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Que se passerait-il au Canada en cas d’attaque nucléaire?

Voici un improbable mais pas impossible scénario d’une attaque nucléaire en sol canadien et de ce qui s’ensuivrait.
Illustration de Ralph Damman

Une question nous préoccupe plus ou moins, en fonction des tensions internationales, depuis 1945 : qu'est-ce qui pourrait déclencher une guerre nucléaire?

Après la guerre froide, la crainte d'une attaque nucléaire a diminué en Amérique du Nord. L'Inde et le Pakistan sont peut-être devenus des puissances nucléaires, mais ils sont loin. La Corée du Nord est peut-être déséquilibrée et armée, mais même elle sait qu'une guerre nucléaire avec l'occident se terminerait très, très mal pour elle.

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Mais cette crainte a refait surface depuis que les États-Unis ont dit être prêts à prendre des mesures unilatérales contre la Corée du Nord. Le 4 avril, après le test de missile, le secrétaire d'État Rex Tillerson n'a fait qu'un commentaire laconique : « Les États-Unis ont assez parlé de la Corée du Nord. » Une frappe préventive contre les installations nucléaires du royaume ermite n'a pas été écartée. Ensuite, le président Trump a relevé la tension d'un cran en affirmant qu'un « grand, grand conflit » avec la Corée du Nord était possible.

Le test de missile du début du mois d'avril est survenu moins d'un mois après que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a révélé que la Corée du Nord avait doublé sa capacité de production d'uranium enrichi, ce qui lui permet de fabriquer un nombre d'armes qui dépasse de loin les prédictions.

On connaît les ambitions nucléaires de la Corée du Nord depuis longtemps, mais ces nouveaux développements arrivent à un moment de grande instabilité dans les institutions internationales : entre autres, le Brexit a ébranlé l'Union européenne et Trump a passé sa campagne à remettre en question des ententes internationales, dont le parapluie nucléaire qui protège des alliés de longue date comme le Japon et l'Allemagne.

La bonne nouvelle, c'est qu'une guerre nucléaire ne serait pas le cataclysme apocalyptique que l'on imagine. La mauvaise nouvelle, c'est que ce serait quand même très grave. Moins bonne nouvelle encore, le Canada n'a plus aucun plan d'urgence en cas d'attaque nucléaire depuis les années 80. La pire nouvelle? Des experts pensent que ce n'est qu'une question de temps : nous serons témoins d'une guerre nucléaire au cours de notre vie.

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L'élément déclencheur

Peu importe à quel point vous pensez que Donald J. Trump est cinglé et êtes terrifiés de savoir qu'il a entre les mains les codes nucléaires, aucun des experts que j'ai interrogés ne pense qu'il tirera le premier.

Si plusieurs estiment qu'une guerre nucléaire entre l'Inde et le Pakistan est concevable, ils doutent que des villes américaines deviennent des cibles. En ce qui concerne les autres puissances nucléaires, on a peine à imaginer un scénario plausible dans lequel le Royaume-Uni, la France ou Israël (dont la capacité nucléaire n'est pas confirmée) frapperait les États-Unis.

Tous s'entendent pour dire que la Russie et la Chine ont beaucoup trop à perdre en s'attaquant directement aux États-Unis. (Une guerre par procuration dans certaines régions de l'Europe, impliquant la Russie, ou à Taïwan, impliquant la Chine, n'est toutefois pas impossible.)

Reste la Corée du Nord. Aussi fâché soit le royaume ermite contre Seth Rogen à cause de son film The Interview, il y a peu de risques qu'il s'en prenne directement au Canada. Selon Julian Schofield, professeur de l'Université Concordia spécialisé en études stratégiques et de sécurité en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, il y a cependant un scénario envisageable : une chute du régime nord-coréen débouchant sur le lancement de missiles nucléaires en direction des États-Unis.

« Les Nord-Coréens pourraient viser Seattle, mais, pour une raison ou une autre, faire une erreur et prendre Vancouver pour Seattle, dit-il. Le régime implose, la population se révolte et Kim Jong-un, coincé dans son palais, lance ses missiles avant de mourir. Je pense qu'il est très possible qu'il lance un missile vers Seattle et rate sa cible. »

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À ce jour, la Corée du Nord a prétendu avoir réussi cinq tests nucléaires. Dans le plus récent, elle a testé la plus puissante bombe de son arsenal, 30 kilotonnes, soit plus que la bombe A qui a détruit Hiroshima.

