Homosexualité dans le football français : la loi du silence
Illustration Pierre Thyss

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Sports

Homosexualité dans le football français : la loi du silence

La loi française a autorisé le mariage entre couples du même sexe depuis trois ans, mais la France du foot pro ne compte encore officiellement aucun joueur gay. Officiellement.

Fin novembre 2015. Il pleut et il vente sur le stade Louis-Lumière dans le XXe arrondissement de Paris. Pas de quoi décourager la vingtaine de footeux qui entament leur échauffement sous la lumière des projecteurs. On court à petites foulées autour du rectangle vert, quand d'autres s'étirent tranquillement près des vestiaires. Il y a aussi ceux qui zappent le plus vite possible les corvées physiques pour taquiner le ballon. On parle un peu, de foot ou d'autre chose et on chambre, beaucoup.

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Un peu en retrait de toute cette agitation, Alexandre et Bertrand se bornent pour l'instant à observer leurs équipiers. Le duo est à la tête des Panamboyz United, un club dont la spécificité réside dans sa dimension militante. L'équipe est à l'origine de plusieurs initiatives pour lutter contre les discriminations en tout genre. Racisme, sexisme… Et plus particulièrement l'homophobie. Ce club parisien, composé à 40% de joueurs homosexuels, se bat pour l'acceptation de toutes les différences. « A un moment donné quand on est dans un club "hétéro", on n'y trouve pas nécessairement sa place, explique Alexandre. On a un garçon qui vient de Châlons-en-Champagne, qui fait le trajet toutes les semaines pour venir aux entraînements et aux matches. Le foot, c'est une bande de copains, on échange… On sort en soirée ensemble et tout le monde va venir avec sa copine. Et forcément, on se demande : si je viens avec mon copain, comment ça va se passer ? C'est délicat car c'est un sport qui reste relativement macho dans l'ensemble. »

Car le foot, professionnel ou amateur, est tout sauf gay. C'est du moins ce que l'on peut croire quand on considère le nombre de coming-out de joueurs pros en activité recensés dans l'histoire du ballon rond. Ils sont deux ovnis à avoir osé franchir le pas. Le premier, Justin Fashanu, est sorti du placard en 1990. Un geste historique pour un footballeur certainement trop en avance sur son temps. La carrière de cet attaquant britannique d'origine nigériane ne s'en remettra jamais. Placardisé au sein de son club de Nottingham Forest, stigmatisé par son entraîneur, rejeté par la communauté afro-britannique, Fashanu finira par se suicider un triste jour de mai 1998.

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Justin Fashanu, le premier joueur de foot à avoir fait son coming-out, s'est suicidé en mai 1998. Photo Reuters.

Il faudra attendre 2013, soit 23 ans après son coming-out, pour qu'un autre joueur professionnel, Robbie Rogers, annonce son homosexualité publiquement. Le reste des footballeurs pros ayant assumé au grand jour leur homosexualité, comme l'allemand Thomas Hitzlsperger et le francais Olivier Rouyer, ont pour point commun de l'avoir fait une fois leur carrière achevée.

En novembre 2011, Damiano Tommasi, alors président du syndicat des joueurs italiens, déclarait à la télévision « déconseiller aux footballeurs de faire leur coming-out ». « C'est particulier dans le foot, justifiait cet ancien joueur et capitaine de l'AS Roma, il y a un rapport intime entre collègues, différent des autres professions. Exprimer ses préférences sexuelles, c'est difficile pour tout le monde et dans tous les secteurs, encore plus pour un footballeur qui partage le vestiaire, et donc son intimité avec les autres. Dans notre monde, ça peut créer de l'embarras. »

En 2011 toujours, l'international allemand Philip Lahm tenait des propos similaires lors d'un entretien avec le magazine allemand Bunte, estimant que les joueurs professionnels qui feraient leur coming-out s'exposeraient à des commentaires injurieux.

Chez les amateurs, ce n'est pas toujours évident non plus. Yoann Lemaire fait partie des rares joueurs amateurs a avoir fait son coming-out. C'était en 2003. « J'ai fait passer le message avec un peu d'humour, ça a été bien reçu, mais seulement à court terme. Puis de nouveaux mecs sont arrivés dans l'équipe, ils faisaient les malins, ma médiatisation a gêné et ça a créé des jalousies », avance-il. En 2010, le club de son village, le FC Chooz, finit par le virer via un simple communiqué de presse.

