procès père couteau
Illustration de Benjamin Tejero
Société

Au procès du jeune émo qui a planté son père

Au milieu de la nuit, Aymeric s'est rué sur son père et lui a enfoncé un couteau de cuisine dans la jugulaire. Son geste demeure inexpliqué.
Keuj
par Keuj

Deux journées d’échanges n’ont pas suffi. Ni pour percer le mystère entourant sa tentative de meurtre, ni pour voir distinctement son visage, dissimulé en permanence par de longs cheveux noirs. Aymeric* a 24 ans, une silhouette grêle et une passion pour l'histoire médiévale remontant à l’enfance.

Sa vie n’a pas beaucoup bougé depuis qu’il a stoppé le lycée pro avant la fin de sa terminale. Lors d’un stage effectué dans une mairie, il a laissé le souvenir d’un garçon extrêmement discret, refusant d’utiliser le téléphone et trompant l’ennui en dessinant des épées sur son bras. Comme d’autres mordus, Aymeric a fini par s’acheter un sabre décoratif, en marge d’une visite de la forêt de Brocéliande.

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Ce Katana, il l’a soigneusement disposé sur son lit dans la nuit du 3 au 4 novembre 2020. Sur les courtes vidéos extraites de son téléphone par les gendarmes, on distingue également les 19 cm de la lame d’un couteau de cuisine. Les deux armes sont couvertes de sang, comme les avant-bras d’Aymeric.

Vers 3 h, après une soirée passée à ruminer et jouer à Warcraft, Aymeric est subitement entré dans une « rage destructrice ». Sans un mot, il a déboulé dans la chambre de son père, qui dormait sur le dos, et s’est jeté sur le lit pour le frapper une dizaine de fois avec ses poings recouverts de gants coqués. Aymeric est ensuite allé chercher le Katana pour une seconde attaque : cinq à six coups cette fois-ci, au niveau du torse et de la tête.

Aymeric s’est ensuite déplacé jusqu’à la cuisine et a saisi « le plus long couteau du pot » avant de revenir dans la chambre pour porter « quelques coups ».

Si Aymeric s’était arrêté là, il n’aurait pas fait 20 mois de détention provisoire avant de comparaître devant la cour d’assises de Nantes, ce 26 juin 2022. Problème, Aymeric s’est ensuite déplacé jusqu’à la cuisine et a saisi « le plus long couteau du pot » avant de revenir dans la chambre pour porter « quelques coups », de manière « aléatoire » selon lui.

Une frappe unique, celle qui s’est logée au niveau de la veine jugulaire, déclarera son père en audition. S’étant réfugié dans la salle de bain, celui-ci s'est assuré à travers la porte verrouillée que son fils ne voulait plus le frapper et a ouvert. La bouche pleine d’excuses et les yeux plein de larmes, Aymeric a pris son père dans les bras, lui a dit qu’il l’aimait puis l’a aidé à soigner ses plaies.

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Le raffut, semblable aux coups de raquette dans une balle de tennis dira-t-il, a réveillé un voisin de l’immeuble. C’est lui qui a composé le 17. A leur arrivée, les gendarmes se font ouvrir par Aymeric, « stoïque ». Les pompiers interviennent à leur tour et prennent en charge le blessé. Près du lit, ils découvrent un bout de cartilage. Lors de la première scène de violences, Aymeric s’est fait ceinturer par son père. Les mains bloquées, il l’a mordu à l’oreille avant d’en recracher un morceau.

Rapidement tiré d’affaire après son opération de la gorge, celui-ci a raconté aux gendarmes qu’il s’était « vu mourir tellement il y avait de la haine dans ses yeux ». Pour autant, il a refusé de déposer plainte. Il a même rédigé une lettre à l’attention de son fils, qui démarre par cette phrase : « Avant toute chose, il faut que tu saches que tu as été pardonné le jour-même ».

Le père d’Aymeric est mort trois mois après les faits des suites d’un cancer. Personne ne s’est constituée partie civile pour lui au procès et personne n’était au courant de sa maladie.

