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Interview

Une femme parmi les cadavres

Lauren, 26 ans, passe ses journées à embaumer des corps et à réconforter des familles endeuillées.
Photo de couverture de Lauren LeRoy

Lauren LeRoy a l'habitude. À chaque fois qu'elle précise ce qu'elle fait pour gagner sa vie, les sourcils se lèvent, les gens s'interrogent. En effet, cette jeune femme de 26 ans ressemble encore à une étudiante à qui on demanderait sa carte d'identité avant d'entrer dans un bar. Le truc, c'est que Lauren LeRoy dirige un service de pompes funèbres. Au cours de ses six années de carrière, elle a organisé plus de 1 000 funérailles et a donc été confrontée à pas mal d'engueulades familiales et de demandes impromptues.

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Logiquement, j'ai voulu en savoir plus sur son quotidien, parce que je me suis toujours demandé ce que ça faisait de passer ses journées au milieu d'une odeur flottante de mort.

VICE : À partir de quel âge as-tu voulu devenir directrice de pompes funèbres ?
Lauren LeRoy : Je suis passionnée par les pompes funèbres depuis l'âge de 12 ans. Ma grand-tante et mon grand-oncle dirigeaient une entreprise de pompes funèbres et j'avais pour habitude de passer souvent les voir. Je n'ai jamais trouvé ça « bizarre » – ils vivaient juste au-dessus de leur entreprise, dans le même bâtiment, et je trouvais ça totalement normal. Quand j'ai fêté mes 12 ans, mon grand-père est mort. Huit mois plus tard, c'était au tour de mon grand-oncle de mourir. Ces décès m'ont énormément touchée. C'est là que j'ai voulu travailler dans les pompes funèbres, même si je ne savais pas vraiment ce que ça voulait dire à l'époque.

T'arrive-t-il de devoir arbitrer entre différents membres d'une même famille, qui ne se supportent plus ? 
Ça arrive très souvent. Après, mon job est de diriger des pompes funèbres, pas de donner raison à quelqu'un. Je ne suis pas notaire. Il faut savoir prendre du recul et laisser les membres de la famille prendre les choses en main, même s'ils ne veulent pas le faire.

Cette carrière a-t-elle affecté ta vie personnelle ?
Si je n'étais pas mariée, je pourrais y réfléchir, mais ce n'est pas le cas. J'ai rencontré mon époux quand j'avais 15 ans. Il a toujours su quelle carrière je voulais embrasser et il m'a toujours soutenue. J'imagine que s'il n'avait pas été là, rencontrer quelqu'un aurait été difficile. Mes journées sont longues et quand je sors du boulot je n'aspire qu'à une chose : rentrer chez moi et m'affaler sur mon canapé. Je ne sais pas comment je pourrais rencontrer quelqu'un si j'étais célibataire – je n'aurais pas la force de sortir.

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Photo de Lauren LeRoy

Ce travail te permet-il de mieux appréhender ta propre mortalité ?
J'ai grandi dans une famille catholique. J'ai toujours mis la religion au centre de ma vie et j'ai toujours été persuadée qu'il y avait quelque chose « de plus ». Pour moi, la mort n'est pas la fin. Après, le fait de travailler dans les pompes funèbres me permet d'apprécier à sa juste valeur chaque jour qui passe. J'enterre des personnes âgées mais aussi des bébés et des adolescents. Vous ne savez jamais de quoi demain sera fait.

Qu'apprécies-tu le plus au quotidien ?
Les gens que je rencontre. Je les croise dans l'une des périodes les plus difficiles de leur vie, mais ça ne change rien. J'entends des récits fantastiques sur la vie des gens que je m'apprête à enterrer, et ça me plaît. J'adore les gens, en fait. C'est pour ça que je fais ce que je fais.

Et qu'est-ce qui t'embête le plus ?
Sans doute le côté imprévisible de mes journées. Il m'est impossible de mettre en place un emploi du temps. C'est devenu une blague dans ma famille. Quand on m'invite quelque part, je réponds toujours : « Je viendrai, sauf si quelqu'un meurt. » D'un côté, je ne m'ennuie jamais, de l'autre ça rend très difficile de prévoir quoi que ce soit.

Que souhaites-tu dire aux gens au sujet des entrepreneurs de pompes funèbres ?
Qu'ils ne devraient pas en avoir peur ! Quand les gens pensent aux pompes funèbres et à leur personnel, ils visualisent tout de suite la famille Addams. Ne vous méprenez pas : je porte du noir au quotidien, mais cela n'a rien de macabre. Je suis une personne tout à fait normale.

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Les femmes sont-elles de plus en plus présentes dans ton corps de métier ?
Tout à fait. Quand j'ai été diplômée en 2010, la majorité de ma classe était composée de femmes. C'était génial. Aujourd'hui, il n'est plus rare de tomber sur une femme dans le milieu.