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Un malaise également illustré par une réalité statistique : en 2013, une étude réalisée par le psychologue Anthony Mette pour feu le Paris Foot Gay et l'institut Randstad révèle que 41% des footballeurs professionnels seraient « hostiles » à l'homosexualité. Un chiffre qui monte même à 50% en centre de formation, mais chute à 8% chez les sportifs en général. L'homophobie serait la première discrimination dans le football, loin devant le racisme et le sexisme. Des résultats que nuance toutefois le sociologue Philippe Liotard, qui travaille entre autres sur les discriminations dans le sport: « Ça peut paraître beaucoup comme ça peut paraître très faible. Pour moi, ce n'est pas aussi tranché. Je ne veux pas du tout passer pour le gars qui minimise, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problème, mais ça dépend de comment les questions sont formulées, les réponses utilisées, etc. »

Ce problème, il vient déjà des tribunes pour Alexandre, le président des Panamboyz. « Le foot c'est un sport abordable pour tout le monde, le public est divers, toutes les strates de la société sont représentées. Il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas de rejet lié à l'homosexualité ».

Si les « ho hisse enculés » et autres « on n'est pas des pédés » semblent continuer à faire partie de l'arsenal rhétorique de tout bon supporter tendance beauf qui se respecte, qu'en est-il des structures d'encadrement ? « Pour l'instant je pense que c'est timide, estime Bertrand. Il faut que les initiatives viennent aussi du monde professionnel, pas seulement des associations. Maintenant, ça ne peut pas se faire sans les clubs et la Ligue. »

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Les Panamboyz à l'entraînement. Crédit : photos des auteurs.

La Ligue de football professionnel (LFP) est, elle, pour le moment bien silencieuse. « Aujourd'hui, on peut encore traiter l'entraîneur du PSG de fiotte sans que ça porte à conséquence, avance Philippe Liotard. Cette formule est même reprise ensuite sur les réseaux sociaux, pour justifier un mauvais résultat du club ».

A la communication minimaliste de la Ligue sur le sujet, s'ajoute celle des clubs et de leurs dirigeants. Quand elle ne vire pas au dérapage verbal pas spécialement classe (on pense notamment au président de Montpellier Louis Nicollin, qui qualifiait en 2009 après une défaite l'ex-joueur d'Auxerre Benoit Pedretti de « petite tarlouze »), elle se résume souvent à une stratégie d'évitement assez déroutante. Canal + l'a appris à ses dépens. Lorsque la chaîne cryptée souhaite réaliser courant 2015 un sujet sur l'homosexualité dans le foot masculin, un seul club professionnel français, Reims, accepte d'évoquer le sujet.

Pour Yoann Lemaire, un des seuls joueurs de football français en activité à avoir révélé son homosexualité, la minorité concernée n'est simplement pas assez significative pour décider la Ligue et les grands noms du football hexagonal à consacrer de l'énergie à un sujet encore perçu comme très délicat: « Les entraîneurs ont tendance à éviter le sujet pour ne pas créer d'emmerdes. Des grands coaches comme Blanc et Deschamps n'en parlent pas, ça reste un sujet sensible. Mais surtout je pense aussi que quand vous n'êtes pas concerné, vous en avez un peu rien à foutre. »

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Autre illustration criante de l'esquive permanente des instances du foot français sur le sujet : sur le site de la Fondaction du football, une organisation de lutte contre les discriminations et de promotion de la citoyenneté créée à l'initiative de la FFF, il n'est fait mention nulle part d'« homophobie ».

Un mélange indistinct de je-m'en-foutisme et d'homophobie latente qui prend sa source dans les centres de formation, selon le conseiller en psychologie du sport Anthony Mette. A l'issue d'une étude menée en coopération avec le Paris Foot Gay et l'institut Randstad, le psychologue a identifié les facteurs qui génèrent des opinions négatives sur l'homosexualité dans le football, et plus spécifiquement dans les centres de formation.

