Fuir Rakka — Avec ceux qui ont échappé à l’enfer de l’EI

Alors que les combats font toujours rage à Mossoul en Irak, un autre fief de l’organisation État islamique — Rakka en Syrie, la capitale de facto de l’EI — est aussi la cible d’une offensive visant à libérer la ville. Le 4 novembre 2016, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), une coalition regroupant des kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et des arabes issus de la Brigade des Révolutionnaires de Rakka, ont déclaré le début de la libération de Rakka par le nord.

Baptisée « Colère de l’Euphrate », cette opération de libération progresse lentement, les FDS cherchant tout d’abord à encercler Rakka avec le « soutien de plus en plus appuyé de la coalition qui assure une couverture aérienne à la progression de nos forces », ont indiqué les FDS dans un communiqué diffusé au début du mois de février.

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À la tête de cette opération de grande envergure, forte de près de 45 000 combattants, on trouve une jeune femme de 35 ans, Rojda Felat. « L’organisation EI terrorise notre peuple dans cette ville, torture les civils, les femmes, les personnes âgées et utilise ces personnes comme boucliers humains » explique Felat à VICE News. « L’EI enlève nos enfants pour les contraindre à rejoindre ses rangs et à combattre pour son idéologie. »

Des membres des Forces démocratiques syriennes (FDS) non loin de Rakka, en Syrie. (Photo de Massoud Hamid/VICE News)

Si la reprise de Rakka n’est pas encore effective, des civils parviennent à fuir la ville. Felat estime que depuis le début de leur offensive plus de 8 000 civils ont rejoint la zone tenue par les FDS à l’extérieur de Rakka. « On va essayer avec tous nos camarades de les protéger, car l’EI utilise toujours les attentats-suicides parmi les civils. Nous essayons également de nettoyer les terrains parce qu’il y a des mines partout. Les civils nous ont aussi confirmé que l’EI utilise les civils comme boucliers humains. »

Âgé de 21 ans, Jasime Al-Mouhammed, a fui Rakka et est arrivé dans la zone tenue par les FDS avec sa mère, ses frères et ses sœurs, deux jours avant notre rencontre. « On n’avait pas le droit de vivre comme des êtres humains, on ne pouvait pas sortir de la maison. J’ai perdu mes études et mon travail », raconte Jasime. « L’EI nous obligeait à apprendre son enseignement satanique par la force, il coupait les têtes si on ne le faisait pas. Je fumais le narguilé quand ils ont attaqué notre maison, ils ont cassé le narguilé sur ma tête. On était obligé de s’habiller comme eux, ils nous interdisaient de raser notre barbe. On n’avait pas le droit de quitter la ville, sauf si on était proche de l’EI. »

Des civils qui ont réussi à fuir Rakka et l’EI pour rejoindre la zone tenue par les FDS. (Photo de Massoud Hamid/VICE News)

Les femmes sont les plus grandes victimes de l’EI, nous explique-t-on dans cette zone sécurisée par les FDS. Ibtissame Al-Arnousse, une femme de 36 ans de la ville de Rakka, est retournée chez elle avec son mari et son fils après la libération de sa région par les FDS. « On craignait la mort chaque minute, on vivait dans l’intimidation et dans l’angoisse. Nous vivions comme des fantômes. Ils interdisaient l’école pour nos enfants, les beaux habits, il fallait qu’on soit comme eux. On ne pouvait pas sortir de notre maison, on avait peur si on sortait sans burka. Un jour, ils ont vu ma voisine sans burka, ils ont obligé le mari à flageller sa femme devant tout le monde. Cette dame est tombée malade à cause de cela et quelques mois plus tard, elle en est morte. »

Sous le contrôle de l’EI, le seul commerce florissant à Rakka est celui des voitures — après celui du pétrole. Si le marché des voitures fonctionne bien, c’est parce que certains ont pu acheter des véhicules à bas coût, qui viennent de Turquie, et les revendre plus cher par la suite. Ceux qui ne peuvent pas se lancer dans le business des voitures choisissent d’autres voies : ils deviennent soit pêcheurs ou alors ils importent du matériel de communication pour que les civils à Rakka puissent communiquer avec leurs familles dans d’autres régions ou hors du pays.

Un enfant qui a fui Rakka. (Photo de Massoud Hamid/VICE News)

« Notre vie là-bas est comme un film d’horreur, » nous explique Yasser Moustapha, un homme de 32 ans qui a fui avec sa famille. « On ne sait pas à quel moment on aura une sanction, on nous condamne à mort et on nous exécute sur une place publique. Ils nous interdisent tous les droits simples de la vie. Ils nous accusent d’être des athées alors que nous sommes des musulmans. Dans notre religion, il n’y a pas d’idéologie comme celle-là. L’islam ne dit pas de tuer des humains ni d’utiliser la violence. »

Au check-point de Til Al-Samin où les civils arrivent, des milliers de citoyens attendent pour être contrôlés par les FDS et pouvoir rentrer dans la zone sécurisée. Nassir Al-Obied arrive avec toute sa famille et ses petits-enfants. Il pleure. « Je ne crois pas qu’on ait fait quelque chose de grave au point que Dieu nous ait envoyé ces terroristes. Chaque jour, je pensais perdre l’un de mes enfants ou de mes petits-enfants. J’ai eu très peur pour ma famille. Je n’ai pas envoyé mes enfants à l’école, car c’est devenu un lieu d’entraînement. Ils entrent dans les écoles, surtout dans les classes des filles, et leur proposent le mariage avec des combattants étrangers, parfois avec la force. S’ils voient une jolie fille, ils l’emmènent. »

Nassir continue, les yeux plein de larmes. « J’interdisais à mes enfants de sortir de la maison et d’aller au marché. À cause de l’EI on a perdu beaucoup d’enfants, on n’arrivait pas à avoir du lait ni de bons traitements, c’était trop cher. Maintenant, je suis heureux d’être ici avec ma famille. »


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