Facebook analyse vos posts pour voir quand vous êtes émotionnellement vulnérable

Facebook a encore une fois été l’objet d’un scandale concernant ses pratiques concernant l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Cette fois-ci, il est accusé d’avoir utilisé des informations sur l’état émotionnel d’adolescents vulnérables à des fins publicitaires, ce qui, avouons-le, est particulièrement classe.

Plus précisément, Facebook aurait utilisé des techniques de traitement automatique du langage afin de cibler des ados se sentant inutiles, nuls et déprimés (ils sont nombreux), fournissant ainsi aux marques l’opportunité de leur présenter des produits promouvant l’amélioration de l’image de soi au moment le plus pertinent.

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Si ces outils d’analyse sont actuellement sous le feu des projecteurs suite à la fuite de documents internes publiés par The Australian, l’analyse des sentiments (également connue sous le nom de « marketing d’opinion ») est une arme standard de l’arsenal des annonceurs et des sondeurs politiques depuis quelques années déjà.

Andrew Piper est professeur au Département de langues, littérature et cultures de l’Université McGill, où il dirige txtLAB, un projet dédié à l’analyse de la littérature via des outils informatiques. Depuis le début, explique Piper, l’analyse des sentiments est étroitement liée au domaine du marketing, et a été développée pour aider les marques à mieux comprendre ce que pensaient et sentaient les gens à l’évocation d’un produit spécifique.

Lors d’une analyse de base, un expert marketing peut, par exemple, effectuer une recherche à l’aide du mot-clé « iPhone », avant de chercher d’autres termes relatifs à ce mot-clé dans un texte donné, comme un statut Facebook ou une conversation publique. La manière la plus simple de trouver ces termes est d’examiner les mots adjacents à « iPhone », mais une analyse plus avancée permet également de décomposer la syntaxe de la phrase afin de comprendre son sens général.

« Nous savons de mieux en mieux comment analyser les relations entre les mots, au sens grammatical du terme. Du coup, quand vous trouvez un élément qui vous intéresse dans un texte – le nom d’un produit ou d’une marque par exemple – il suffit d’analyser le sens de tous les éléments du texte qui lui sont associés », nous explique Piper lors d’une conversation téléphonique.

L’outil est moins fiable lorsque le texte est teinté d’ironie ou de sarcasmes, des tours rhétoriques dont l’essence est d’utiliser des propositions dont le sens est l’inverse de ce que l’on veut vraiment dire implicitement (« bien joué » ou « ta vie est vraiment dure », par exemple). Dans les textes les plus longs, il est possible d’extraire des indices sur l’état émotionnel de la personne qui s’exprime, mais cela reste un défi pour les programmes d’analyse. Parce que ces technologies sont faillibles et que le sarcasme est extrêmement répandu sur Internet, il est plus facile et plus fiable d’utiliser des informations sur le profil de la personne (profession, âge, milieu social, goûts, etc) que d’analyser ses propos.

Pourtant, parce que nous postons d’énormes quantités d’informations sur notre état affectif et mental chaque jour sur de multiples réseaux sociaux, la compréhension et la manipulation de nos réactions émotionnelles sera sans doute de plus en plus facile à l’avenir. Or, si les universitaires travaillant dans le domaine du traitement automatique du langage ont des principes éthiques très stricts, les entreprises, elles, ne s’embarrassent pas de telles considérations.

« Dans un autre scandale qui a éclaté il y a quelques mois, on s’était aperçus que Facebook s’était adonné à une petite expérience : changer le contenu de la timeline de ses utilisateurs de façon à provoquer chez eux des émotions sur demande. Il s’agit d’une violation des principes de la recherche, puisqu’ici, vous effectuez une étude sur des êtres humains sans leur consentement tout en compromettant leur bien-être, puisque vous tentez d’induire des émotions négatives sur demande. Hélas, la R&D de Facebook n’est pas tenue de respecter les principes élémentaires de l’éthique et de la décence, et c’est un problème », explique Piper.

L’analyse automatique des sentiments est une mine d’or pour les annonceurs, puisqu’elle leur permet d’exposer les utilisateurs à la pub au moment où ils sont le plus réceptifs. Tu te sens moche ? Voici des pubs de fringues de marque. Tu es très las et fatigué ? Vois ces magnifiques compléments alimentaires à 35€ les 200g. Ici, le fait que Facebook ait ciblé un segment de population particulièrement vulnérable (et mineur), est particulièrement choquant. Hélas, les techniques qui fonctionnent sur des ados tristes et influençables fonctionnera probablement pour des adultes dépressifs et isolés.

Nous devons dès maintenant nous engager dans un débat nécessaire : faut-il restreindre la liberté marketing des entreprises du numérique de la même manière que nous avons encadré les pratiques de l’industrie du tabac ?