A lire aussi : L'arbitre de foot pour qui l'homophobie est un combat

En premier lieu, la prédominance des critères généralement associés à la masculinité. « Dans le football en particulier, les jeunes joueurs sont très tôt enfermés en centres de formation, dans un contexte très concurrentiel », explique Anthony Mette. « Ce sont des valeurs associées à la masculinité qui y sont valorisées (force, musculature, esprit de compétition, témérité, contrôle des émotions …). En contrepartie il y a un rejet de ce qui est usuellement identifié comme féminin et par extension à l'homosexualité, qui n'entre pas dans la norme du mâle hétérosexuelle virile, telle qu'elle est usuellement perçue. » Philippe Liotard confirme : « [Dans le foot,] on se construit en se distinguant des femmes et des homosexuels. »

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Le foot paierait aussi le prix de son caractère collectif, où l'insertion dans le groupe est une donnée essentielle de réussite. Quitte à avoir tendance à montrer à tout prix aux autres qu'on se conforme aux normes en vigueur au sein de son milieu. Dans le cadre des centres de formation, les jeunes joueurs de football auraient ainsi tendance à exagérer leur sentiment négatif vis-à-vis des homosexuels, pour mieux se conformer à la pensée d'un milieu qu'ils perçoivent comme globalement homophobe. Une homophobie que Philippe Liotard décrit comme une « norme éducative ». « On s'est rendu compte que l'opinion des footballeurs vis-à-vis de l'homosexualité change quand on les interroge dans un cadre hors foot, par exemple chez eux. Elle est globalement bien plus nuancée et moins négative », conclut Anthony Mette.

Un rejet apparent de l'homosexualité contre laquelle se sont érigées des associations et des clubs de football amateurs. Si le Paris Foot Gay, équipe emblématique du combat contre l'homophobie dans le foot, s'est éteint l'année dernière, les Panamboyz United ont repris le flambeau. Ce club parisien a lancé en octobre 2014, conjointement avec la Ligue, la campagne "lacets arc-en-ciel". Le temps d'un week-end, les joueurs du championnat français portent des lacets multicolores.

L'initiative rencontre un succès mitigé. « L'année dernière, le message avait été mal diffusé. Cette année, on a décidé d'accentuer la communication autour de l'homophobie, pour que le message soit mieux diffusé et que ça ne concerne pas uniquement le racisme et le sexisme, même si ça nous tient à coeur », analyse Alexandre, président du club. Pour preuve, la campagne coordonnée par la Ligue de football professionnel (LFP) est alors tout ce qu'il y a de plus générique : le spot vidéo de la Ligue faisant la promotion de la campagne ne fait même pas mention de l'homophobie. Et sur son site, la LFP juge même bon de préciser que « non, le drapeau arc-en-ciel n'est pas seulement un symbole propre à la communauté LGBT ». Malaise.

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Devant les caméras de Canal+, un certain Serge Aurier croit savoir que c'est pour lutter contre le racisme : du moins, « c'est ce qu'on [lui] a dit », lance-t-il avec un sourire d'excuse. Les racines de l'initiative des lacets arc-en-ciel sont pourtant sans équivoque. La campagne a été lancée en 2013 par Stonewall, une association caritative britannique qui se bat contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie.

Le 28 février 2016, les capitaines de Manchester United et Arsenal Michael Carrick et Laurent Koscielny se sont même échangés des paires de lacets arc-en-ciel géants avant le coup d'envoi de leur match, lors de la 27e journée de la Premier League. Les sites officiels des deux clubs affichent eux leur franc soutien à la campagne, et affirment sans ambiguïté leur volonté de lutter contre l'homophobie

Aujourd'hui, la campagne est devenue internationale, avec des adeptes en Belgique, en Australie, en Italie… Les lacets arc-en-ciel sont même portés au Royaume-Uni par des gendarmes et des pompiers. La Fédération allemande de football s'est engagée publiquement au respect des joueurs homosexuels, et les a encouragés à faire leur coming-out. Un appel resté pour le moment sans réponse.

Aux Etats-Unis, Barack Obama en personne a salué le coming-out de Robbie Rogers lors d'une réception des Los Angeles Galaxy à la Maison Blanche. Le président a exprimé sa « fierté » et l'a décrit comme une « source d'inspiration » pour les joueurs qui seraient dans le même cas.