Étant donné la culture du secret qui règne en Corée du Nord, les renseignements fiables sur sa capacité nucléaire sont rares. Le gouvernement américain affirme qu'il n'y a encore aucune preuve que le régime est arrivé à suffisamment miniaturiser une ogive nucléaire pour l'embarquer sur un missile balistique intercontinental pouvant parvenir aux côtes américaines. Mais il n'y a aucune preuve non plus qu'il n'est pas près d'en avoir la capacité : des tests de lancement à bord d'un sous-marin ont été effectués avec succès.

Donc, dans ce scénario qui n'est pas complètement inimaginable, qu'adviendrait-il de la côte ouest canadienne si les États-Unis étaient la cible d'un missile équipé d'une ogive nucléaire et qu'il déviait un peu de sa trajectoire vers le nord?

L'explosion

Selon NUKEMAP, un site qui combine les données de Google Maps et les renseignements accessibles sur les armes nucléaires, la destruction initiale après une explosion dans le centre-ville de Vancouver serait considérable : une boule de feu d'un rayon de 200 mètres surgirait au-dessus de la ville. Tous les édifices dans un rayon de deux kilomètres seraient détruits. Presque toutes les personnes dans un rayon de 16 kilomètres qui auraient survécu à l'explosion initiale subiraient des brûlures au troisième degré. Bilan : environ 300 000 morts et plus de 100 000 blessés presque instantanément.

Comme le radar du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) détecterait tout missile balistique intercontinental ou lancement depuis un sous-marin, il y aurait un délai d'avertissement de 25 minutes. Là où le bât blesse, c'est qu'il n'y a actuellement aucun plan gouvernemental pour réduire le nombre de victimes en cas d'attaque nucléaire.

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« Il n'y a aucun plan », dit John Clearwater, auteur de Canadian Nuclear Weapons: The Untold Story of Canada's Cold War Arsenal. « Nous allons tous mourir. »

Pendant la guerre froide, le Canada avait un plan en cas d'attaque nucléaire. En 1961, un abri souterrain a été construit en périphérie d'Ottawa. À 40 kilomètres de la colline du Parlement, il avait pour fonction d'abriter les centaines d'agents du gouvernement et des militaires. (Aujourd'hui, c'est le Musée canadien de la guerre froide.) Appelé « Diefenbunker » en l'honneur du premier ministre John Diefenbaker, c'était l'un des 50 abris souterrains à plusieurs étages construits au pays.

Fred Armbruster, le directeur général et fondateur de l'Association canadienne des musées de défense civile, dit qu'il y a toujours des vestiges des bunkers antinucléaires dans plusieurs régions du Canada.

« La population n'a aucune idée du nombre de bunkers construits au Canada, assure-t-il. C'est phénoménal. Par exemple, chaque municipalité autour d'Edmonton a son bunker. » Aujourd'hui, presque aucune de ces installations n'est en service. Elles sont à l'abandon depuis 1984, l'année où le Canada s'est débarrassé de ses armes nucléaires. « Il n'y a plus de plan parce qu'on ne s'attendait plus à ce que des bombes nucléaires puissent tomber au Canada », explique John Clearwater.

Retombées radioactives

Après l'explosion, des milliers de personnes mourraient en raison des blessures qui ne seraient pas soignées, de la déshydratation, des effondrements d'édifices et du chaos entraîné par le manque de préparation.

Fred Armbruster donne en exemple l'incendie de Fort McMurray. Personne n'était préparé à un feu de cette ampleur. Durant les années les plus tendues de la guerre froide, de l'information circulait constamment au sujet de la préparation à une attaque : des plans des abris, l'approvisionnement, la marche à suivre si une sirène d'alarme retentit. À Fort McMurray, peu de citoyens avaient les provisions et l'information nécessaires.

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« La population n'avait pas d'eau embouteillée, personne ne savait quoi faire. Beaucoup ont manqué d'essence parce qu'ils laissaient leur réservoir presque vide », dit-il à propos du pire incendie à avoir frappé une ville dans l'histoire canadienne. « Pendant la guerre froide, des feuillets étaient distribués dans chaque foyer pour informer la population des moyens à prendre pour se préparer à une catastrophe d'origine humaine ou naturelle. »

Quand autant de gens sans préparation sont confrontés à une tragédie de cette magnitude, la situation est plus difficile à gérer pour les institutions gouvernementales comme Sécurité publique Canada, qui doit trouver des moyens de décontaminer des sites ainsi qu'abriter, nourrir, soigner et relocaliser des centaines de milliers de personnes.

