On est le 21 juillet – jour férié en Belgique – et, depuis Bruxelles, je me rends dans une contrée bien lointaine de la Flandre-Occidentale pour m’immerger dans le monde de la musique country. À mon arrivée à Bredene, trois marshals protègent l’entrée de la terre promise ; ils lâchent un sourire de bienvenue et me laissent entrer. Je parviens ensuite à me frayer un chemin à travers le site, dans cet océan de chapeaux de cow-boys.
Je repère très vite une piste de danse sur laquelle une masse de gens dansent de manière effrénée.
Videos by VICE
Il y a de la musique country en live qui passe en continu ; je remarque qu’il y a une danse en ligne différente pour chaque chanson, et que tout le monde maîtrise parfaitement chaque pas. C’est assez impressionnant et beau de voir comment les gens se déplacent en harmonie. Il y a quelque chose d’apaisant à regarder ça, un peu comme regarder les vagues de la mer de Bredene quoi. J’ai l’impression d’avoir atterri dans la Mecque de la danse en ligne belge et ce n’est pas pour me déplaire.
Pour un peu reposer ses jambes après autant de danse, il y a pas mal de stands de boutiques country et western où l’on peut flâner. Les gens qui les tiennent sont principalement originaires d’Allemagne, comme le prouve l’affiche sur lequel est écrit en mauvais Néerlandais « Chapeaux en cuir : chaque chapeau en cuir sur cette table seulement 29 euros ».
Tout d’un coup une envie de posséder toute merch’ qui a un « thème loup » me gagne et je finis par acheter un pull oversize avec un loup qui hurle dessus. No regrets.
Quelques ballots de foin plus loin, je trouve une rangée de tentes qui représentent le mode de vie traditionnel de la fin du 19e siècle. Ici, pendant les deux jours du festival, les gens vivent réellement comme à cette époque. Le sens du détail est assez bluffant.
Dans l’une des tentes, j’aperçois Patricia, ou plutôt « Annie Ralston », son nom country. Tout en lavant le linge à la main dans une cuvette métallique, elle m’explique que dans ce monde, on peut choisir d’adopter une identité 100% country. Ça peut être un personnage fictif ou réel. Le plus important c’est d’étudier l’époque et la vie du personnage que vous avez choisi, pour qu’il soit historiquement correct.
Deputy Grey Eastwood (Johan de son vrai nom) me dit que c’est surtout le sentiment d’appartenance qui l’attire dans la culture country, une passion qu’il partage avec sa femme. Elle est aussi la marshal de leur club de danse en ligne.
Après de nombreuses discussions et danses en ligne, le soleil commence à se coucher à l’horizon ; il est temps d’attacher le cheval au poteau et de descendre le drapeau du Texas pour marquer la fin de la journée de festival. Mais d’abord, le traditionnel coup de canon est tiré. La détonation me fait tellement peur que pendant un instant, j’ai littéralement des petites étoiles texanes qui tournent autour de ma tête.
Je demande à Benjamin Franklin Terry (vrai nom : Tonny) ce que ça signifie. Il explique que le tir du canon est un hommage aux rebelles tombés pendant la guerre de Sécession (1861-1865). Les rebelles, c’était le nom qu’on donnait à ceux qui ont combattu pour les États confédérés (les 11 États du sud des États-Unis) ; ils se sont battus contre l’abolition de l’esclavage et donc contre les États du nord, appelés l’union ou les Yankees.
Lors de cet hommage rendu aux rebelles tombés au combat pour préserver l’esclavage, certaines questions me gagnent. L’hommage à cette époque est-il aussi innocent qu’il n’y paraît ? L’accent est mis sur la description du mode de vie des États confédérés, qui étaient donc, après tout, favorables à l’esclavage. Le drapeau confédéré est bien visible lors du festival. C’est là que j’ai un peu de mal. Je me demande si les personnes présentes sont bien conscientes de la signification de ce drapeau. Je pense qu’il faut être plus prudent·es dans l’utilisation d’un tel drapeau ; même si ces événements sont issus d’une époque révolue, les conséquences sont encore très tangibles aujourd’hui et il faut en tenir compte.
Est-il encore acceptable, à notre époque, de se voir octroyer une tribune pour célébrer un tel événement ? J’ai l’impression que la moralité entourant cette question n’est pas vraiment remise en question ici, alors qu’il faut, selon moi, faire preuve d’une certaine sensibilité à l’égard de l’histoire dégradante qui se cache derrière cette période. Est-ce que les visiteur·ses du festival sont conscient·es du racisme qui caractérise cette période ? Ou bien leurs intentions ne vont pas plus loin qu’un amusement simplet et une danse collective sur de la musique country ? Entre les deux, il y a une différence de taille qu’il ne faut pas prendre à la légère. Si le festival pouvait reconnaître de manière claire ces faits embarrassants, ce serait déjà considérable.
D’un côté, j’ai apprécié ma journée, j’ai été chaleureusement accueillie par tou·tes mes interlocuteur·ices et j’ai eu beaucoup de plaisir à discuter. Si je dois avouer que moi aussi, j’ai un grand amour pour la culture américaine, j’ai aussi du mal à accepter cette glorification d’une époque où le racisme et l’esclavage étaient la norme.
Je rentre chez moi avec des sentiments mitigés. Pendant le long trajet du retour, j’en arrive à la conclusion que je ne rejoindrai jamais un club de danse en ligne, mais quand Johnny Cash passe à la radio, je chantonnerai quand même avec lui.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.