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Robbie Rodgers lors de sa signature au Los Angeles Galaxy en mai 2013. Crédit : Reuters

En France, le tableau n'est pas entièrement noir pour autant. « La chose vraiment très positive cette année, c'est qu'on a pour la première fois fait des ateliers de sensibilisation auprès des jeunes », annonce Bertrand, le vice-président des Panamboyz . En partenariat avec SOS Homophobie, Alexandre s'est rendu à la rencontre de jeunes joueurs issus des centres de formation de l'OM et de l'OL. « C'étaient des rencontres assez riches, avec plus d'une heure de discussion et de débat à chaque fois. Il y a eu des questions, le dialogue était franc, mais à la fin tout le monde a pris ses lacets arc-en-ciel et avait envie de les porter. »

Le sociologue Philippe Liotard souligne lui aussi l'importance du travail à réaliser dans les centres de formation. « Ce sont des structures privées, où il est très difficile d'entrer, alors qu'il y a un gros boulot à faire. J'ai une grande confiance dans les jeunes : quand on met en place des conditions qui leur permettent de réfléchir et de prendre du recul, ils en sont capables. En revanche, cette capacité suppose que les institutions s'interrogent et fassent que certains problèmes ne se posent pas. »

Le travail auprès des structures d'encadrement se réalise aussi au niveau départemental. En Seine-Maritime, Chantal Nallet, référente sport à la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de Normandie, lutte, entre autres, contre l'homophobie et les violences sexuelles. Le premier obstacle auquel elle fait face, c'est surtout le silence: « On sait qu'il se passe des choses, mais personne ne parle. Déjà en 2008 j'avais pu constater que la discrimination est un fait, sauf que le monde sportif gère ses problèmes en interne », regrette-t-elle. Certaines personnes témoignent, sans dire qui, quand, quoi, comment et où.

Elle espère que les actions de sensibilisation vont s'étendre, d'abord à la Normandie, puis au reste de la France. « A mon avis, tant qu'on n'agit pas sur toutes les formations, au niveau national, on n'y arrivera pas. Il faut des partenariats. » Chantal Nallet a déjà été contactée par d'autres départements, mais pas toujours sur les mêmes thématiques. Les instances sont encore timides, révélant un problème au démarrage même de l'action : comment lutter contre l'homophobie dans le sport, si le mot est déjà tabou dans les campagnes anti-discrimination ?

Malgré ce marasme ambiant, entre initiatives timides et relents homophobes, il y a une évolution certaine. « Ça a changé dans la mesure où des choses autrefois normalisées sont remises en question. Il y a trente ans, il y avait des remarques et slogans racistes sur les terrains de foot. Aujourd'hui, ce n'est plus possible, la réaction est immédiate », relève Philippe Liotard.

Pour lui, les consciences ont commencé à s'éveiller peu après 2000 : « 2003, c'est le moment, en France, où on commence à se questionner sur l'homophobie dans le sport et le foot. Il y a la création du Paris Foot Gay, un premier article dans le dictionnaire de l'homophobie, une enquête de SOS Homophobie dans le sport… Quelque chose se passe », relate-t-il. « Puis, aux alentours de 2010, le rugbyman gallois Gareth Thomas fait son coming-out, Canal+_ diffuse "Sports et homosexualités : c'est quoi le problème ?". On passe d'une dimension militante et marginale à une vigilance collectivement effectuée par les grands médias. »_

Encourageant mais encore loin d'être suffisant. Que faire pour que des joueurs n'aient plus à faire quatre heures de route chaque semaine pour s'entraîner dans un club où ils savent qu'ils ne se feront pas traiter de « pédale » ou de « tarlouze » ? Entre deux jongles, Bertrand des Panamboyz est formel : « Le prochain déclic, pour moi, c'est qu'un grand joueur fasse son coming-out. Qu'on se rende compte que tout le monde s'en fout, et puis il n'y aura plus de problème. Aux Etats-Unis maintenant dans tous les sports collectifs, il y a des gays. Je pense qu'en Europe ça va finir par arriver. Mais comme d'habitude, en France, on sera les derniers. »