L’Amérique de l’ombre

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Culture

L’Amérique de l’ombre

Des parkings du Kansas aux puits de pétrole du Dakota du Nord, le film « American Honey » montre les États-Unis des routes et des motels.

Cet article a été rédigé dans le cadre de la sortie d'« American Honey », en salles le 8 février prochain. Cliquez ici pour plus d'informations. Le film American Honey se déroule dans une Amérique largement oubliée des grands médias. Gravitant autour du personnage de Star, une fugueuse de 18 ans interprétée par l'actrice Sasha Lane, l'opus dépeint une marginale blessée qui tente de trouver un semblant de paix et de liberté dans un monde où les dés semblent avoir été pipés dès le départ.

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La réalisatrice britannique Andrea Arnold ne connaissait pas bien les États-Unis avant de s'embarquer dans une odyssée qui la conduirait des puits de pétrole du Dakota du Nord aux parkings du Kansas. Pour préparer le film, Arnold a parcouru les États-Unis et roulé près de 20 000 kilomètres à travers le Sud et le centre du pays, tâchant de faire une place dans son cœur pour ces coins oubliés. « J'avais besoin de créer un lien », a-t-elle déclaré en conférence de presse, flanquée de ses acteurs pour la plupart inconnus, de ses producteurs et de l'inénarrable Shia LaBeouf.

Robbie Ryan, le directeur de la photographie, est un collaborateur régulier d'Arnold et a tourné en format 4:3, comme beaucoup de ses propres courts-métrages et l'adaptation remarquable des Hauts de Hurlevent réalisée par Arnold. La caméra se faufile et fond sur les personnages avec un abandon similaire à celui que montre Star, qui tente de tracer son chemin dans une vie de déveine avec audace et habileté. Dans ce portrait d'une jeune femme de couleur, fille d'une toxicomane décédée, décidée à s'en sortir dans un pays qui ne lui permet pas de s'épanouir, Arnold et Ryan font le tableau d'une Amérique que l'on voit peu au cinéma. Associant le lyrisme d'un Larry Clark, la splendeur d'un Terrence Malick et une bande-son pop, le film constitue l'apogée de l'esthétique singulière d'Arnold. American Honey fait preuve d'une immédiateté et d'une candeur que peu de réalisateurs vont chercher dans ces régions délaissées.

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Pour s'en sortir, la jeune métisse tire un trait sur tout ce qu'elle connaît et rejoint un groupe de vendeurs de magazines itinérants qu'elle rencontre au supermarché. Membres d'une économie parallèle, ils font du porte-à-porte pour vendre des abonnements à des familles qui, de plus en plus, ont tendance à brandir un iPad en les voyant débarquer. S'ils semblent d'abord menés par le charismatique Jake (Shia LaBeouf au sommet de son art), c'est en réalité Krystal, la Sudiste au regard glacé, qui les dirige d'une poigne de fer depuis sa chambre de motel crasseuse en bord de route. Krystal est le genre de femme à pouvoir faire de sévères remontrances tout en portant un bikini à l'effigie du drapeau confédéré, et Jake semble être complètement sous son emprise, même si sa rencontre avec Star fait immédiatement des étincelles.

 Star n'est pas une vendeuse très efficace. Elle n'aime pas mentir et n'est pas douée pour cacher ce qu'elle pense des autres. Sous la supervision de Jake, elle rivalise de grossièreté chez une famille chrétienne typique, et se met à dos de potentiels clients. Souvent, elle prend le large – l'épisode avec les quatre types en chapeaux de cow-boy est à la fois l'interlude le plus divertissant et le plus dérangeant du film. Pourtant, elle revient toujours, et la petite bande fait preuve d'une entente d'autant plus magique que la plupart des acteurs ne sont pas professionnels. Parmi eux, seule Arielle Holmes – qui a tutoyé le succès grâce à son rôle dans Heaven Knows What des frères Safdie – avait déjà été devant la caméra. Sasha Lane, l'étudiante texane autour de laquelle gravite le film, a été repérée par Andrea Arnold et Jennifer Venditti, sa directrice de casting, dans une fête de spring-break à Panama City. Elles ont déjeuné ensemble et immédiatement, Arnold a su qu'elle avait trouvé celle qu'il lui fallait.

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Le film tire son inspiration d'un article de Ian Urbina paru dans le New York Times en 2007 sur ces équipes de jeunes sans domicile, marginaux, qui écument les plaines américaines pour vendre des magazines. Arnold a contacté certaines de ces équipes pour découvrir leur fonctionnement en personne. Elle a sillonné les chemins de traverse de l'Amérique avec une bande de ce genre, dormant dans des motels infestés de puces et embarquant pour des voyages interminables dans des vans de quinze places à travers des villes de Virginie où les seuls commerces ouverts sont les pharmacies qui vendent des antalgiques aux personnes âgées.

Pour LaBeouf, enthousiasmé par sa rencontre avec Arnold, la vie de ce quart-monde blanc n'est pas une découverte. « À Bakersfield, où mon père a travaillé un moment, la seule chose qu'il y a c'est une prison », répond-il quand on lui demande s'il a fait des recherches. « Ce n'est pas nouveau pour moi. Je fais partie de ce monde, et je le connais bien. »

La ligne est floue entre la recherche et l'expérience. « Ils n'achètent pas vraiment les magazines, ils achètent la personne qui les leur vend », déclare Arnold quand on lui demande qui peut bien encore acheter des magazines au porte-à-porte dans notre culture centrée sur le web. Non, d'ailleurs, qu'il existe beaucoup d'autres possibilités pour les populations non éduquées des petites villes.

« Dans beaucoup de ces villes, aller au fast-food semble être l'une des seules activités, se souvient Arnold. Ça m'a semblé très triste. »

Cet article a été rédigé dans le cadre de la sortie d'« American Honey », en salles le 8 février prochain. Cliquez ici pour plus d'informations.