Les choses ont mal tourné pour Fallout 76 dès le jour de son annonce, le 30 mai dernier. Quelques heures après la mise en ligne du trailer de lancement, le site américain Kotaku a révélé que le nouveau jeu de Bethesda serait « un RPG de survie en ligne largement inspiré de jeux comme DayZ et Rust. » Après 20 ans et huit jeux solo, la licence allait connaître son premier épisode multijoueur. Todd Howard, son lead developper depuis Fallout 3, a confirmé et précisé cette nouvelle orientation quelques semaines plus tard. Dans Fallout 76, a-t-il expliqué pendant l’E3, les joueurs sont répartis sur des serveurs-maps d’une vingtaine de places où ils incarnent les seuls humains et tous les personnages non-joueurs (PNJ) sont des robots.
Certains fans ont reçu ces nouvelles avec colère et inquiétude. Échaudés par le souvenir de Fallout 4, souvent décrié par les puristes pour son histoire et ses dialogues faiblards, ils ont immédiatement décrété que Fallout 76 serait une catastrophe. Une semaine après sa sortie, ils estiment à grand bruit qu’ils ont vu juste et agissent en conséquence. Les review bombers déferlent sur Metacritic pendant que les Youtubeurs gaming rivalisent de violence : « Fallout 76 is Complete GARBAGE » ; « It’s Time to Call Fallout 76 What it is….TRASH! ». On avait rarement vu telle campagne de hate contre un jeu vidéo.
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Après une trentaine d’heures de jeu sur PC, je dois bien avouer que Fallout 76 a de gros défauts — mais pas assez pour faire oublier sa richesse et son atmosphère formidables. Histoire de passer au plus vite sur ce que vous avez sans doute déjà entendu 100 fois, commençons par les points négatifs.
Téléportation de goule
Fallout 76 souffre de problèmes techniques plus ou moins graves. Production Bethesda oblige, on ne coupe pas aux bugs de collision et au framerate capricieux. Des bruits de pas et des détonations sortent de nulle part. Les animations ramassent. Certains monstres glissent sur le sol, immobiles ou bizarrement saccadés. Des spawns intempestifs font apparaître des ennemis aux pieds du joueur. Aussi spectaculaires soient-ils, ces dysfonctionnements sont rares et franchement bénins comparés aux bugs qui bloquent la progression : pour le moment, un objet impossible à réparer et une cible déjà morte m’empêchent de boucler deux quêtes secondaires. C’est embarrassant.
Tous ces bugs étaient déjà présents dans la beta. Le fait qu’ils n’aient pas été corrigés à temps pour la sortie montre que Fallout 76 méritait une gestation plus longue. Avec un peu de chance, la mise à jour du 19 novembre a réglé les plus gros problèmes (je n’ai pas eu le temps de vérifier). Ce qu’elle n’a pas pu changer, cependant, c’est le manque de narration « vivante » du jeu.
Fallout 76 n’a ni PNJ humains, ni dialogues. Les quêtes et l’histoire dépendent de documents, de robots et d’ordinateurs. Vous n’aurez pas l’occasion de négocier avec un néo-légionnaire romain ou de séduire une goule toxicomane, désolé. Par contre, vous allez lire beaucoup de lettres vertes sur écran noir et écouter des heures d’enregistrements (plutôt saisissants) de personnages décédés. Et ne vous en faites pas pour les récompenses, elles apparaîtront dans votre inventaire à chaque objectif rempli. Cette approche, radicale pour une licence historiquement riche en dialogues et en choix, achèvera de désespérer les amateurs de narration complexe déjà déçus par Fallout 4. Je ne la trouve pas vaine pour autant, au contraire.
Plus glauque que le métro de Fallout 3
L’absence de PNJ humains dans Fallout 76 est probablement liée à des choix économiques. L’écriture et le doublage, ça coûte cher. Bethesda parvient néanmoins à mettre cette contrainte à profit en situant l’action du jeu 25 ans après la chute des bombes, plus tôt que tous les autres Fallout. Ainsi, s’il n’y a personne, c’est que les rares rescapés n’ont pas encore eu le temps de se regrouper pour survivre ensemble. Grâce à cette pirouette, aux témoignages des disparus mais aussi au storytelling environnemental, le jeu dégage une ambiance remarquable. La guerre nucléaire a détruit l’humanité pour de bon. Vous, le privilégié fraîchement sorti de son abri anti-atomique pour re-coloniser la Virginie-Occidentale, ne verrez que les vestiges affreux du monde d’avant : prisons détruites, dépouilles de suicidés, humains réduits en monstres. Fallout 76 est sombre et c’est très bien comme ça.
L’autre ingrédient-clé de la noirceur du jeu, celui que l’on remarque aussi vite que sa désolation, c’est son virage vers le survival. L’usure des armes et des armures est de retour. Désormais, il faudra aussi boire et manger sous peine de perdre en endurance, mais prudemment : une mauvaise côtelette d’opossum à deux têtes peut vous transmettre l’une des treize maladies du jeu. Vous pouvez aussi muter en entrant dans l’une des nombreuses zones toxiques ou irradiées de la map. Mieux vaut prendre son masque gaz, remplir sa trousse de soin et apprendre ses raccourcis clavier avant de prendre la route. Sans ces préparatifs, vos balades risquent de finir vite et mal. Ce serait dommage.
