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Naissance et mort des étoiles à Scopitone

Le vidéaste japonais Ryoichi Kurokawa vous invite à un sublime plongeon dans l'astrophysique.
Toutes les images sont de l'auteur. 

Présentant la naissance et la mort d’une étoile à Scopitone avec une projection sur un triptyque vertical, le vidéaste japonais Ryoichi Kurokawa transcende les données de l’astrophysicien Vincent Minier et donne une interprétation imagée, sensible et puissante des mystères de l’univers avec « Unfold ».

On a tous voulu, petit(e)s devenir astronaute, ou au moins Han Solo. Avec ce tour de force en vidéo et en son présenté dans le Château des Ducs de Bretagne à Nantes, cette vocation largement frustrée est enfin consolée en nous immergeant dans le cosmos de manière tantôt fascinante, tantôt angoissante dans la danse de l’architecture et du chaos spatial, accompagnée de ses vrombissements sonores titanesques.

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Ryoichi Kurokawa: unfold exhibition trailer par FACT sur Vimeo.

Si la science travaille beaucoup sur la médiation et collabore volontiers avec des artistes dans une perspective pédagogique, avec « Unfold », c’est plutôt la relation de la mise à disposition d’éléments scientifiques qui permet la création d’une matière poétique et ultra-sensorielle à ce qui n’est pas appréhendable par les cinq sens : l’univers.

Sans florilège de technologie, mais avec une intention forte et des images extrêmement soignées, c’est un scénario en dix étapes qui se compose sous nos yeux. Réalisation pensée au printemps 2015 par Ryoichi Kurokawa face aux recherches sur la naissance et la mort des étoiles présentées par Vincent Minier, astrophysicien au CEA Irfu de Paris, on part du vide interstellaire à notre astre en huit minutes bouleversantes.

L’image artistique ou l’imagerie scientifique, cette interprétation

Fascinant de prime abord, c’est lorsque l’on apprend que l’élaboration d’un tel projet se base sur des données incompréhensibles à ceux qui n’ont pas au moins un Bac S (espace-temps, de distance, de température et de rayonnement interprété par des télescopes numériques et transposés par des superordinateurs) que l’on commence à sonder l’infini d’interprétations imbriquées dans le film. Il y a une interprétation, celle de l’artiste, qui permet de faire un vecteur et nourrir l’imaginaire, mais aussi celles qui la construisent, celles des outils scientifiques et les travaux des astrophysiciens eux-mêmes qui construisent des visuels.

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« Lorsqu’aujourd’hui un astrophysicien dessine des filaments, des formes spectrales avec du rouge et du bleu, le bleu symbolise des températures extrêmement chaudes, le rouge celles très froides. Ils illustrent ce que pourraient être ces phénomènes, si tant est que l’on puisse les voir » explique Cédric Huchet, programmateur des arts numériques pour révéler la portée épistémologique de l’œuvre qui interroge la profondeur sémantique de l’image en science.

« De même, quand un astrophysicien fait une simulation visuelle, il manque souvent de données parce que la captation n’a pas fonctionné, ou parce que le fil du télescope est cramé, ébloui par une étoile qui voile de sa lumière la zone où l’on dirige la focale. Kurokawa, a préféré mettre du noir là où il n’y avait pas d’informations plutôt que d’esthétiser ces vides en complétant au hasard et par coquetterie. C’est une grande forme de radicalité et d’intégrité à une démarche intellectuelle. On dit souvent que la création artistique en France s’attache plus à l’esthétique qu’à la démarche, et que c’est l’inverse dans les pays Scandinave. Les Japonais ont une intension particulière à la démarche comme au résultat obtenu, ça les amène à traiter de manière très complète les notions de visible et d’invisible, de perceptible et imperceptible, de connaissance et inconnu ».

Une cohérence dans la constellation de la programmation à Scopitone

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À l’origine de l’idée de la collaboration entre l’artiste et l’astrophysicien en pressentant une rencontre fusionnelle, ce dernier parvient à inscrire « Unfold » en adéquation avec les autres présentations artistiques du festival, en ce qu’elles jouent toutes sur les perceptions de réalités altérées ou fantasmées par l’homme : « Ce n’était pas un exercice de thématique imposée cette année qui a dirigé nos choix et qui est trop restrictive. Les clefs de lecture et les points de convergence ont été ceux de la perception des réalités. Comment nos sens troublent nos interprétations ? Comment les technologies nous déconnectent de la réalité ? Et aussi comment et quand ce sont celles-là mêmes qui nous renouent à une plus grande intelligibilité du monde ? ».

Cédric Huchet insiste alors sur les liens entre perceptions intellectuelles, culturelles et sensorielles d’œuvres qui ne font pas de la technologie un prétexte, et en profitant pour souligner une tendance salvatrice dans ce vaste champ des « media-arts» qui veut effacer les technologies, les masquer pour redonner la place à l’intention et au langage quand on a trop longtemps titillé des gadgets ludiques et interactifs superficiels sans propos réels en festival. En réconciliant dans le même temps l’Art (avec une majuscule s’il vous plaît) et les artistes-geeks, le tout avec un réel impact lors de la réception des œuvres : « Depuis cinq ans on voit des publics de plus en plus éclectiques à Nantes, les initiés habituels mais de plus en plus ceux qui se laissent surprendre, se disant qu’ils vont voir quelque chose de singulier : ça concorde avec le moment où l’on a arrêté de montrer des choses ludiques et interactives en préférant des propositions beaucoup plus radicales, plus art contemporain ».

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Une collaboration science-art comme une collision de comètes

« Unfold » s’inscrit au point d’ancrage entre art numérique et art contemporain avec son esthétique abstraite et immersive, tout en se fondant sur un travail de codes et programmation informatique, le tout inspiré d’éléments scientifiques purs. Avec une première rencontre qualifiée de « scientifique » par Vincent Minier avec Kurokawa à qui il a initié les joies des mystères des étoiles, lui apprenant notamment que notre soleil avait « des grands-parents, comme nous figurons dans un troisième cycle d’étoiles », l’artiste japonais s’attache vite au sujet privilégié de l’astrophysicien et se fait boulimique des connaissances en la matière.

Une deuxième rencontre plus technique cette fois à l’été 2015 dans le laboratoire parisien du CEA permet au vidéaste d’apprendre à manipuler l’immense jeu de données laissé à disposition sur le logiciel Python. En restant finalement fidèle à la véracité des innombrables données et instruments scientifiques mis à sa disposition, Kurokawa est loin d’apporter une documentation scientifique mais son œuvre reste pour Vincent Minier « une sorte de prolongement de ce qu’il a dans la tête ». Illustrant la folie créative que l’on porte aux scientifiques, il explique ce sentiment au premier visionnage par la voix et les concepts de Gaston Bachelard, philosophe de l’imagination et des sciences qui utilise les termes de « rêve cosmique » ou « brume des songes » pour parler de cette prolongation des hypothèses reposants sur un fond rationnel construit. Le livre d’où sont tirées ces formules à la fois philosophique et poétique ? « L’air et les songes », qui aurait pu tout aussi bien être la formule empruntée par Ryoichi Kurokawa pour « Unfold ».

Retrouvez tous les travaux de Kurokawa sur son site.

Adrien Pollin est sur Twitter.