre est toujours drôle, l'Angleterre est simplement dans une merde noire.
Vous avez raison. Quand les temps sont durs, on voit souvent des accès de patriotisme. On avait déjà vu ça avec Thatcher et les Malouines. Mon père a participé à cette guerre, j'avais 14 ans quand elle a éclaté. À l'époque, personne n'avait la moindre idée d'où se trouvaient les Malouines, certains pensaient que c'était près de l'Écosse. Après la victoire, les Malouinessont devenues cette partie si « importante » de l'Angleterre et de l'anglicité. Bien entendu, c’est du pipeau intégral ; tout le monde ici se fout des Malouines.

Célébrations du mariage royal.

Je ne pense pas du tout qu’il soit « mal » d'aimer son pays, mais quand les gens deviennent trop patriotes, ils font systématiquement des mauvais choix. Vous trouverez des gens pour écrire « J'aime la Grande-Bretagne » alors qu'ils ne savent même pas l'écrire sans fautes. Lors des festivités pour le mariage royal, je me suis retrouvé devant ce type qui faisait un discours en pleine rue à propos de la grandeur de la Grande-Bretagne. Et il portait un drapeau au bout d'une perche. Dès qu'il a eu fini de vociférer, il a déroulé le drapeau, et il s'est avéré qu'il l'avait mis à l'envers.

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Vous disiez avoir lancé le projet The Big Society en 2007. Qu'est-ce qui est arrivé en premier, l'idée du projet ou les photos de la Grande-Bretagne en récession ?
Alors que me baladais à Cambridge, j'ai pris une rue et je suis tombé sur une longue file de personnes qui attendaient devant une succursale de la banque Northern Rock. Ils faisaient la queue pour récupérer leur argent parce que la banque avait coulé. C'était la première banque à vivre ça dans le pays en 150 ans. J'ai été frappé, je me suis dit que quelque chose était en train de se passer – les journaux ne parlaient pas encore du crash à l'époque – et j'ai commencé à m'affairer. Quand l'étranglement du crédit est arrivé, je me suis encore plus investi dans le projet. La différence, à l'époque, c'est que je n'avais pas à vadrouiller à la recherche de sujets, ils avaient plutôt tendance à me tomber dessus.

Diriez-vous qu'une mauvaise situation économique favorise les comportements grotesques dans un pays ?
Absolument, et l'ironie de tout ça, c'est que les meilleures photos se présentent toujours à vous dans ces contextes économiques merdiques.  Mais ce qui m'intéresse, ce n'est pas LA grosse photo – les émeutes, le feu, ce genre de trucs – je cherche plutôt les petites choses. Je veux photographier le mémorial, pas l'accident. Quand on regarde la photo de l'accident, on est choqué en voyant la personne blessée, alors qu'à travers le mémorial, on voit la nature pitoyable de notre condition d’humains. Je ne dis pas que la vie est pitoyable, mais ériger ce mémorial avec trois morceaux de bois, ça peut donner une idée du caractère extrêmement fragile de notre vie à tous.

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Pour en savoir plus sur les travaux de Si, rendez-vous ici.

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