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Bat For Lashes a-t-elle chopé le melon ?

On est allés passer un moment avec Natasha Khan pour tenter de comprendre où elle avait voulu en venir avec son dernier album « The Bride ». Et on a lamentablement échoué.

Sorti en pleine torpeur estivale, The Bride n'a pas forcément remporté les suffrages des convives présents au banquet.  La faute à une production ampoulée et à des moments d'emphase foutrement gênants qui ne mettent pas en valeur la dernière pièce montée de Natasha Khan. On a pourtant affaire à un concept album qui raconte l'histoire d'une femme dont le fiancé meurt d'un accident en se rendant à la cérémonie de mariage. Pourquoi pas puisque les Who nous ont bien par le passé narré les aventures d'un champion de flipper aveugle ou les Beatles celles du Sergent poivre ? Le principe du concept album reste inchangé : tout le monde se branle de l'histoire tant que la musique est bonne. Et là, c'est le bug. « Captivant », « doté d'une narration mystérieuse »… Les qualificatifs du communiqué de presse n'y changeront rien : cet été, ce disque nous a servi de frisbee sur la plage, avant de finir au barbecue. Les choses ne s'arrangent pas vraiment quand l'artiste nous explique sa démarche d'art total. Faites entrer l'accusé. Noisey : Evacuons de suite la question embarrassante. Es-tu fan de Chaka Khan ?
Natasha Khan : Oui ! A la maison, ma mère mettait souvent « I Feel For You », sa reprise de Prince. Elle aimait bien passer des morceaux de cette chanteuse parce qu'elle portait notre nom de famille. Je me souviens que mon frère et ma sœur chantaient souvent ça dans la voiture. Aujourd'hui encore, je la joue régulièrement chez moi.

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En 2013, tu as repris « The Bride​ », un morceau iranien, avec le groupe psyché anglais Toy. Ça a été le déclencheur pour ce nouvel album ?
Au départ, cette chanson s'appelait « Aroos Khanom », une chanson iranienne. Je me suis souvenue de ce morceau, qui raconte la manière dont le mariage cadre une vie. Pour faire simple, dans de nombreuses sociétés, si tu as réussi à te marier, tu deviens une personne socialement acceptable. C'est un rituel qui existe encore. Evidemment mon album, The Bride, n'a rien à voir avec ce morceau. Le personnage est très différent. Mais il est possible qu'il trouve son origine là-dedans. Es-tu mariée ?
Non. Je ne te demande pas si tu veux m'épouser. C'est peut-être un peu tôt ?
C'est une demande originale en tout cas, merci. Même si j'ai déjà eu quelques propositions dernièrement.

Avec ce nouvel LP, on a l'impression que tu as as voulu sévèrement critiquer l' « institution mariage ».
Au début de l'album, le personnage chante « I do ». Le mariage est quelque chose d'un peu dangereux. Bien sûr, c'est très beau, mais c'est surtout un mirage romantique. Un conte de fées qui n'existe pas. Un idéal qui relève un peu de la science-fiction. Dans nos sociétés actuelles, on veut tous vivre de forts sentiments, mais c'est un rêve assez sombre et illusoire. Pour ça, il faut se livrer de plus en plus, se laisser profondément aller dans la relation. Or la romance doit rapidement mourir et aller vers la réalité d'une relation. Dans The Bride, le mari de la narratrice meurt. Je me suis alors dit « Si elle part en lune de miel quand même, elle ne peut tomber amoureuse que d'elle même ». Parce qu'au moment de la lune de miel, c'est le début de l'engagement, de la promesse à l'autre. C'est aussi le moment où tu te comprends enfin toi même, où tu sais vraiment comment tu réagis au fait d'être marié. C'est pas du tout un instant où tu es en quête de bonheur. Pour répondre à la question, je dirais que j'aime beaucoup l'idée du mariage, mais pas du tout cette idée de construction sur la base d'une lune de miel. La cérémonie, c'est pareil. C'est avant tout une journée héroïque et difficile.

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Se marier, c'est un début ou une fin ?
Les deux, je crois.