La carte de Fallout 76 est quatre fois plus grande que celle de son prédécesseur. Et s’il est encore trop tôt pour comparer leurs densités, une chose est sûre : errer en solitaire m’a procuré beaucoup plus de plaisir que finir des quêtes. D’abord, c’est beau. (Exceptée celle ci-dessous, toutes les captures d’écran de cet article ont été prises in-game à l’aide de l’outil fourni par le jeu.) Surtout, les six régions du jeu dégagent toutes une ambiance distincte et prenante. Tous leurs lieux semblent abriter un secret, une histoire ou un item. Pas le choix, il faut fouiller. Le talent de Bethesda pour le world building brille dans chacune de ces mini-chasses au trésor. Ajoutons que les temps de chargements sont bien plus rares et rapides que dans Fallout 4, un bonheur pour l’immersion. Le joueur peut déambuler sans pause forcée, mais pas sans courage ni fusil de chasse.
Mitrailleuse lourde VS. paresseux mutant
Personne n’a encore osé dire que Fallout 76 manquait de contenu. Heureusement, car c’est faux. Soins, armes, armures ou objets, le jeu déborde de nouveaux items bien utiles pour combattre un bestiaire enfin augmenté. Aux classiques goules, super mutants, robots renégats et autres animaux mutants s’ajoutent désormais des monstres plus impressionnants comme le Scorchbeast et le « Mégaparesseux ». Par l’aspect comme par les bruitages, toutes les nouvelles créatures renforcent l’ambiance glauque du jeu. Comment ne pas suer froid quand un Scorched grommelle dans le lointain pendant un voyage de nuit ? Remarquons aussi que les Mole Miner ressemblent bizarrement aux Burer des S.T.A.L.K.E.R, l’une des licences de FPS les plus flippantes qui soit. Par bonheur, toutes ces créatures sont mortelles.
Le système de combat de Fallout 76 est presque le même que celui de Fallout 4, ce que regrettent certains critiques mais pas moi. On pourrait même dire qu’il a gagné en spontanéité : multijoueur oblige, le VATS fonctionne désormais en temps réel et regarder son Pip-Boy n’interrompt plus l’action. Il faut réagir vite ou mourir après une humiliante retraite à reculons. En dépit de ces changements, le jeu récompense toujours la planification, la discrétion et l’exécution méthodique, au moins au début. Chaque situation demande une arme adaptée. Mitrailleuse lourde ou fusil à poudre noire, couteau de combat ou épée-guitare, elles sont toujours aussi distinctes par leur maniement et les sensations qu’elles procurent. Saluons le chemin parcouru depuis les affrontements de Fallout 3 et New Vegas, ingérables sans VATS, et parlons du multijoueur.
En dépit de mes réticences de gamer misanthrope, l’aspect multijoueur de Fallout 76 ne m’a pas gêné. Après avoir fréquenté quelques débutants dans la zone de tutoriel, j’ai pris la route seul. Par bonheur, l’ambiance était au « vivre et laisser vivre » sur tous les serveurs que j’ai fréquentés. Même le joueur que j’ai failli toucher en déchargeant mon fusil à pompe sur le Radcafard qui l’attaquait m’a laissé tranquille. Résultat : je n’ai pas encore testé le PvP. Je n’en ai pas vraiment envie. Au contraire, plus le temps passe, plus je me dis qu’intégrer un groupe d’explorateurs pourrait être amusant. Bien sûr, cela implique de contacter d’autres joueurs in-game. Comme la carte est vaste et que les événements publics du jeu n’attirent pas grand-monde, cela va me demander plus d’efforts que rester seul.
Immersion qu’on le veuille ou non
S’il a le bon goût de ne pas forcer la coopération, Fallout 76 tient absolument à faire remarquer sa richesse et son ambiance réussie. Pour encourager les expéditions, il bombarde le joueur de quêtes riches en déplacements et facture le fast travel : 30 capsules ou cinq minutes de balade aux abords d’un lac toxique sur une bande-originale de qualité, le choix est vite fait. Mais presque autant que son univers, ce sont ses possibilités que le jeu tient à vous faire découvrir.
Dès le tutoriel, Fallout 76 impose son système de crafting : cet atelier permet de réparer les armes mais aussi d’en fabriquer, cet autre de préparer des aliments moins dangereux mais aussi des breuvages miracle, ce plan débloque une nouvelle amélioration… Toutes les possibilités sont dévoilées en quelques heures par le biais de quêtes. S’il est convaincu, le joueur pourra choisir de devenir expert du domaine grâce au système de progression du jeu. Ce dernier force lui aussi la découverte grâce à des « cartes compétences ». Distribuées aléatoirement lors des level-up, ces cartes exposent le joueur à des compétences qu’il n’aurait sans doute jamais approchées dans un système plus linéaire. Ceux qui poncent le même build depuis dix ans n’apprécieront pas, mais qu’importe : contrairement à eux, Fallout 76 aspire à se réinventer.
Fallout 76 est une expérience courageuse. Il devrait être reçu comme tel. Certes, il délaisse l’esprit originel de la licence. Oui, il multiplie les défauts rageants car il n’était tout simplement pas prêt à sa sortie. Il n’en est pas moins audacieux, généreux et prenant comme un vrai Fallout.