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Faillite et humiliation publique : chronique d’une ouverture de restau foirée

Bienvenue dans Cuisine Confessions, une rubrique qui infiltre le monde tumultueux de la restauration. Ici, on donne la parole à ceux qui ont des secrets à révéler ou qui veulent simplement nous dire la vérité, rien que la vérité sur ce qu’il se passe réellement dans les cuisines ou les arrière-cuisines des bars ou des restaurants.

Si l’idée d’ouvrir un restaurant vous trotte dans la tête, vous trouverez pléthore de sites Internet, de livres, d’avocats, de comptables et de conseillers prêts à vous épauler sur le chemin du succès. Beaucoup d’entre eux diront qu’il ne faut surtout pas vous lancer dans ce business, lâchant la blague de circonstance : pour gagner un rond dans la restauration, il suffit d’en dépenser cent.

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À part cette mise en garde générale assez répandue, personne ne vous décrit clairement comment votre vie sera anéantie par un échec. En sachant qu’1/4 des restaurants ne passe pas le cap de la première année et que 60 % fermeront leurs portes avant de souffler leur troisième bougie, ce serait plutôt pas mal d’en parler non ?

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Arrêtons de tourner autour du pot : si vous ouvrez un restaurant, il est fort probable que vous fassiez faillite. Vous risquez de ne plus pouvoir emprunter – à compte privé ou professionnel – pendant près d’une décennie. Est-ce que vous louez actuellement votre caisse ? Si c’est le cas, on vous la reprendra et vous serez dans l’impossibilité d’avoir un véhicule de locomotion. C’est ce qui m’est arrivé, en tout cas.

Êtes-vous propriétaire ? En fonction de l’endroit où vous vivez et de l’importance de votre hypothèque, il est fort possible que votre maison soit saisie par les banques et les créanciers désireux de se voir remboursés. Perso, on ne m’avait pas prévenu.

Après des années à la tête du restaurant le plus en vue de ma ville, j’avais pris la décision d’en ouvrir un second. La nouvelle adresse avait été très bien accueillie – des journalistes de la presse nationale étaient même là pour l’ouverture.

Je puais la poisse à des kilomètres à la ronde. Mes confrères du milieu – que je considérais comme des amis – commençaient à flipper d’être vus avec moi.

Mais votre restau ne demande rien d’autre que de s’effondrer et il suffit d’une goutte d’eau pour faire déborder le vase : une mauvaise critique, l’un des chefs qui vous lâche à cause d’une hépatite qui connaît des complications ou, dans mon cas, un problème de bâtiment.

Même si cet accident de construction n’est en rien de ma faute, j’ai dû fermer le restaurant plusieurs mois pour corriger le défaut de l’infrastructure. Ce sont ces mois qui m’ont fait mettre la clef sous la porte.

Finalement, les factures, les rumeurs et les accusations m’ont mis du plomb dans l’aile et la fréquentation de mon premier restau a drastiquement chuté. J’ai fini par le fermer lui aussi. Dans les journaux, mon visage n’illustrait plus de papiers sur la « nouvelle sensation de la ville ». Il était devenue le symbole d’un échec et de l’incapacité à répondre aux attentes.

Mon mariage a souffert de ces travaux et de la fermeture. Confrontés à un business qui s’écroule, certains couples préfèrent divorcer pour protéger les fonds du conjoint qui n’était pas dans l’affaire. Mon mari était également investi dans le restaurant et nous étions deux à nous porter garants des prêts qui n’avaient pas été remboursés. Un divorce n’aurait donc rien arrangé. Mon mari a fini par m’avouer qu’il ne pouvait pas s’empêcher de penser à cette faillite commune quand il me regardait.

Je puais la poisse à des kilomètres à la ronde. Mes confrères du milieu – que je considérais comme des amis – commençaient à flipper d’être vus avec moi. Les chefs ont arrêté de m’envoyer le nouveau cocktail du barman ou un plat hors menu quand j’allais manger dans leur restau. C’était comme si tout le monde me disait implicitement, « s’il te plaît, arrête de venir par ici quelque temps, jusqu’à ce que tout se calme pour toi. »

J’ai finalement compris que la plupart de mes amitiés n’étaient que professionnelles. Quand on passe soixante-dix heures de la semaine à côtoyer des cuisiniers, des barmans et des serveurs, il est facile de confondre ces relations avec de l’amitié. Quand j’ai fermé mon restaurant j’ai vite compris que je n’avais aucun pote. Ces gens restaient avec moi parce qu’ils étaient payés pour le faire. Après quelques adieux déchirants et des promesses de se revoir rapidement pour prendre un verre, ils ne m’ont plus jamais contactée.

Je ne sais pas pourquoi je pensais être à l’abri de tous ces problèmes éventuels. Pourquoi ai-je ouvert un autre restaurant ? Pourquoi, alors que j’avais trouvé la perle rare dès le premier coup, j’ai voulu tenter ma chance et lancer une nouvelle affaire ?

Quelqu’un devrait vraiment vous prévenir qu’à la fermeture de votre restaurant, vous allez chialer et maudire le monde entier. Parfois même oublier de manger pendant plusieurs jours. Vous allez prendre ou perdre énormément de poids. Est-ce que vous kiffiez vous voir à poil dans le miroir ? Parce que le corps que vous aviez en ouvrant le restau aura radicalement changé à la fin de l’aventure.

Au final, je n’avais plus aucune émotion. Je ne reconnaissais plus ma vie. J’avais du mal à me souvenir du simple fait que j’étais un être humain.

Même maintenant, si c’était à refaire, je ne sais pas ce que je ferais. La « famille » me manque. La clientèle aussi. J’adorais savoir que des gens allaient faire la queue pendant une heure pour manger à ma table. J’adorais les pics de plaisir qui arrivaient après chaque petit succès. J’adorais cet endroit que j’avais construit et que les gens aimaient.

J’aurais dû m’arrêter à un seul restaurant. Ou j’aurais dû mieux choisir l’emplacement du second.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas pourquoi je pensais être à l’abri de tous ces problèmes éventuels. Pourquoi ai-je ouvert un restaurant ? Pourquoi, alors que j’avais trouvé la perle rare dès le premier coup avec une première adresse qui marchait plus que correctement, j’ai voulu tenter ma chance et lancer une nouvelle affaire ? Il faut avoir une certaine dose d’arrogance pour vouloir accoucher d’un nouveau restau. Si vous vous estimez capable d’en ouvrir un (et de le gérer), cette confiance sera peut-être votre perte. Elle est capable de vous aveugler et de vous faire chuter.

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Si et seulement si vous êtes un oiseau rare qui possède effectivement assez de caractère, de détermination, de fonds et de soutien familial pour éviter toutes les tuiles qui vous tomberont dessus, alors oui, ouvrez un restaurant. Si vous n’avez aucun antécédent de désordre mental ou d’addiction dans votre famille sur plusieurs générations, alors oui, ouvrez un restaurant. Si vous acceptez l’idée de perdre votre maison et votre mari et les économies qui devaient servir à l’éducation de vos enfants, alors n’hésitez plus et ouvrez un restaurant.

Mais si vous n’êtes pas ce genre de personne, épargnez-vous l’humiliation et le déchirement qui risquent de vous suivre pendant des années. Ouvrir un restaurant est difficile. Gérer un restaurant avec succès est, statistiquement, presque impossible. Alors que devoir fermer un restaurant est la pire chose que vous devrez affronter dans votre vie, à part la mort de vos proches.

Et tout ça, vous devez le savoir avant de vous lancer.