« Au Pérou, le punk n’est pas mort ! »

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« Au Pérou, le punk n’est pas mort ! »

Pilier de la scène punk péruvienne, la graphiste et organisatrice de concerts Karen Müller aka Pornochick nous parle de la scène locale et de sa haine pour Rage Against The Machine.

Photo - Frank Martinez (via) Sinistres, les photos parlent d'elles-mêmes : des rangées de cadavres d'Indiens alignés dans la Sierra, à trois mille mètres d'altitude dans les Andes. Les malheureux ont eu le tort de refuser d'intégrer les rangs du Sentier Lumineux, la guérilla maoïste qui a dévasté le Pérou pendant plus de vingt ans et qui continue encore de sévir de manière endémique aujourd'hui. « Les terroristes » comme on dit là-bas. La riposte de l'armée péruvienne a été au diapason : aux massacres des communistes, les militaires ont répondu en exécutant et torturant à tour de bras.

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Ces années de plomb péruviennes (1980 – 2000) sont désormais racontées par une expo de photos abominables au Museo de la Nación de Lima où nous nous trouvons avec Karen Müller alias Pornochick. La jeune graphiste et vidéaste germano-péruvienne de 31 ans a organisé des concerts punk à Arequipa, la deuxième ville du Pérou pendant quinze ans avant de déménager à Lima. « Quand je pense que ces connards de Rage Against The Machine ont rendu hommage au Sentier Lumineux, j'ai envie de tout casser ! » [ dans le clip de « Bombtrack »] dit-elle devant une photo de massacre.

Moins connue que les scènes colombiennes, mexicaines ou argentines, les scènes punk et rock péruviennes n'en sont pas moins très actives et comptent bon nombre de groupes cools, en hardcore notamment. Après l'avoir croisée au deuxième Lima Metal Festival et au concert de Mayhem, je retrouve Karen quelques jours plus tard au Hensley, un excellent bar keupon de Lima pour le concert de DHK, des légendes hardcore du coin. La veille, des cambrioleurs ont essayé de braquer l'appart d'une de ses voisines. « Je les ai fait fuir en mettant du Venom à fond, ahah ! »

Karen Müller aka Pornochick

Noisey : Pornochick, c'est le pseudo anti-Google par excellence, non ? Impossible de te trouver, on tombe forcément sur des pages et des pages de boulards…
Pornochick : Oui, c'est fait exprès ! J'aime bien brouiller les pistes… [Rire maniaque].

Comment as-tu commencé dans la musique ?
J'ai grandi en écoutant de la musique classique. Mon père voulait qu'il y ait un musicien dans la famille et j'ai pris des cours de musique, de flûte notamment. Petite, je devais reconnaître les instruments qui étaient joués quand on écoutait des disques. Ma famille n'a jamais été riche mais nous n'avons jamais manqué d'argent. J'avais beaucoup de questions en moi. Je me demandais pourquoi je vivais dans cette bulle alors que dans mon pays beaucoup de gens n'avaient pas la même chance que moi. Le punk m'a ouvert les yeux.

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J'ai découvert le punk rock par hasard, quand j'avais quatorze ans. Je me promenais dans la rue quand j'ai entendu une musique étrange, comme je n'en avais jamais entendu. Je me suis dirigée vers l'endroit d'où elle provenait et je suis tombé sur un concert, un groupe local. Il n'y avait que deux filles, un peu plus âgées que moi. Tout de suite, les punks m'ont regardé. Je voyais dans leurs yeux quelque chose comme « Cool ! De la chair fraîche » [ Rire démoniaque]. Le punk est une grande école dans un pays fucked up comme le Pérou. Dans le punk, il n'y a pas de discrimination alors que le Pérou est un pays où il y en a beaucoup.

Comment étaient les groupes punk d'Arequipa au début des années 2000 ?
La plupart d'entre eux était inspirée par les groupes espagnols comme Eskorbuto ou Disidencia qui était le groupe préféré de beaucoup de gens. Il y avait aussi quelques groupes hardcore. Les vieux groupes étrangers plus mainstream comme les Dead Kennedys étaient appréciés. Les gens connaissaient bien sûr les classiques comme les Sex Pistols. Ils adoraient la musique mais presque personne ne comprenait les paroles ! C'est pour ça que le punk espagnol était si populaire. Après, pas mal de gens sont passés au punk argentin comme Mai Momento. Les groupes de l'époque s'inspiraient beaucoup des paroles anti-gouvernement des punks espagnols. On n'avait pas de groupes avec des paroles à la Ramones genre « I don't wanna », etc. J'aime bien ce genre de « happy punk » mais je ne me souviens pas qu'il y ait eu des groupes du genre.

