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Sports

Les Brésiliens sont plus intéressés par leurs problèmes économiques et politiques que par les Jeux

Alors que le pays est englué dans une crise économique et politique, il n'est pas certain que les Brésiliens éprouvent un grand intérêt pour les Jeux olympiques.
Photo by EPA

La Présidente brésilienne Dilma Rousseff étant suspendue de ses fonctions, l'atmosphère entre les partisans du gouvernement et ceux qui demandent sa dissolution est de plus en plus toxique. Du coup, on peut pardonner aux organisateurs des Jeux olympiques de Rio de se sentir un peu nerveux.

« La société est très divisée en ce moment, les gens ne lisent pas les même journaux, ils ne regardent pas les mêmes émissions, les amis se disputent entre eux, les familles se disputent entre elles, explique Mauricio Santoro, chercheur en Sciences politiques et professeur de Relations internationales à l'Université d'État de Rio de Janeiro. C'est très inhabituel au Brésil. »

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La situation turbulente rappelle d'une certaine manière les énormes manifestations qui ont entouré la Coupe des Confédérations 2013, douze mois seulement avant que le Brésil n'accueille la Coupe du Monde. Au plus fort de la crise, les rassemblements, prenant pour cible la FIFA, la corruption politique jusqu'aux services publics jugés dérisoires, ont attiré plus d'un million de manifestants et ont souvent dégénéré en violents clash entre groupes de manifestants en mode Black Bloc et groupes de policiers violents.

Cependant, selon Santoro, il est peu probable d'assister à de violentes manifestations à grande échelle contres les JO, surtout parce que l'événement, qui a lieu dans une seule ville, n'a pas généré la même colère que la Coupe du Monde, bien plus chère et concernant le pays tout entier.

« Il y avait beaucoup de division à propos de la Coupe du Monde, certains groupes opposants sont descendus dans la rue pour manifester, ce qui est assez surprenant parce que le foot c'est comme une religion pour le Brésil. On a vu beaucoup de gens manifester contre le tournoi, même pendant les matches, explique Santoro à VICE Sports. Je ne pense pas que l'histoire va se répéter pour les JO ».

Ces Brésiliens ne supportent pas une équipe de foot. Ils manifestent et sont mécontents. Photo EPA

Santoro ne croit pas que le malaise politique actuel va dégénérer en violence généralisée et, d'ailleurs, plusieurs rassemblements récents se sont relativement bien passés. Mais il y a de plus en plus de rapports d'attaques isolées sur des individus, surtout contre des partisans du gouvernement et Santoro pense que ça va probablement continuer.

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« Nous allons assister à des exemples de violence politique, par exemple une personne attaquée pour avoir porté une chemise rouge dans la rue, c'est le genre de chose qui arrive souvent ici, dit-il. Ce n'est pas de la violence de masse mais c'est un problème sérieux. »

Gustavo Ribeiro, journaliste brésilien, croit qu'il s'agit d'une des différences majeures entre la situation au Brésil aujourd'hui et les manifestations de 2013.

« Les manifestations de 2013 ont commencé avec les protestations des étudiants contre l'augmentation du tarif des bus, et, par la suite, la réaction violente de la police a fait basculer les rassemblements dans une autre dimension et a réuni le peuple, explique-t-il à Vice Sports. Aujourd'hui ça ne se passe pas comme ça. »

Le gouvernement brésilien est aussi optimiste, du moins en apparence. « Je ne pense pas qu'il y aura des émeutes comme celle de 2013 et celles pendant la Coupe du Monde. Les Jeux auront lieu dans une atmosphère beaucoup plus calme », avait déclaré le ministre de la Défense, Aldo Rebelo en conférence de presse.

La présidente Dilma Rousseff au centre aquatique olympique. Elle n'assistera pas à la cérémonie d'ouverture. Photo EPA

Alors plutôt que des manifestations violentes et une opposition populaire, ce qui menace principalement le succès des Jeux de Rio est quelque chose qui est sans doute aussi néfaste pour un événement sportif majeur – l'apathie.

