À peine plus de 24 heures après que le conducteur d’une camionnette a renversé des piétons et cyclistes à New York, tuant huit personnes sur son passage, les États-Unis bruissent de polémiques liées aux règles nationales d’immigration. À ce jeu-là, Donald Trump a déjà trouvé le parfait bouc émissaire : la loterie de cartes vertes.
En effet, l’auteur de l’attaque, Sayfullo Saipov, immigré ouzbek de 29 ans, n’a pu rentrer sur le territoire étasunien qu’après avoir remporté cette loterie un peu spéciale, organisée par le département d’État . « Dès aujourd’hui, je fais tout pour mettre un terme à la loterie des cartes vertes », a déclaré Donald Trump à des journalistes présent à la Maison Blanche ce mercredi. « Je vais demander au Congrès de supprimer ce programme. Une loterie de cartes vertes, ça sonne bien, ça a l’air sympa, mais ce n’est tout simplement pas bien. Ça ne l’a jamais été. Je suis contre ce principe. »
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Plus tôt ce même mercredi, Trump avait attaqué la loterie via une volée de tweets incendiaires, mettant directement en cause Chuck Schumer, sénateur démocrate accusé d’être responsable du vote de l’Immigration Act de 1990, ayant abouti à l’instauration de la loterie. Pourtant, à cette époque, Schumer – alors membre de la Chambre des représentants – n’était qu’un parlementaire parmi d’autres à avoir porté une loi ayant reçu le soutien de nombreux parlementaires républicains. Tout porte à croire que l’exposition de Schumer – aujourd’hui chef des sénateurs démocrates – a poussé Donald Trump à le critiquer violemment.
Quoi qu’il en soit, ce programme n’est qu’une partie infime du système migratoire américain – 5 % des immigrés légaux entrent aux États-Unis grâce à la loterie –, octroyant 50 000 cartes vertes à des ressortissants de pays comme l’Ouzbékistan, peu représentés aux États-Unis. En 2015, 9,3 millions de personnes ont participé à cette loterie qui, bien que confidentielle quantitativement, est régulièrement sous le feu des critiques.
Depuis l’attaque de New York, Donald Trump et d’autres Républicains cherchent à se débarrasser de la loterie pour la remplacer par une sélection « au mérite » de travailleurs obligatoirement anglophones. Faire le lien entre ce programme et l’attentat semble être la stratégie adoptée par le locataire de la Maison Blanche pour parvenir à ses fins, alors qu’il s’agit de la seconde fois qu’une attaque mortelle est attribuée à un détenteur de carte verte l’ayant obtenue grâce à la loterie – la première s’étant produite dans l’aéroport international de Los Angeles en 2002, quand l’Égyptien Hesham Mohamed Hadayey a abattu deux personnes.
David Bier, analyste au sein d’un think tank libertarien, reste sceptique face à ces annonces. Ce spécialiste met en avant le fait que l’Ouzbékistan n’a jamais été considéré comme un « havre à terroristes » par l’administration Trump – d’ailleurs, le pays ne faisait pas partie de la liste des États musulmans « bannis » par les États-Unis quelques jours après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. De fait, les pouvoirs publics n’avaient semble-t-il jamais eu dans le viseur la république d’Asie centrale.
Les considérations sécuritaires des détracteurs de la loterie de cartes vertes s’accompagnent régulièrement d’une rhétorique portant sur la défense des travailleurs américains. Le sénateur Tom Cotton, membre du parti républicain, avait défendu il y a quelques mois une proposition de loi visant à supprimer le système de la loterie pour protéger les ouvriers. « La plupart des gens qui entrent dans notre pays grâce à la loterie le font parce qu’ils cherchent à se rapprocher de leurs proches, avait-il affirmé à Fox News. Il est évident qu’ils ne possèdent pas les compétences dont notre économie a actuellement besoin. » Les candidats à la loterie de cartes vertes se doivent tout de même de prouver qu’ils ont mené à bien des études secondaires, et qu’ils possèdent une expérience professionnelle de deux ans dans un domaine spécifique – et ils sont obligatoirement questionnés par les autorités, qui exigent la communication de leur dossier médical en amont d’une entrée sur le sol américain.
Dans ce débat, ce qui se joue est peut-être une certaine vision de l’immigration en Amérique. « C’est une question de justice. Aucun pays dans le monde ne devrait se voir refuser l’accès au rêve américain », a déclaré au Guardian Brian Donnelly, parlementaire américain de 1979 à 1993. « Une loterie est le moyen le plus juste, sans aucun favoritisme. Nous ne devons jamais nous éloigner de notre tradition d’accueil, aveugle à la richesse ou à la pauvreté des individus. »