Mais, même si les vents dispersaient les retombées radioactives, ce ne serait pas apocalyptique selon Julian Schofield. Une explosion aérienne — une détonation à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la cible plutôt qu'au sol — cause une plus grande onde de choc, mais cause moins de débris radioactifs.

« En général avec les armes nucléaires, les radiations mortelles se concentrent dans la zone où l'explosion n'a laissé aucun survivant, dit-il. Ce ne sont pas les radiations qui vont vous tuer. » Toutefois, prévient-il, le taux de leucémie bondirait et resterait élevé pendant des années dans les régions touchées.

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Vancouver renaîtrait assez vite. La fiction laisse croire que les armes nucléaires ne laissent qu'une zone dévastée et inhabitable, mais le professeur affirme qu'il ne serait pas étonné que la troisième ville en importance au Canada soit rebâtie en une décennie ou moins.

La bombe atomique larguée sur Hiroshima en 1945 était de 20 kilotonnes, presque la même puissance que celle que la Corée du Nord a testée. La population de la ville était revenue à son niveau d'avant-guerre en 1958. « C'est parce que Hiroshima était bâtie en bois que tout a brûlé, dit Julian Schofield. Quelques édifices qui se trouvaient à 200 mètres du site de l'explosion sont restés debout. »

La colère du Canada

Après la déflagration, les Canadiens seraient en état de choc et devraient traverser une période de deuil. Ensuite, ils seraient plutôt en colère. « Si une bombe détruisait Vancouver, la réaction de la population serait de demander qu'on mette la main sur l'arme nucléaire pour menacer les autres afin de ne plus être bombardée, pense Julian Schofield. Je pense qu'on se dira que la bombe atomique est nécessaire et que nous nous tournerons vers les Américains. Nous intensifierions aussi notre coopération avec eux en matière de sécurité. »

En 2005, le premier ministre Jean Chrétien avait refusé que le Canada participe à la construction d'un bouclier antimissile balistique continental. Julian Schofield avait alors prédit un changement de position.

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« D'avord, nous devrions voir ce qui se passe au NORAD, explique-t-il. Ensuite, nous devrions nous rendre au siège de l'OTAN, à Bruxelles, et demander l'application de la disposition 15, selon laquelle une attaque contre un membre de l'OTAN constitue une attaque contre tous les membres. »

Étant donné la probabilité que d'autres bombes soient tombées sur la côte ouest américaine, il y a de fortes chances que les États-Unis répliquent en bombardant la Corée du Nord. Selon Julian Schofield, ce seraient des frappes mineures. D'un côté, les populations canadiennes et américaines voudraient sans doute se venger. De l'autre, les Sud-Coréens ne veulent pas qu'une bombe nucléaire éclate chez leurs voisins, et les États-Unis veulent pouvoir les compter parmi leurs alliés.

« Les mesures de représailles causeraient probablement une destruction des installations militaires et un génocide de la population urbaine communiste tout en épargnant les régions rurales », estime le professeur de l'Université Concordia.

Pas de panique, pour l'instant

Depuis que les États-Unis ont largué des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en 1945, aucune arme nucléaire n'a été utilisée dans un conflit armé. On n'imagine pas qu'il pourrait y avoir un changement, mais les experts, eux, pensent qu'il se produira tôt ou tard.

Néanmoins, il faut insister sur un point : la probabilité que le Canada soit impliqué est très, très, très faible. Le fait que nous n'ayons pas de plan en cas d'attaque nucléaire n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Comme le fait remarquer John Clearwater, c'est simplement qu'on alloue nos ressources à d'autres fins, qui comptent vraiment, comme la diplomatie.

« Nous ne devrions pas gaspiller l'argent des contribuables pour concevoir un plan en cas d'incident qui conduit à notre mort, dit-il. Nous devrions consacrer une fraction de cette somme à la réduction du nombre d'armes nucléaires dans le monde. On peut accomplir beaucoup plus en travaillant à la réduction qu'en distribuant des trousses de survie, des pelles, des comprimés de purification de l'eau et des plans architecturaux pour se construire un bunker dans la cour arrière. »

Donc, courage! Notre gouvernement ne fait pas grand-chose pour nous préparer à une attaque nucléaire, mais c'est que personne ne pense que c'est nécessaire… pour l'instant.

Adam Kovac est sur Twitter.