Quand pourrons-nous construire les mêmes robots que dans Westworld ?
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Quand pourrons-nous construire les mêmes robots que dans Westworld ?

Les robots humanoïdes sont de plus en plus réalistes, mais il faudra encore du temps avant qu'ils puissent tenir une conversation, saigner, et - bien sûr - baiser.

Si vous regardez Westworld, vous vous êtes sûrement déjà demandé à quel point nous étions proches du point où nous pourrions effectivement bâtir un immense parc à thème peuplé de robots presque impossibles à distinguer des humains, dont les corps sont voués à satisfaire tous les fantasmes les plus pervers des "invités". Dans les premiers épisodes, le futur présenté par la série semble terriblement lointain, et à la fois si proche de nous.

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Mais au fait, où en sommes-nous vraiment de notre capacité à développer des robots ultra réalistes capables de tenir une conversation, avaler un shot de whisky, saigner quand on leur tire dessus ou qu'on leur donne un coup de couteau, et, évidemment, de baiser ?

(Attention : spoilers !)

De quoi sont faits les robots "hosts"

Commençons par le début : c'est quoi c'est machines, d'abord ? La série reste relativement vague concernant la manière dont le parc construit ses hosts (si l'on excepte cette roue bizarre plongée dans une cuve de peinture blanche dans le générique), mais on sait quand même quelques trucs sur ces robots.

D'abord, ils sont tous animés par une intelligence artificielle très avancée qui leur permet non seulement d'évoluer selon un script préprogrammé, mais également d'interagir avec les clients - en évaluant la situation et en réagissant à de nouvelles informations, et en adaptant leurs histoires et réponses quasi instantanément.

Les hosts semblent posséder une sorte de squelette, suffisamment flexible pour leur autoriser des mouvements fluides semblables à ceux des humains et une large gamme d'expressions faciales. Nous avons déjà vu, ces derniers temps, apparaître de nombreux robots capables d'imiter le déplacement bipède des humains et leurs expressions faciales, donc cet aspect ne serait pas le plus difficile à développer.

Nous savons aussi que les hosts de Westworld ne se contentent pas de ressembler à des humains ; ils sont constitués au moins en partie de matière organique. On ne sait pas exactement de quoi sont faites les entrailles des hosts, mais on sait qu'ils peuvent être victimes d'infections bactériennes (dans l'épisode 2, Maeve est atteinte d'un staphylocoque). Vu qu'ils saignent quand on les coupe (et qu'ils se livrent à tout un tas d'autres activités humaines), on peut raisonnablement penser qu'on trouve des systèmes similaires à ceux du corps humain sous leur peau.

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Pour en savoir davantage sur la façon dont on peut créer artificiellement des systèmes organiques, j'ai contacté Amy Karle, une bio-artiste dont le travail explore les frontières entre la technologie et l'humanité. Parmi ses oeuvres les plus récentes, on trouve Regenerative Reliquary, un squelette bio-imprimé et ensemencé de cellules souches qui, au fil du temps, doit théoriquement se transformer en main humaine - exactement le genre de technologie qui pourrait un jour nous donner des robots aussi bien faits que Dolores.

Peau et boyaux robotiques

Ma conversation avec Karle s'est ouverte sur une bonne nouvelle. Il s'avère que la peau est assez facile à créer, et Karle - qui est née sans peau sur le dessus du crâne, et a subi plusieurs greffes de peau au cours de sa vie - le sait mieux que quiconque.

Pour des robots, pas besoin de véritable peau. Il suffirait d'une substance ressemblant à de la peau, éventuellement un mélange de collagène et de fibres synthétiques, qui imite la tiédeur, la texture et la sensation globale procurée par la peau humaine. Elle devrait également posséder un certain sens du toucher (en gros, réagir à la pression et au toucher, comme dans le cas de cette technologie récente). Mieux encore, cette pseudo-peau pourrait être encore plus solide que la peau naturelle, c'est-à-dire plus durable et apte à se régénérer - ce qui ne serait pas du luxe, étant donné la vitesse à laquelle les hosts de Westworld sont remis en service après avoir été déchiquetés au revolver, au couteau ou par tout autre moyen.

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Mais il y a tout de même un problème. S'il est relativement facile de faire pousser de la peau, il est beaucoup plus compliqué de la maintenir en vie. On ne peut pas se contenter de coller des cellules de peau sur un squelette en métal, et basta. Pour que ces cellules soient alimentées en nutriments nécessaires à leur survie, il faut un système extrêmement complexe - celui-là même qui fait aussi que les hosts de la série mangent, boivent et saignent quand ils sont blessés.

Si certains de ces systèmes complexes sont sans doute optionnels - les robots ont-ils vraiment besoin d'un système digestif, ou d'une vésicule biliaire ? - d'autres ne sont pas négociables. Il est bien précisé que les hosts de Westworld sont "totalement fonctionnels", et comme on imagine bien que les jeunes filles du Far West ne possèdent pas de lubrifiant, cela signifie très concrètement qu'elles sont équipées de vagins auto-lubrifiants.

Comme l'ont montré des produits tels que le RealTouch, il n'est pas simple d'imiter le vagin humain. Il est possible que chaque femme host du parc soit équipée d'un réservoir de lubrifiant interne rerempli régulièrement par les techniciens, mais a priori il est plus probable que les robots-prostituées de Westworld soient dotées d'une réplique assez réaliste du vagin humain, qui reproduirait le processus de lubrification des parties génitales (mais aussi de la bouche et des yeux, au passage).

