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Tribune

Une étude comparative de mes bulletins de notes et de ma vie actuelle

Suis-je toujours cet élève passable dont les capacités « ne peuvent être valorisées » ?
Paul Douard
Paris, FR

Parfois, il faut savoir se rendre à l'évidence : au lycée, j'étais le branleur qui s'en sortait toujours en ne fournissant que le strict minimum. Bien sûr, cela exaspérait mes parents – mais surtout mes professeurs, qui semblaient haïr le fait que ma maigre réussite ne découle pas d'un travail acharné. Les premiers de la classe rêvaient me voir terminer ma vie à boire des bières sur le parking d'un Super U. Pourtant, ce sont aujourd'hui mes collègues. Si j'ai maintenant un travail intellectuellement stimulant, un appartement deux pièces avec des murs beiges et une carte d'abonnement au cinéma – ce qui, de toute évidence, est le signe d'une vie parfaitement menée –, les choses n'étaient pas aussi évidentes au lycée.

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« On ne peut changer un caractère ni un naturel, mais on peut empêcher qu'il ne dégénère » disait Rousseau dans Julie ou la nouvelle Héloïse. La frontière est toujours mince entre le fait de devenir une sombre merde et de s'en sortir de justesse. Avec un taux de chômage avoisinant les 10 %, il convient de basculer le plus rapidement possible dans la seconde catégorie. Afin de déterminer si ma vie actuelle est un « destin d'exception » à la Bourdieu ou une suite logique de ce que j'étais au lycée, j'ai profité du retour au bercail des fêtes de fin d'année pour me plonger dans mes vieux bulletins de notes.

Si je devais choisir un bulletin pour résumer ma scolarité dans le secondaire, j'opterais pour celui-ci. Au milieu d'une classe de 34 élèves, j'étais pile au milieu. Jamais dans le rouge, mais jamais dans les meilleurs. Un mec qu'on peut engueuler, mais pas trop non plus. Un type moyen, en somme. J'étais celui qui pouvait être « le moteur de la classe », l'éternelle déception de ses professeurs. Les enseignants préféreront toujours celui qui bosse comme un âne mais qui n'y arrive pas plutôt que l'inverse. Le second cas laisse entendre qu'on n'a pas besoin d'eux.

Pour les lycéens branleurs comme moi, il n'y a pas de meilleur compliment que celui-ci : « Vos capacités sont très au-dessus de vos résultats ». C'est un peu comme si vous marquiez un triplé lors d'un match amical sans jamais venir à l'entraînement. Imaginez, vous avez 16 ans et votre seul objectif de l'année est de plaire à Julie de la seconde 7, et l'un de vos professeurs les plus intelligents vous dit que vous l'êtes aussi, et que vous n'avez pas besoin de forcer pour que ça fonctionne correctement là-haut. Alors oui, certains diront que c'est du talent gâché, et ils ont entièrement raison. Sauf qu'à cet âge-là, je n'avais pas le recul nécessaire pour en prendre conscience. Bêtement, cela m'a conforté dans l'idée que mon oisiveté suffirait à me conduire tout droit vers les études supérieures. Et c'est ce qu'il s'est passé.

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C'est tout le problème quand on vous dit explicitement que vous n'êtes « pas mauvais ». Je ne leur en veux pas d'avoir essayé de me tirer vers le haut – au contraire. Mais il aurait fallu le justifier autrement que par la seule finalité d'obtenir de bonnes notes – raison qui semblait suffisante aux yeux de mes professeurs. À l'époque, je n'avais pas conscience de l'utilité d'une bonne moyenne. Mon conseiller d'orientation ne m'avait jamais expliqué que certaines filières étaient sélectives et que ces notes pourraient jouer jusqu'à mon entrée en Master 2. En fait, il ne m'a rien expliqué du tout. Ce n'est qu'au milieu de la terminale qu'un professeur nous a dit : « Au fait, attention car vos bulletins conditionneront vos entrées en école pour les prochaines années ». Jusque-là, j'ai toujours vu le bachotage scolaire comme quelque chose de contraire à un apprentissage naturel, comme le montre aussi très bien cette étude. La bonne note en guise de récompense suprême de l'élève me paraît être l'équivalent d'un gros salaire en échange d'un boulot qui n'a aucun sens. Il me fallait plus que ça pour me motiver, et personne n'a su le faire.

Sur ce nouvel extrait, je sais très bien ce que vous allez vous dire : le mec a eu 8/20 en sport. Dans un monde où les branleurs tâchent d'exceller en EPS pour rattraper leur moyenne générale, j'ai ici lamentablement échoué. Mais je tiens à nuancer l'appréciation de ma prof – quand elle écrit « cette activité physique lui pose problème », elle ne précise pas qu'il s'agit ici de « gymnastique artistique ». Ce fut le trimestre sportif le plus long de ma vie, passé à faire des roulades maladroites et des chorégraphies absurdes avec la volonté et la souplesse d'un junkie, le tout sous les yeux de ma prof, visiblement heureuse de ne pas s'être contentée de jeter un ballon de foot au milieu de la salle. Finalement, elle n'a fait que son travail. Mais cette note médiocre témoigne parfaitement de l'investissement dont je peux être capable lorsqu'une chose me désintéresse profondément.

Je ne crois pas avoir changé là-dessus. Aujourd'hui, je ne suis pas le genre de mec qui se propose de faire la vaisselle ou qui arrive en avance pour aider à la préparation une soirée. Certains diront que je suis fainéant, ce qui est sans doute vrai. D'autres diront que je critique tout sans cesse, c'est vrai aussi. Peut-être que mes professeurs avaient raison quand ils parlaient de « manque d'investissement ».

« Admis en T.ES », c'est tout ce qui comptait. Marie-Estelle Pech, une journaliste qui a réalisé une vaste étude sur le comportement des étudiants pendant les examens, m'expliquait récemment que : « L'étudiant a un parcours utilitaire. Il est consommateur plus qu'acteur de ses études. Il prend son diplôme et se tire. » C'est très juste. À l'inverse, je ne vois pas mon travail de cette façon. Je cherche avant tout à être fier de ce que je fais tous les jours, avant de simplement prendre mon salaire et de me tirer. Mes professeurs, par leurs injonctions régulières sur mon investissement, ont peut-être voulu me montrer qu'il fallait être passionné pour faire des choses intéressantes, et que se contenter de pointer tous les jours n'amènerait rien de bon. C'est beau, mais aussi contradictoire avec l'élitisme de l'école qui reconnaît certaines compétences et en occulte d'autres.

C'est peut-être la vraie leçon de mes années d'oisiveté au sein de l'Éducation Nationale. En me permettant de continuer mes études tout en restant au minimum syndical, l'école m'a finalement montré qu'il y avait une autre voie possible que la quête effrénée de l'argent, du résultat et de la productivité.

Paul est sur Twitter.