Football : les fumigènes, lumières des stades en péril

L’Olympique de Marseille a débuté sa campagne de Ligue Europa hier face à l’Eintracht Francfort. Le match, qui s’est soldé par une défaite des Marseillais (1-2), s’est déroulé à huis clos, dans un stade Vélodrome vidé de ses supporters, conséquence des sanctions infligées par l’UEFA au club phocéen. En cause, l’utilisation de fumigènes contre Leipzig et Salzbourg la saison dernière.

En France, la question des engins pyrotechniques, et plus particulièrement des fumigènes, dans les stades de foot agite les décideurs. En premier lieu, Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF), qui déclarait en juin dernier : « Je demande à la Ligue, sinon la Fédération le fera, je vous donne ma parole d’honneur, de s’occuper sérieusement des affaires de sécurité. Je n’accepterai plus un seul fumigène. »

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Et la Ligue de football professionnel (LFP) applique les ordres. Depuis la reprise de la Ligue 1 (le 10 août dernier), la commission de discipline de la LFP charbonne, pied au plancher. Elle sanctionne les clubs dont les supporters utilisent des engins pyrotechniques. Et l’addition est douloureuse. On trouve pêle-mêle ; 15 000 euros d’amende pour les Girondins de Bordeaux après la réception de Caen ; 20 000 euros pour l’AS Saint-Étienne après le déplacement des Verts à Montpellier ; Caen et Nice ont également été sanctionnés pour les mêmes faits, d’une praline de 4 000 euros.

L’arsenal répressif est étendu. Quand ce n’est pas la commission de la LFP qui fait sa loi, la justice se charge d’appliquer la sienne. Les sanctions peuvent être collectives (interdiction de déplacement des supporters) ou individuelles. Selon l’article L332-8 du code du sport, « le fait d’introduire, de détenir ou de faire usage des fusées ou artifices de toute nature ou d’introduire sans motif légitime dans une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d’une manifestation sportive est puni de trois ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Interpellation, garde à vue, tribunal, les supporters qui tentent de faire entrer des fumis dans un stade, ou de les craquer, sont traités comme des délinquants. Aujourd’hui la situation apparaît bloquée et la multiplication des sanctions ne signifie pas pour autant la fin des fumigènes dans les tribunes françaises : « La politique répressive n’aboutit à rien, affirme Pierre, un des responsables des Red Tigers de Lens, il n’y en a jamais eu autant ».

Cette répression a même un revers : l’allumage est devenu, de fait, sauvage : « Il y a une augmentation des risques liés à l’allumage de fumigènes, éclaire « Skunk », un des responsables des Ultrasmarines bordelais. Ils ne sont pas dus à l’engin en lui-même, mais aux conditions dans lesquelles il est allumé. Le véritable danger pour moi, c’est l’allumage anarchique. »

Depuis leur apparition dans les stades italiens au milieu des années 1970, « les ultras ont systématisé l’usage des fumigènes au point d’en faire un symbole de leur style de supportérisme », explique le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste des tribunes. Dans tous les stades de l’Hexagone, les regards émerveillés sont comme absorbés par le spectacle lumineux qui émane des tribunes. Et, de toute évidence, si le foot est aujourd’hui le sport le plus populaire – doublé d’une machine à cash – c’est aussi grâce à l’ambiance orchestrée par les supporters. Le fumigène fait partie d’une culture, du folklore autant qu’il est là pour réchauffer la tribune.

Certains souvenirs sont d’ailleurs encore vivaces : le 19 novembre 2017, lors de Bordeaux-Marseille, les Ultrasmarines craquent plus de 100 fumigènes pour fêter leurs 30 ans ; le 15 mai 2010 pour leur dernier match avant le plan Leproux – face à Montpellier –, les ultras du virage Auteuil embrasent la tribune d’un rouge vermillon. Ces deux exemples montrent les différentes fonctions des fumigènes qui servent autant à participer à la vie et au bouillonnement des tribunes qu’à montrer son désaccord avec certaines décisions prises par la direction d’un club.

« À partir du mois de décembre, la question des fumigènes va être abordée » – James, porte-parole de l’Association nationale des supporters

La majorité des ultras ne considèrent pas les fumis comme une arme. Loin de là. Capo des ultras de la Populaire Sud de Nice, Biba acquiesce même : « Un fumigène lancé dans une tribune ou sur le terrain est dangereux, qu’il soit sanctionné n’a rien de choquant ». Dès lors, pourquoi un compromis pour une utilisation encadrée des fumigènes n’est-il pas possible ?

« À partir du mois de décembre, la question des fumigènes va être abordée par l’instance nationale du supportérisme, annonce James, porte-parole de l’ANS (Association nationale des supporters). Seront présents autour de la table, entre autres, la LFP, l’ANS, le ministère des Sports et plusieurs associations de supporters – de différents sports. « On a déjà eu une réunion avec la LFP pour débroussailler le terrain et commencer les discussions sans a priori », poursuit James. Le fumigène froid pourrait être une solution, au même titre qu’un espace réservé au craquage ou une formation destiné à bien appréhender le fumigène.

La question est brûlante et met en tout cas les clubs dans une position inconfortable. « Les clubs sont tiraillés entre les sanctions de la commission de discipline de la LFP et leurs supporters, prévient Nicolas Hourcade. D’autant plus que les tribunes à huis clos donnent une image désastreuse du football français ». Une image désastreuse couplée à une certaine hypocrisie. Les tribunes, les tifos et les fumis sont aussi de solides outils marketing pour les diffuseurs qui n’hésitent pas à les mettre en avant dans leurs différentes campagnes.