Cette grâce spontanée, la présidente Karine Laborde aurait aimé pouvoir la questionner au procès. Mais le banc des victimes est vide. Le père d’Aymeric est mort trois mois après les faits des suites d’un cancer. Personne ne s’est constituée partie civile pour lui au procès et personne n’était au courant de sa maladie.

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À la barre, le grand frère d’Aymeric est interrogé sur ce décès. « J’ai ressenti de la tristesse mais aussi un soulagement », répond-t-il. Qu’a pu bien faire cet homme pour susciter l’indifférence du fils aîné et provoquer la furie du cadet dont l’unique précédent était d’avoir saisi par le cou un gamin chambreur au collège ?

Rien de spécial selon Aymeric, qui décrit un père à la fois pessimiste et émotif, « assez prompt à la colère », mais jamais brutal. Ni avec ses deux gars ni avec sa femme, qui a divorcé pour incompatibilité d’humeur. Invitée à témoigner, elle confie que ce n’est pas la violence en tant que telle qui l’a surprise mais les moyens employés.

« Aymeric peut contenir tellement de sentiments », relève-t-elle avant de fondre en larmes quand Karine Laborde lui rappelle que la chaire de sa chaire encourt la perpétuité pour tentative de meurtre sur ascendant, et pas dix ans comme elle le croyait. L’huissier lui tend un paquet de mouchoirs, un verre d’eau et lui propose de s’asseoir. Elle accepte.

À la maison d’arrêt de Carquefou, Aymeric ne sort pratiquement pas de sa cellule. Un rapport le concernant a fait état d’une « incapacité à rester en groupe ».

Des larmes, Aymeric en verse aussi quand est évoqué le divorce de ses parents, alors qu’il avait 13 ans. Une épreuve qui a accentué son côté sombre et introverti puis a renforcé son isolement. « J’ai jamais vraiment eu d’amis et j’en ai jamais vraiment souhaité, je préfère être tout seul, c’est mon comportement », renseigne-t-il. À la maison d’arrêt de Carquefou, il ne sort pratiquement pas de sa cellule. Un rapport le concernant a fait état d’une « incapacité à rester en groupe ».

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Jusqu’au 3 novembre 2020, Aymeric enfourchait son scooter chaque week-end pour rejoindre sa mère avant de revenir passer la semaine avec son père. Dans le trois pièces de la Montagne, au sud de Nantes, s’est dessinée une existence en miroir : le père sans emploi, devant sa télé, buvant avec excès. Le fils sans formation, devant son ordinateur, accro aux jeux vidéo.

« Des fois, y'avait des échanges. Des fois, y’en avait pas », rembobine Aymeric, dont le mobile n’est jamais apparu clairement. Lors de sa garde à vue, il a expliqué ses violences par le fait que son père ne l’avait jamais aimé comme il avait aimé son grand frère. Plus tard, il a parlé de la soufflante reçue quelques jours plus tôt après avoir emprunté en cachette la CB de son père pour s’acheter un nouvel ordinateur. La seule constante dans toutes ses déclarations est qu’il n’a jamais cherché à tuer. 

Son avocat, Me Samy Robert, plaide dans ce sens une requalification en violences volontaires en insistant sur les zones d’ombres de l’affaire. « Il y a sûrement des choses que nous ne saurons jamais ».

Au cours de l’instruction, le magistrat chargé de l’affaire a cru tenir une piste en découvrant qu’Aymeric, son frère et sa mère avaient tous une sorte de carte dessinée à l’intérieur du poignet. Des tatouages représentant un cœur pour la mère, un trèfle pour le fils aîné et un pic pour Aymeric. Son silence sur le sujet a douché les espoirs du juge de débusquer un pacte secret entre ces trois-là contre le père, non tatoué.

Alors que l’avocate générale, pour qui la tentative de meurtre ne faisait aucun doute, avait requis 15 ans, Aymeric a finalement été condamné à une peine de douze années de réclusion criminelle. Le procès en appel, dont la date n’est pas encore connue, permettra peut-être de faire la lumière sur les vraies raisons qui ont conduit à cette sanglante nuit.

*Le prénom a été modifié

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