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Food

La soupe aphrodisiaque jamaïcaine qui ne faisait pas vraiment bander

La « mannish water » est une soupe traditionnelle à base de tête, de couilles et d’abats de bouc dont tous les jamaïcains raffolent. Elle est aussi connue pour donner une très forte envie de baiser. Je suis parti l'essayer dans un restaurant pour voir...
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« Ram goat liver good fi mek mannish water, curried goat lunch put de bite in your bark », chantait Pluto Shervington dans son plus bel argot jamaïcain sur « Ram's Goat Liver », un classique du reggae. Pour ceux qui ne sont pas au fait des subtilités de la cuisine caribéenne, Shervington faisait référence au traditionnel plat jamaïcain fabriqué à base de tête de bouc et des différents abats récupérés sur la carcasse de l'animal. La « Mannish water » (c'est son nom) n'est pas qu'une soupe délicieuse dont tous les antillais raffolent, elle est aussi connue pour ses vertus aphrodisiaques. Vertus réputées si fortes que quiconque en consomme est censé brûler d'un désir tel qu'il risque à tout moment de devoir faire composer le 18 pour éteindre le feu qui brûle en lui.

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Bien que sa renommée légendaire, ce plat est assez difficile à trouver en dehors de la Jamaïque. Pourtant, la soupe a été rendue célèbre par des icônes comme les Rolling Stones qui s'en inspirèrent pour leur album Goats Head Soup, sorti en 1973 et enregistré à Kingston, au Dynamic Sound Studio, à l'époque où le groupe habitait sur l'île. Pour trouver cette soupe aux États-Unis ou en Europe, il faut être sacrément motivé. J'habite en Angleterre et très peu de restaurants jamaïcains proposent ce plat ici et ceux qui le font ne le préparent qu'une à deux fois par semaine pour les connaisseurs. Cela fait des années que je veux essayer, pour voir le goût que ça. Bon j'avoue, c'est aussi pour voir l'effet aphrodisiaque que ça fait.

Chef Clive Biggs dans sa cuisine.

J'ai passé Londres au peigne fin, à la recherche de restaurants caribéens qui servent cette soupe. Après de nombreux échecs, je me suis retrouvé dans les bras de Clive Biggs, un type qui prépare ce plat tous les week-ends depuis onze ans dans son restaurant Refill, situé à Brixton. Malgré mon ardent désir de tester le « mannish water », je dois quand même vous avouer un petit secret : j'ai horreur des abats. Voilà, c'est dit. Donc, quand je me suis retrouvé nez-à-nez avec tous ces abats qui baignaient dans leurs jus de sang et que Clive a commencé à me parler des variantes du « mannish water » à base de têtes de bouc hachées, de tripes, d'intestins et de testicules, je me suis vraiment fait violence pour rester et ne pas partir en courant.

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Des morceaux de bouc.

Clive a été assez sympa pour me laisser m'assoir sagement pendant que lui et ses deux cuisiniers, Donald et Marlene, procédaient à la préparation matinale du « mannish water ». Ainsi, j'ai pu assouvir ma curiosité, entouré d'épices Jerk, de poissons frits, de boulettes et de soupes en devenir. L'important, c'est de ne pas se presser. Ils ont commencé par plonger des tripes, intestins, couilles et bananes vertes découpées en rondelles dans la marmite, au coté des têtes de bouc hachées (elles avaient déjà été charcutées quand je suis arrivé, mais Clive, dans sa grande mansuétude, est allé en chercher une dans le congélateur pour que je puisse voir. Il y a quelque chose d'hypnotisant à regarder une tête de bouc mort droit dans les yeux, je vous recommande fortement d'essayer). Pour épaissir le tout, du potiron, des carottes et des pommes de terre ont été ajoutés, ainsi qu'un bouillon spécial pour « mannish water ». « Tout le monde l'utilise », m'a affirmé Clive, en ajoutant une quantité industrielle de piments Scotch bonnet. Si vous n'avez jamais testé la cuisine jamaïcaine, il est probable que vous n'ayez jamais goûté à ces petits piments fruités, incontournables dans les plats antillais. Leur puissance de feu est telle, qu'ils peuvent vous faire chialer avant même que vous ne les ayez ingérés.

Là on part sur une grosse tête de bouc.

Pendant que la soupe frémissait (sa couleur avait tourné au marron verdâtre) et comme nous avions quelques heures devant nous avant l'arrivée potentielle d'une érection fulgurante, j'en ai profité pour poser quelques questions à Clive, notamment sur l'origine du plat : « Comme pour beaucoup d'autres, je ne sais pas vraiment d'où ça vient. Tout ce que je peux dire, c'est que quand j'étais petit, on mangeait ça pour se sentir virils, a-t-il répondu en souriant. Tu sais, cette excitation d'avoir l'impression d'être un homme ».

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Clive et sa soupe.

— Est-ce qu'il y a une vraie raison à n'utiliser que des têtes de bouc ? Et pourquoi est-ce que l'on ne se contente pas des cervelles des chèvres ?

—Le « mannish water » est toujours fait avec un mâle. Jamais une femelle.

—Pour quelles raisons?

—Eh bien, il y a une croyance selon laquelle c'est la viande du mâle qui apporte de la vigueur. L'urine de bélier a une odeur qui attire les femelles à ce qu'il paraît.

—Ok. On ne va quand même pas boire de la pisse, si ?

—Non. Mais, comme dans beaucoup d'autres pays du tiers-monde, seul le mâle est sacré et donc sacrifié pour être mangé. Les femelles servent pour faire du lait et comme animaux de compagnie.

Après trois heures passées à mijoter et à emplir mes sinus de ses arômes puissants, la viande était prête, et les patates également : il était temps de s'attaquer à ce plat sacré. La première chose qui vous frappe, c'est la chaleur. Et elle ne fait qu'augmenter. Ensuite, l'odeur : c'est probablement les arômes de viande les plus intenses et les plus riches que j'ai jamais connus et il faut l'avouer, ils avaient bien un côté viril. Quelques bouchées plus tard et j'étais envahi par des bouffées de chaleur et des bonnes montées d'endorphine (merci, la capsaïcine !). C'est le moment qu'a choisit Marlene pour me demander si j'avais besoin d'un peu d'intimité.

J'ai rougi et puis ils ont explosé de rire.

Est-ce que j'ai quitté Brixton avec un canon de la Première Guerre mondiale dans le slip ? Désolé de vous décevoir, mais à l'issue de cette première expérience, je n'ai ressenti aucun effet aphrodisiaque. J'étais quand même un peu excité, comme si j'avais avalé deux bons double espressos d'affilée. D'ailleurs, vous savez-quoi ? J'emmerde la caféine : à partir de maintenant, ce sera soupe à la tête et aux couilles de bouc tous les matins. Quitte à éventuellement bander un peu en arrivant au boulot.