La pochette de Freddy’s Greatest Hits, compilation parodico-infernale sortie en 1987 pour capitaliser sur le succès du personnage
Plus de vingt ans après son final orchestré par son propre initiateur, Wes Craven (on ne prendra pas en compte Freddy contre Jason ni le triste remake de 2010), la franchise a toujours de quoi intriguer les plus fiévreux cinéphiles. Nid à jeunes talents (Johnny Depp, Patricia Arquette) basé sur un concept aussi original que débridé (tous les meurtres ont lieu pendant les rêves des victimes), les pérégrinations sadiques de Robert Englund ont accompagné les années 80 et témoigné de l’évolution d’une certaine jeunesse, celle des banlieues pavillonnaires américaines tranquilles et proprettes, dans le cinéma d’épouvante. Mais au-delà de ces thématiques, c’est aussi la patte artistique et sa force artisanale qui frappent lorsqu’on revisionne les films de la série. Entre trucages inventifs et barrés, décors et maquillages fignolés, et musique sans cesse renouvelée, on obtient une brève synthèse de ce qui faisait tourner le cinéma d’horreur américain de 1984 jusqu’au début des années 90. Ainsi, presque chacun des films fit appel à des réalisateurs, scénaristes et compositeurs différents. Un véritable banc d’essai pour de nombreux artistes.
Videos by VICE
Et c’est à la fois l’une des forces mais aussi une des grandes faiblesses de la franchise : la singularité derrière chaque long-métrage accentue le côté hétéroclite et inégale de l’ensemble. Côté bandes originales, on retrouve au fil des chapitres de jeunes compositeurs et groupes symboles de la veine musicale de l’époque. La franchise s’appliqua à offrir leurs premiers faits d’armes à de jeunes artistes audacieux mais aussi joyeusement excités, insufflant une folie, voir une véritable anarchie dans leur production et prouvant plus que jamais que le cinéma d’horreur restait un terrain de jeu parfait pour se hasarder et expérimenter. Un état d’esprit particulier qui se reflète dans des B.O. souvent réussies, parfois bancales ou bêtement calibrées. L’évolution du show fut mouvementée et difficile d’imaginer à la découverte du premier Freddy, véritable film d’horreur accompagné par la musique de Charles Bernstein, que le quatrième opus serait une pantalonnade infernale rythmée par un morceau des Fat Boys.
Les Griffes de la nuit (1984)
Si le thème principal des Griffes de la Nuit a été maintes fois évoqué, on en sait moins sur son compositeur, Charles Bernstein, qui a écumé les redneck movies dans les années 70 (Les Bootleggers, Gator) avant de connaître la renommée dans les années 80 avec les B.O. de L’Emprise et Cujo. Pragmatiques, ses compositions sont souvent en accord avec les films abordés et menées par un thème musical répondant précisément aux attentes du réalisateur. Comme ce fut le cas pour Les Griffes de la nuit. « C’est un film sur les jeunes, a déclaré Bernstein. Il y a des scènes à l’école. Il y a une relation parent/enfant. En outre, vous avez un personnage principal qui est une femme et un méchant principal, Freddy Krueger, qui représente le film. Il y a également cette comptine : ‘One, two, Freddy’s coming for you…’. Ma musique devait parvenir à créer ce monde, s’inspirer de cette comptine et aussi tenter de capturer la saveur du personnage principal qui finit par affronter le méchant. Voilà à quoi mon esprit réfléchissait lors de la composition. » Pour autant, la bande originale des Griffes de la nuit ne se désolidarise pas des courants musicaux de l’époque, avec son approche pop et ses synthés bien placés. Charles Bernstein symbolisera le genre dans les années 80 puis disparaîtra quelque peu la décennie suivante, avant que le fossoyeur du bis, Quentin Tarantino, ne le fasse revivre avec Kill Bill et Inglourious Basterds, en reprenant notamment le très efficace thème principal de L’Emprise de Sidney J. Furie.
La Revanche de Freddy (1985)
À peine un an après la sortie et le succès du premier film, New Line lance en quatrième vitesse un nouveau volet. Si la plupart des auteurs du film, du réalisateur aux producteurs, reconnaissent aujourd’hui les faiblesses du script signé David Chaskin, ils avaient en revanche très bien compris avec ce nouveau film la nécessité de tout miser sur le personnage de Freddy, croque-mitaine superstar et manne financière en devenir. À la musique, Christopher Young signe sa première bande originale pour un film à succès après être passé par les bancs de l’école Roger Corman. Ce dernier plébiscita le talent du jeune compositeur et sa capacité à créer des orchestrations XXL pour un budget dérisoire. « Ce qui prouve que vous avez fait un bon travail pour Roger Corman, ce n’est pas le fait qu’il utilise votre score, puisqu’il sera utilisé dans tous les cas, mais de constater que quatre autres films de la firme réemploieront cette musique par la suite » ironise Christopher Young.