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Parlons concrètement

Face à toute cette complexité, quand pouvons-nous raisonnablement espérer voir de tels robots dans notre monde bien réel ? Amy Karle pense qu'il faudra encore au moins cent ans avant que nous soyons capables de créer des machines aussi semblables aux humains, mais que des modèles moins réalistes - comme les robots sexuels qui doivent faire leur apparition l'an prochain - pourraient être disponibles bien plus tôt.

Pourquoi Karle est-elle si pessimiste ? L'assemblage squelette + cellules souches utilisé pour Regenerative Reliquary nous a déjà donné des vagins, des oesophages et des oreilles artificiels ; mais il est bien plus facile d'intégrer un organe artificiel au sein d'un système existant que de créer ce système à partir de rien. Un organisme artificiel doté d'organes internes travaillant de concert pour créer une imitation convaincante de la vie humaine est pour l'heure très loin de nos capacités.

Et on ne parle là que des éléments externes des hosts. Il est très compliqué de bâtir un simulacre du corps humain ; mais il est encore bien plus difficile de reproduire le cerveau humain.

Certes, l'informatique nous permet déjà d'avoir des assistants animés par une forme d'intelligence artificielle tels que Siri, Alexa, ou encore des bots qui trollent les partisans de Trump sur Twitter. Mais comme me l'a expliqué Kate Compton, doctorante en informatique et membre de l'Expressive Intelligence Studio de l'université de Santa Cruz, ces projets sont beaucoup plus simples que ce que l'on peut voir dans Westworld. Et il y a de fortes chances que des IA aussi complexes soient hors de notre portée pendant encore un bon moment.

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L'un des plus gros obstacles en vue de créer une IA du niveau de celles que l'on voit dans Westworld ? Un petit truc que Compton appelle le problème de "l'IA forte". La plupart des interactions sociales que nous percevons comme simples - saluer quelqu'un au supermarché, par exemple - sont en réalité incroyablement complexes, et nécessitent une compréhension des relations humaines et des moeurs sociales qui suppose de maîtriser une très vaste gamme de nuances.

Ce serait une chose si les clients du parc se contentaient de s'insérer dans un arc narratif prédéfini, permettant ainsi aux hosts de réciter des dialogues et des histoires prédéterminés sans trop s'écarter d'une petite palette de choix. Mais ce n'est pas ce que l'on voit dans la série : quel que soit l'arc narratif dans lequel s'inscrivent initialement les hosts, ils ne sont jamais à l'abri d'en être totalement détournés par un client un peu lubrique ou par un meurtre inattendu, ce qui suppose que les hosts soient capables de s'adapter en permanence.

L'IA marche souvent parce qu'elle existe au sein d'un environnement contraint, et qu'elle dispose d'un certain nombre d'"astuces théâtrales" conçues pour distraire l'utilisateur de ses faiblesses et rediriger son attention sur ses points forts. Compton explique qu'à l'heure actuelle, les meilleures IA ressemblent un peu à Disneyland, où des constructions en contreplaqué passent pour de magnifiques châteaux car le parc fait en sorte que "vous ne regardiez que ce qui est beau et fait rêver… et que vous ne vous écartiez jamais des chemins tout tracés et que vous ne voyiez pas tout ce qui n'a pas vraiment été construit."

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Elle cite le chatbot Eliza - un vieux programme textuel conçu pour reproduire l'expérience d'être chez le psy, auquel j'ai peut-être "joué" au cours de mon enfance tout à fait normale dans les années 80 - comme un parfait exemple de cette philosophie. Comme Eliza est une psy, ses réponses sont déjà contraintes. Elle n'a pas besoin de répondre avec des pensées complexes ou uniques, ou avec des remarques brillantes. Elle peut se contenter de poser des questions et de laisser l'utilisateur faire la conversation. D'après Compton, si Eliza fonctionne, c'est parce que ses créateurs "ont construit un petit univers où tout est flatteur pour l'IA."

Mais si ces astuces peuvent suffire pour un psy-chatbot, elles ne sont pas suffisantes pour créer une fille de fermier convaincante, ou une prostituée endurcie par les ans, ou n'importe quel personnage de Westworld. Et ce n'est peut-être pas plus mal.

Avons-nous vraiment envie d'un authentique Westworld?

"Il y a déjà beaucoup d'humains dans le monde, et on ne les aime pas trop, dit Compton. Pourquoi voudrions-nous créer une technologie qui nous donne encore plus d'humains ?"

Westworld semble d'ailleurs parfaitement conscient de cette possibilité. Dans chaque épisode, un technicien fait remarquer qu'il pourrait être dangereux de rendre les robots trop réalistes. La robo-infidélité est assez fun, mais si cette expérience ressemble trop à une authentique tromperie, les partenaires des clients l'auront peut-être mauvaise. Le meurtre pourrait lui aussi être moins fun s'il devenait un peu trop réel ; le fait de savoir que votre victime sera ressuscitée ne suffira peut-être pas à masquer la répulsion engendrée par la destruction d'une vie quasi-humaine (un thème également abordé par la série).

Mais il y a peu de chances que nous soyons un jour, nous autres humains de 2016, confrontés à ce genre de dilemmes moraux, quels que soient les progrès de l'IA et des biotechnologies au cours de notre vie. Même dans l'univers fantastique de Westworld, il est clair que l'accès à ces robots ultra réalistes est réservé à une infime minorité d'hyper riches. Ce qui est, sans doute, l'aspect le plus crédible du futur présenté par la série.