Comment t'es venu l'idée de produire un disque sur cette thématique pas super vendeuse ? 
J'ai commencé il y a deux ans, chez moi. Le premier morceau que j'ai composé, c'est celui qui ouvre l'album. Une fois que j'ai eu plusieurs démos, j'ai commencé à chercher quelqu'un qui pourrait produire le disque. J'ai vu pas mal de gens brillants mais j'avais ma propre vision du disque et je ne voulais rien lâcher. J'ai fini par dire à mon manager que je voulais produire moi-même l'album. Il m'a alors demandé ce dont j'avais besoin. J'ai répondu : une maison. J'avais déjà énormément de bribes de compositions sur un disque dur, mais j'avais besoin d'organiser tout ça. Il a trouvé Simon Fellis qui a été un « facilitateur ». En me trouvant par exemple tous les instruments dont j'avais besoin, en me soutenant dans mes moments de doute.

C'est la première fois que tu produis un de tes albums.
C'est surtout la première fois que je suis créditée comme tel. J'avais déjà fait le même travail par le passé. Même un peu plus, en réalité. C'est marrant, cet impact que peut avoir le mention « Produit par » sur un album. On a toujours l'impression que le disque a été produit par cette seule personne, mais c'est souvent faux. Je pense que je n'aurais pas pu produire ce disque si je ne m'étais pas autant impliqué sur les disques précédents, c'est un travail si dur, si difficile et compliqué. C'est au fil des années que j'ai acquis ces capacités qui m'ont permis de prendre une telle responsabilité : produire mon disque. Je suis d'autant plus fière de l'avoir fait sur ce disque que les morceaux ont vraiment besoin d'être homogènes puisque c'est un album concept. La narration, les morceaux, la trame, tout devait mener quelque part et fonctionner. Mon travail, c'est de trouver la bonne combinaison, celle qui permet à l'album de fonctionner. Simon Fellis m'a beaucoup aidé pour organiser les morceaux. Booker les musiciens pour tel enregistrement. Il s'est occupé de tous les aspects administratifs. Mon job, c'était d'expliquer aux musiciens les couleurs sonores, les sentiments attendus, les sons. Je devais aussi travailler avec l'ingénieur du son pour façonner les beats, les dynamiques, etc. Un peu comme pour une peinture ou pour une sculpture.

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Tu as utilisé le mot de « responsabilité ». Au stade du 4ème album, tu ressens encore de la pression ?
Non… En fait, je ne voulais pas vraiment faire un nouveau disque. Je voulais vraiment écrire un film et le réaliser. Mais la musique est venue à moi, sans que je la cherche, et j'ai dû l'écouter. C'était une création compulsive. Si ça vient, ça vient, et je dois écouter cette montée de créativité. Je fais ça depuis que j'ai 9 ans, donc c'est ma vie désormais. Je ne peux pas échapper à mes pulsions créatrices. Et ce n'est pas vraiment grave car on continue à développer ce script que j'ai écrit. Mais la musique est venue en premier cette fois. Même si je suis en permanence en train de réfléchir en terme de films. Je ne peux pas m'arrêter de créer, c'est mon destin.

À 9 ans, pourquoi s'oriente-t-on vers la musique de façon si professionnelle ?
Mon père était un très bon musicien, ça vient de là je pense. Ca n'était pas une volonté, je me rappelle surtout de nos jeux, de ses histoires. Mais la musique était ma relation intime avec mon père. Il n'était pas très intéressé par le sport, sinon je serai peut-être devenue une joueuse de squash.

J'ai l'impression que ça a toujours été facile pour toi, non ?