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Tu étais une des seules filles de la scène…
J'étais une des plus jeunes. Tous les anciens avaient vécu l'époque du terrorisme et des abus du gouvernement. C'était quelque chose de très présent. On avait aussi bien sûr des groupes gauchistes. Pendant l'apogée du Sentier Lumineux, les riches avaient peur de tout perdre. Les pauvres aussi, parce qu'ils craignaient d'être exécutés s'ils ne rejoignaient pas le SL. On disait que le SL voulait tuer tous les ingénieurs du Pérou, ce genre de choses. L'époque était très politique. Tu ne pouvais pas boire une bière peinard sans que des mecs te donnent des tracts. Dans les villes, certains artistes et intellos ont rejoint la SL. Ils ne voulaient pas forcément tuer des gens, ils se prenaient juste pour des rebelles. Quand ils se faisaient arrêter, il y en avait plein qui se metttaient à pleurer leur mère au bout de deux ou trois jours de prison ! [Rire satanique] Alan Garcia, le président de l'époque, était stupide. Le Pérou a fait faillite, les terroristes étaient puissants, les gens s'appauvrissaient, c'était le chaos.

On dit que votre 1977 a eu lieu en 1985 avec le mouvement du rock subterráneo
Effectivement, alors que le pays est en pleine guerre civile, le milieu des années 1980 voit l'apparition du rock subterráneo, du rock underground comme son nom l'indique, qui s'inspirait du punk avec des groupes essentiels, fondateurs comme Leusemia et Narcosis. C'était une époque de vraie dèche économique. Comme presque tout le monde était pauvre, seuls quelques riches avaient des disques que leurs parents avaient rapporté des États-Unis. Ces disques finissaient forcément par être copiés sur cassettes et c'est comme ça que les nouveautés se répandaient. Il n'y avait pas de magasins de disques, seuls les riches pouvaient se payer des instruments. Finalement, les riches qui avaient des disques et voulaient faire de la musique se sont mélangés avec les gens qui n'avaient pas d'argent et la scène s'est agrandie.

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Et dans les quartiers populaires ?
Les gens écoutaient de la chicha. On appelle à tort cette musique « cumbia péruvienne » alors qu'en fait, il s'agit de huayno, de la musique folklorique andine, mélangé avec du rock and roll. Il y avait des groupes très populaires comme Los Shapis qui avaient sorti un disque avec cette pochette démente qui détournait le Road To Ruin des Ramones. Chacalon était un artiste très populaire. Il avait écouté Cream et avait baptisé son groupe La Nueva Crema ! [Rire tout droit sorti d'Evil Dead]

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Il y a quelques années, Noisey s'est intéressé à Los Saicos, un groupe péruvien sixties considéré comme proto-punk…
Oui, ils jouaient des trucs vraiment cools, très psychédéliques. De cette époque, j'aime beaucoup Traffic Sound, Los Shain's et Los Yorks qui étaient célèbres aussi. C'était des groupes capables de jouer très garage. Dans les années 60, la scène péruvienne était passionnante. Mais le président nationaliste Velasco a mis un coup d'arrêt à tous les imports et il est devenu extrêmement difficile voire impossible de suivre l'actualité du rock. Il ne voulait pas que les Gringos s'accaparent nos terres et polluent notre mode de vie…

Pour en revenir aux années 80, Lima avait une aussi une scène gothique assez active dans les années 80…
Il y avait des groupes mais je les trouve très kitsch. Les gothiques se faisaient souvent frapper par les métalleux. À cette époque, ils détestaient les punks et les fans de new wave. Il y avait souvent des bagarres. Les métalleux venaient souvent de milieux aisés. Ils parlaient l'anglais, pouvaient s'acheter des instruments et faire des reprises… Woooow ! Ils détestaient ces punks horribles qui fumaient de la pasta de cocaïne et les synthétiseurs de la new wave. C'était vraiment une époque de haine ! Maintenant, ça n'a plus rien à voir.

Quelle était la principale difficulté que tu as rencontré quand tu organisais des concerts à Arequipa ?
Les relations avec la police. Nos concerts étaient vraiment underground mais, au bout d'un certain temps, la police nous a surveillés. Ils pensaient qu'on vendait de la drogue. Il y en avait bien sûr, mais ce n'était pas nous qui dealions. On avait aussi des problèmes avec une bande de petits punks qui étaient habillés comme des punks anglais de 77. Sous prétexte qu'ils portaient l'uniforme punk, ils voulaient ne jamais payer l'entrée. Pour me moquer d'eux, je les appelais Los Jotitas, qui est le nom de l'équipe de foot péruvienne des moins de 17 ans. Une fois, comme je les empêchais d'entrer, ils ont dévasté la rue. Après, la police a commencé à m'embrouiller sous n'importe quel prétexte : genre me menacer d'amendes énormes à cause de nos affiches. Une fois, il a fallu toutes les arracher en urgence parce que sinon c'était le procès !

À six euros le gramme de coke dans la rue à Lima, j'imagine qu'il y avait pas mal de drogue dans la scène…
Oui, bien sûr mais à Arequipa la cocaïne est très mauvaise et la marijuana coûte vraiment cher. Beaucoup de gens préfèrent donc prendre de la coke ou du PBC [pâte basique de cocaïne].

Quelle est la principale différence de la scène punk d'aujourd'hui avec celle du début des années 2000 ?
Aujourd'hui, les groupes veulent de l'argent. Désormais, la scène est plus mainstream. Je trouve ça normal.

Tu nous recommanderais quels groupes ?
Leusemia et MoRbo. À Arequipa, mon groupe préféré est Terminal.