L’influence de Jerry Goldsmith, tout comme celle de Bernard Herrmann, se font ressentir chez le compositeur qui confesse cependant ne pas être un grand fan des Freddy, se décrivant davantage comme client des histoires de maisons hantées que des slashers. Il deviendra néanmoins l’un des compositeurs phares du genre signant, entre autres, les B.O. de L’Invasion vient de Mars de Tobe Hooper, La Part des ténèbres de Romero ou plus récemment Jusqu’en enfer de Sam Raimi. Ce deuxième Freddy sera accueilli assez froidement par les critiques et ses compositions passeront, de fait, quelque peu inaperçues – contrairement à l’aspect homo-érotique du film, dont les principaux auteurs disent ne pas avoir eu conscience à l’époque. Et pourtant, certains vont même jusquà parler aujourd’hui du premier film d’épouvante ouvertement gay.
Les Griffes du cauchemar (1987)
Après le semi-échec du deuxième film, Les Griffes du cauchemar revient aux fondements du mythe et reprend les choses là où Les Griffes De La Nuit les avait laissées. Le script est élaboré à quatre mains, réunissant Wes Craven et les jeunes Chuck Russell (également réalisateur du métrage en question), Frank Darabont (futur réalisateur des Évadés, La Ligne Verte et The Mist) et Bruce Wagner, nouveau chouchou de David Cronenberg. L’omniprésence des rêves est rétablie, tout comme la décision de revenir vers un premier rôle féminin et des décors surréalistes. La production convoque pour la partition Angelo Badalamenti qui vient tout juste de sortir de l’expérience Blue Velvet avec David Lynch, qu’il retrouvera tout au long de sa carrière, notamment sur Sailor & Lula, Lost Highway et Mulholland Drive.
Mais l’aspect le plus irréel de cette B.O. reste sans doute la présence du groupe de heavy metal Dokken avec le titre « Dream Warriors », pour lequel un clip est réalisé. Son guitariste, George Lynch, évoque le tournage en insistant particulièrement sur la consommation de drogue : « Ils ont construit des décors pour la vidéo. Nous étions dans les loges. Nous étions supposé être prêts, Freddy était complètement maquillé. Il était donc identique à ce à quoi il ressemble dans Les Griffes de la nuit. C’était bizarre d’être assis à discuter avec ce type qui ressemble à qui vous savez. Il avait ses gants avec des lames et nous étions en train de prendre de la cocaïne. Il utilisait ses lames pour servir de la coc’ à tout le monde. Le gant à la main. C’était surréaliste. Je veux dire, c’était il y a longtemps et tout le monde le faisait à l’époque, mais c’est une histoire vraie. »
Le Cauchemar de Freddy (1988)
En faisant débarquer Renny Harlin quelques mois avant le début du tournage (un habitué, il refera le coup sur le re-tournage express de L’Exorciste : au commencement en 2004 suite au rejet par les studios de la version signée Paul Schrader), la série allait perdre ce qui lui restait de finesse et de réflexion. Scénarisé de toutes parts par des membres de New Line, alors en pleine expansion, le script se révèle complètement foireux mais permet au bourrin finlandais la mise en scène d’un bordel insensé. Freddy n’est plus qu’une icône publicitaire qui balance des répliques face caméra, les ados sont devenus des clichés ambulants (sportifs, nerds, crétins), loin des caractérisations parfois ambiguës des précédents volets.
Et ce n’est pas la lourdeur du score de Craig Safan qui améliore les choses, compositeur discret qui aura néanmoins travaillé sur Le Solitaire de Michael Mann. Jamais aussi délirante et imaginative que les effets à l’écran (on peux accorder ça au film), sa musique s’efface rapidement derrière le défilé d’images cartoonesques. Cette dose de fun, on ne la retrouve qu’avec les morceaux des Sea Hags et de The Angels, convoqués suite au succès de Dokken sur le film précédent. Mais la plus grosse surprise reste évidemment le morceau « Are you ready for Freddy ? » des Fat Boys en featuring avec Robert Englund. Un morceau de choix et un clip qu’il ne faut pas oublier.