À l'approche de la Coupe du Monde de 2014, les télés brésiliennes tournaient en boucle sur les préparatifs de l'événement, les différents choix possibles pour la sélection, ainsi que sur les inquiétudes liées aux lentes avancées des constructions des infrastructures et des stades.

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En 2016, en revanche, c'est la crise politique qui squatte la une des quotidiens et des journaux télévisés. Les JO, eux, sont à peine mentionnés jusqu'à il y a peu.

« Le plus stupéfiant c'est que personne ne parle des Jeux olympiques, justifie Santoro. On va accueillir les JO dans quelques semaines et on a l'impression aujourd'hui qu'ils vont se passer à Beijing ou ailleurs. »

Dans une interview récente avec le Folha de São Paulo, le Ministre des Sports Ricardo Leyser a admis que « les Brésiliens ne se sont pas encore intéressés aux Jeux » et aurait dit, selon le journal, que le gouvernement considérait l'éventualité de racheter des tickets pour les distribuer dans les écoles. Aujourd'hui, tous les billets ne sont pas encore vendus puisque selon les organisateurs 80 % des billets ont été vendus.

La dure récession économique du pays a sans aucun doute affecté les ventes des tickets : le Brésil a perdu un million d'emplois en 2015 et l'OCDE a déclaré qu'elle s'attendait à ce que la croissance du pays chute de 4% cette année.

En outre, certains avancent que, à la différence de la Coupe du Monde, les Brésiliens ont peu d'intérêt pour les sports olympiques. Comparé à son équipe nationale conquérante, le Brésil a connu peu de succès lors des éditions précédentes des Jeux olympiques.

« Un des problèmes avec les Jeux c'est que les Brésiliens ne sont pas vraiment fans de sport, éclaire Ribeiro. On aime juste gagner. Les gens se disent, "pourquoi aller voir les épreuves de gym si on va être quatrième ? Si ce n'est pas la médaille d'or, ça ne vaut pas la peine." Et le Brésil n'a pas gagné grand chose lors des éditions précédentes. »

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Zika a également menacé les Jeux de Rio. Photo EPA

D'autres facteurs permettent aussi d'expliquer les difficultés à vendre des billets. Certains visiteurs étrangers ont été effrayés par l'épidémie du virus Zika ; les agences de santé des États- Unis, du Canada et de l'Union européenne ont émis des avertissements pour les femmes enceintes, leur recommandant d'éviter de voyager au Brésil.

« La façon dont les autorités ont géré la crise Zika n'a pas été rassurante du tout, surtout pour les étrangers », affirme Ribeiro.

Et les attaques à Bruxelles et en France ont également accru les craintes d'un potentiel attentat terroriste pendant les Jeux. « Depuis les Jeux de Munich en 1972, l'inquiétude [d'une attaque terroriste] subsiste, a déclaré Aldo Rebelo, le ministre de la Défense. Il y a eu une attaque à Atlanta en 1996 aussi. Il y a beaucoup d'exemples dans le passé. » Le Brésil a prévu de mobiliser 85 000 soldats et policiers pour assurer la sécurité des Jeux.

Le niveau d'intérêt des Brésiliens pour les Jeux peut encore remonter moyennant une grosse couverture télévisée et une publicité accrue en créant un pic d'intérêt à l'approche des Jeux. Mais la plupart des Brésiliens lambdas risquent certainement d'être plus préoccupés par le drame politique qui se joue tous les soirs devant leur poste de télévision. Les Jeux olympiques, à l'instar de la Coupe du Monde et des autres événements sportifs majeurs, existera dans sa bulle sans pour autant toucher la vie des gens ordinaires.

« J'ai entendu le gardien de mon immeuble parler l'autre jour, raconte Santoro. C'est un vieux monsieur, très discret, mais il a dit qu'il priait pour qu'il pleuve pendant les Jeux, pour leur pourrir la fête. Il a ressenti que ce n'était pas sa fête à lui mais celle de quelqu'un d'autre, peut-être celle du gouvernement, ou celle du maire. »