En ce moment, quelles sont les demandes à la mode au niveau musical ?
« You Raise Me Up » de Josh Groban est très souvent demandé — tout comme « In the Arms of an Angel » de Sarah McLachlan. Je garde toujours quelques CD sur moi, on ne sait jamais. Je ne sais pas pourquoi, mais pas mal de fans d'Elvis ont recours à mon entreprise. J'ai donc toujours un CD d'Elvis dans le coin. Quand les gens viennent chez moi et me disent : « Ma mère adorait Elvis… », je leur réponds que j'ai ce qu'il faut.

As-tu en tête quelques demandes inhabituelles ?
Je n'ai jamais été choquée par quoi que ce soit. Je ne juge jamais, d'ailleurs. Un jour, un père de famille qui venait de perdre son fils m'a demandé que celui-ci soit vêtu de ses plus beaux habits lors de la présentation du corps aux proches. Après cela, il devait être incinéré. Son père a exigé de récupérer ses vêtements avant que son petit garçon soit brûlé. Pourquoi ? Je ne sais pas, et je ne cherche pas à savoir. C'est mon boulot.

Te souviens-tu de défunts en particulier ?
Je me souviens de deux services funéraires bien précisément. Le premier, c'était lors de la présentation du corps à la famille. La défunte était assez jeune – elle venait de mourir d'un cancer du sein. Je l'avais préparée et l'avais installée dans son cercueil. Un peu plus tard, quand son père est arrivé, il s'est avancé vers le cercueil et s'est mis à parler à sa fille. Ça m'a bouleversée. J'ai quitté la pièce pour les laisser entre eux – c'était un moment magnifique. Sur le coup, j'ai pensé à mon père. Je ne suis pas près d'oublier ce moment.

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Sinon, je me souviens également du décès d'un bébé d'un mois. Il était très malade. Le service hospitalier qui l'accueillait avait des murs recouverts de papillons. Ce bébé est mort avant d'avoir pu rentrer chez lui – il n'a connu que ces murs-là. Au cimetière, alors que le prêtre prononçait quelques prières, il a dû s'interrompre car des dizaines de papillons volaient autour de nous. Ils avaient fait leur apparition d'un seul coup. Plus tard, lors du retour de la famille aux pompes funèbres, tous m'ont dit que voir ces papillons leur avait fait du bien. Ils étaient convaincus que le bébé était en paix.

Quel est le diplôme à suivre si l'on veut travailler dans les pompes funèbres ?
Au lycée, j'ai suivi des cours de rhétorique, pour apprendre à parler en public – je savais que ça me serait utile. Dans l'État de New York, là où je travaille, il vous faut obligatoirement un diplôme en services funéraires. Après cela, vous devez passer un examen national. Une fois que vous avez ces deux diplômes en poche, vous devez passer un an en tant qu'apprenti dans un service de pompes funèbres. Après cela, il vous faut passer un examen de droit dans le domaine de la santé. Tout cela vous prend approximativement trois ans.

Es-tu bien payée ?
Ça dépend des mois. Lorsque vous être propriétaire de votre service de pompes funèbres, vous gagnez mieux votre vie. Après, il ne faut pas compter ses heures. Il m'est arrivé de comparer mon salaire horaire à celui d'un employé de McDonald's. Eh bien, je gagne moins. Disons que vous ne faites pas ce métier pour devenir millionnaire.

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Tous les directeurs et directrices de pompes funèbres doivent-ils maîtriser l'embaumement ?
Dans l'État de New York, tous doivent savoir le faire, mais ils n'ont pas forcément à le pratiquer au quotidien. Cela fait six ans que je travaille, et je n'ai embaumé des gens qu'au cours de mes trois premières années. Aujourd'hui, je m'occupe de rencontrer les familles, de leur proposer nos différents services, etc. Je connais certains entrepreneurs de pompes funèbres qui font toujours des embaumements, mais c'est parce qu'ils travaillent dans des petites structures.

Es-tu satisfaite de ne plus en pratiquer ?
Non, je ne dirais pas ça. Après, il est vrai que certains embaumements peuvent être « pénibles », notamment lorsque le défunt est décédé depuis un certain temps et que le corps a commencé à se décomposer. Je crois que personne n'aime ça dans le métier. L'odeur ne s'oublie pas. Il faut toujours se souvenir que le corps en face de nous est une personne, quoi qu'il arrive.

Y a-t-il de nouvelles « modes » dans le milieu des pompes funèbres ?
Pas vraiment de nouvelles modes, non. Les crémations sont de plus en plus courantes, c'est un fait. Je travaille dans la ville de Buffalo, et ma clientèle est assez vieille et traditionaliste. Les familles possèdent déjà des caveaux dans la plupart des cas.

Les gens plus jeunes ont souvent recours à la crémation – moins chère et plus « pratique ».

Selon toi, quelles sont les qualités indispensables pour faire ce travail ?
Vous devez faire preuve de compassion. Vous ne pouvez pas être indifférent, c'est impossible. Vous devez aimer aider les gens – surtout ceux qui traversent des périodes très difficiles. Vous faites souvent passer les autres avant vous, vous n'avez donc pas le choix. Si vous n'avez pas cet état d'esprit, ça ne sert à rien.

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