L’Enfant du cauchemar (1989)
L’enfant du cauchemar, cinquième volet, dévoile l’idée la plus absurde de la franchise : faire revivre Freddy à travers les rêves d’un fœtus en pleine gestation. Stephen Hopkins, qui un an après se retrouvera à la réalisation de Predator 2, est à la réal. Le ton change, l’ambiance et le personnage de Freddy redeviennent horrifiques mais le scénario est bien trop tordu. On a malgré tout droit au lot habituel de passages rocambolesques, comme l’accouchement d’un nouveau-né ultra-hargneux, une scène de repas familial qui se termine par un impressionnant œdème facial, Freddy Krueger en personnage de bande dessinée…
Cette fois-ci, aucun compositeur à proprement parler pour la B.O., mais deux musiciens. Le premier, Jay Ferguson, qui après avoir œuvré au sein des groupes Spirit et Jo Jo Gunne dans les années 70 décide de se lancer dans la musique de films et se fait remarquer avec son morceau « Pictures of You » pour Terminator. Le second n’est autre que Bruce Dickinson, chanteur d’Iron Maiden, qui connaît mieux que personne les univers dépeints dans la franchise. À tel point que Bruce semble avoir pris un peu trop au sérieux l’affaire : « J’ai essayé de résumer ce que les Freddy représentaient vraiment : la peur adolescente des douleurs menstruelles. Voilà ce que je trouve profond. Quand une jeune fille a ses règles, elle saigne et ça se passe la nuit. Elle a donc peur d’aller dormir, et c’est une période terrifiante pour sa sexualité. La véritable boucherie dans les films Freddy, c’est quand elle perd sa virginité. » Quand le morceau ressortira la même année sur l’album No Prayer for the Dying, il deviendra l’unique single d’Iron Maiden à se classer numéro un en Grande-Bretagne. Merci Freddy !
La Fin de Freddy : l’ultime cauchemar (1991)
La Fin de Freddy : l’ultime cauchemar est réalisé par Rachel Talalay, présente sur tous les fronts de la saga, du premier opus où elle était comptable à New Line, aux suivants, dont elle fut productrice, aux cotés de son mari. Après être partie rejoindre John Waters sur Cry Baby alors même que se tournait L’Enfant du cauchemar, elle décide de revenir vers le boogeyman au pull rayé en s’essayant à la réalisation avec ce qui devait censément être le point final de la franchise. Parmi les nouveaux délires visuels, le film comporte une séquence expressément prévue pour la 3D, les lunettes en carton intervenant au cours du dernier acte pour interagir avec le récit lui-même. À revoir absolument pour le bordel à l’écran.
Niveau partition, on fait appel à Brian May. Compositeur australien connu pour son travail sur les deux premiers Mad Max, il commence à bosser sur des films américains dès 1987 avec Riposte Immédiate. Loin d’être l’un de ses travaux les plus marquants, sa collaboration sur L’Ultime cauchemar marquera aussi la quasi-fin de sa carrière puisqu’il décédera deux ans plus tard, après avoir composé le bigrement débile Dr. Rictus. Iggy Pop participe lui aussi à l’aventure avec son titre « Why Was I Born? (Freddy’s Dead) », dans lequel il débite d’une voix lancinante « Don’t you fuck with me » à plusieurs reprises avant de conclure le morceau par « You think Freddy’s dead ? You really think Freddy’s dead ? » Il faudra attendre trois ans pour avoir la réponse.
Freddy sort de la nuit (1994)
Poussé par les attentes du public et l’idée de relancer la série, New Line met en chantier un septième épisode. Difficilement exploitable suite à L’Ultime cauchemar, cette résurrection est justifiée par le retour de Wes Craven derrière la caméra, qui avoue avoir saisi l’occasion pour terminer la série sur une approche originale et, accessoirement, percevoir un joli salaire. Comme souvent avec le cinéaste, l’idée, ici celle de Freddy qui s’incruste sur le tournage du dit-film, est ingénieuse mais jamais suffisamment exploitée. À la musique, un fidèle associé de New Line en la personne de J. Peter Robinson, qui vient de travailler sur trois films avec Jackie Chan produits par la firme. Il collaborera par la suite avec Wes Craven sur L’Ultime cauchemar, donc, mais aussi Un Vampire à Brooklyn, le programme Nightmare Cafe et la production Acrophobie. En accord avec les intentions du réalisateur, la partition se veut plus consensuelle, s’accordant à l’esprit du film, à savoir un contre-pied total au reste de la franchise. Efficace et ponctuée par des envolées épiques, la bande originale offre aussi une ré-actualisation du thème principal de Charles Bernstein dans une version parodique, presque sériesque. Un choix finalement adéquat pour un dernier levé de rideau qui alterne entre horreur, parodie et approche méta-discursive.
Nicolas Milin est sur Twitter.