Non. Chaque album est difficile, bien sûr. Tu es fatiguée, c'est dur, tu ne sais pas à quoi va ressembler le résultat final. C'est la panique, un long chemin de croix. C'est comme avoir un bébé. Beaucoup de fatigue. Tu crains pour la pérennité de ta créativité. Mais tu lui fais confiance, et si tu restes intègre et honnête, alors c'est toujours bon à la fin. Mais si tu laisses le doute et le jugement de ton ego s'infiltrer dans le processus créatif, tu dois lutter. Impérativement. Mettre tout ça dehors, éliminer ce poison qui te guette. Voilà, chaque album ressemble à ça. A la création d'un espace que toi seul peut ressentir pour provoquer ce qui doit venir. Sur le premier LP, j'étais très naïve, sans espoirs particuliers. Ca m'a permis d'être pure. Sur le second, j'avais encore un peu de ça mais aussi des influences extérieures qui se sont révélées positives. J'étais allée à New-York et de nombreux artistes m'avaient influencée. Le troisième a été le plus difficile, car j'ai laissé entrer la crainte et les espoirs, et ça m'avait un peu bloquée. C'était compliqué. Alors pour celui-là, j'ai voulu écrire vite, sans pression, même si la production a été assez longue. Tout ça est une gestation qui se mérite. Comme un merveilleux scotch, il faut du temps pour le bonifier.

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Prendre son temps, c'est aussi l'idée de ta maison de disque qui a tardé à sortir l'album.
C'est vrai. J'aurais souhaité qu'elle le sorte en novembre dernier, quand je l'ai terminé. C'est évident. D'autant que j'entre maintenant dans la phase de sortie du disque, celle pendant laquelle je dois beaucoup communiquer, parler, expliquer les choses. Une phase où je n'arrive pas vraiment à réfléchir au projet suivant. Là, je dois parler de, The Bride, le chanter, le jouer en concert. Ca demande une énergie très différente de la phase de composition qui est plus contemplative. J'essaye quand même de lire, de voir des expos, des films, d'être plus en phase avec notre monde et m'en nourrir pour que ça ressorte dans le prochain album.

Depuis tes débuts, tu as joué avec Beck, Coldplay, Cocorosie, Damon Albarn, Scott Walker…

Généralement, c'est eux qui me contactent. Le seul que j'ai contacté, c'était Scott Walker. Parce que j'adorais son album

Drift

. Si sombre, bizarre. J'adorais ce côté électronique, mais ce que je souhaitais dans mon morceau, c'était sa voix des sixties. Je pensais qu'il pouvait apprécier la musique, mais je n'avais aucune idée de la manière dont il chanterait. Je ne lui ai évidemment pas demandé comme il le faisait dans les sixties.  Mais au final, le résultat de notre collaboration était fantastique.

Revenons à The Bride. Comment le situes-tu dans un monde occidental où Tinder règne en maître ?

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Comme le parfait antidote à Tinder. La définition même de son opposé. Tinder est super pour le sexe, mais pour le mariage ou les relations longues, je crois que c'est le pire chemin à prendre. Je ne l'utilise pas. C'est triste de se sentir exister parce que d'autres aiment ta photo ou parce que tu parviens à trouver un moment de baise avec un inconnu. Le processus de sélection est complètement dingue. Comment peut-on passer son temps à dire « Oui, oui, non, non, oui… » ? C'est trop rapide. Une relation, c'est comme une œuvre d'art, elle ne peut être belle que si on prend le temps pour qu'elle le soit. La patience est en train de disparaître. Mon album, c'est comme le cycle de la vie. Tout change, et il faut savoir affronter les périodes de crise, les moments difficiles.

The Bride

, c'est ça. Beaucoup de noirceur, et à la fin, la lumière du soleil enfin retrouvée.

Tu parles de relations humaines mais tu es une artiste solo. Ce n'est pas trop ennuyeux de tourner toute seule ?

Parfois, si. Je me sens très seule, avec beaucoup de responsabilités envers moi-même. Je me mets beaucoup de pression, je me demande si je suis suffisamment brillante pour traduire ce que je ressens de telle manière que les autres pourront être touchés par mon art. Parfois, mon travail devient toute ma vie, jusqu 'à faire disparaître Natasha. Et parfois, Natasha en a marre et souhaiterait n'avoir rien à faire seule. Pour une femme, c'est pas simple de mener de front vie amoureuse et carrière musicale. Pour les enfants également. Le choix est le suivant : préfères-tu avoir un « bébé musical » ou un vrai bébé ? Il y a beaucoup de conflits et de questions en moi, et parfois c'est difficile.