Nous nous rendons dans les banlieues nord de Liverpool, non loin de Croxteth, là où Rhys Jones, 11 ans, a été accidentellement abattu en 2007 par Sean Mercer, 16 ans. C’est la violente rivalité entre le Croxteth Crew et le Strand Gang du quartier voisin de Norris Green qui a mené à la mort de ce gamin. Je suis en voiture avec Paul Walmsley, ancien membre d’un gang, l’un des escrocs les plus recherchés des années 2000, et Grace Robinson, criminologue. Nous sommes là parce que la criminalité, qui était en baisse depuis la mort de Rhys, explose une nouvelle fois. La semaine dernière, quatre fusillades ont eu lieu en l’espace de sept jours, prenant de court les autorités et laissant les riverains dans l’attente du prochain écho d’un coup de feu. Plus inquiétant encore, la majorité de ces crimes implique des personnes très jeunes.
Tandis que nous entrons dans Norris Green, le quartier dans lequel a grandi Paul Walmsley, nous apercevons un groupe assis sur un mur. Paul reconnaît l’un d’entre eux – on m’apprend par la suite qu’il s’agit d’un des gangsters les plus meurtriers de Liverpool, et que les mecs qui l’accompagnent sont des figures majeures des gangs locaux – et nous nous arrêtons le temps d’une petite discussion. Le plus jeune ne connaît pas Paul ; nous aurions eu de gros problèmes si ce dernier n’avait pas de lien avec un des anciens du groupe. Une voiture tourne autour du pâté de maisons en nous surveillant. Malgré une régénération partielle et une répression menée par la brigade antigang de la police du Merseyside depuis la mort de Rhys, Norris Green reste instable, au point d’être une zone de non-droit pour la plupart des inconnus et des policiers qui y patrouillent à pied.
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Grace Robinson m’a expliqué un peu plus tôt que si Norris Green et Croxteth ne sont plus considérés comme des points chauds de la criminalité, c’est parce que le problème s’est déplacé dans des quartiers encore plus défavorisés, dont Bootle, Kirkby et Fazakerley. Selon elle, il existe une nouvelle génération de jeunes délinquants de rue. Souvent recrutés par des criminels plus âgés, ils ont la réputation d’être plus radicaux que leurs aînés dans leurs tentatives d’effrayer leurs rivaux. Quand Sean Mercer a abattu Rhys Jones dix ans auparavant, il était équipé d’un revolver de la Seconde Guerre mondiale et d’un VTT. Les gangs d’aujourd’hui se déplacent à moto ou en quad. Ils mitraillent des maisons et déposent des cocktails Molotov dans les boîtes aux lettres.
Je demande à l’un des types assis sur le mur – qui, à 25 ans, a remarqué l’évolution – pourquoi, selon lui, la guerre des gangs explose à nouveau en ce moment, alors qu’il y a un an à peine, la police semblait la contenir. « Les jeunes d’aujourd’hui sont tarés. Ils se foutent de tout. Ils n’ont pas peur et obtiennent des armes facilement. Ils ne vont pas à l’école et ne gagnent pas d’argent, à part en vendant un peu de weed. Leur mère est toxico ou alcoolique, leur père est en prison pour meurtre ou est mort. Ces fusillades, ce n’est pas pour l’argent ou la drogue. Ils n’ont rien à perdre – le respect est la seule chose qu’ils veulent gagner. »
Pour les membres de gangs désireux de prouver quelque chose, les armes à feu et les motos sont un moyen efficace de répandre la terreur et causer des dommages graves avant de s’enfuir rapidement. La police admet que la disponibilité accrue d’armes puissantes dans les rues de Liverpool est un problème majeur.
Denis Moran, policier retraité, anciennement rattaché à la brigade antigang, m’a expliqué que les adolescents, qui sont souvent envoyés à la campagne afin de vendre de la drogue, volent également des armes à feu sur commande : « Beaucoup de jeunes garçons partent dealer de la drogue dans le Cheshire, le Cumbria et le Shropshire, et ils sont chargés de voler des armes à feu pour les utiliser dans les rues de la ville ».
Il avance que les armes à feu utilisées par les fermiers sont volées dans les fermes pendant que les propriétaires labourent les terres. Selon lui, la plupart des fusillades qui éclatent au sein des quartiers sont liées à des dettes et des disputes concernant le commerce lucratif du cannabis.
Pour approfondir cela, il est essentiel de rentrer dans la tête de ces gamins.
Grace Robinson, qui mène des recherches sur les gangs et la violence juvénile à l’université Edge Hill à Liverpool, a passé de nombreuses heures à discuter avec les jeunes délinquants des banlieues – presque entièrement blanches – du nord de la ville. Derrière la bravade, les vestes noires North Face et les coupes de cheveux en bataille cachent certains des enfants les plus négligés et les plus défavorisés du pays, qui semblent coincés dans un cycle de crimes et de violence depuis leur plus jeune âge.
« Il est difficile de les aider car leur famille a souvent des liens avec les gangs. Leur père est en prison, leur grand-père est en prison, et le petit ami de leur mère fait partie d’un gang. Un des mecs à qui j’ai parlé m’a expliqué que sa mère sortait avec le membre d’un gang et qu’elle poussait tous ses enfants à voler et vendre de la drogue », me précise Grace.
Elle ajoute qu’un jeune sur deux avec qui elle a discuté a une vie familiale fragile : ils sont confiés à l’aide à l’enfance, n’ont qu’un parent ou sont trimballés entre divers membres de la famille. La plupart se font virer de l’école avant l’âge de 14 ans. « Hier, l’un d’eux m’a dit qu’il ne supportait pas l’école. Il détestait le fait que les enseignants lui disent ce qu’il devait faire, si bien qu’il s’est mis à les frapper. Il n’y a pas remis les pieds depuis. »
Les banlieues nord de Liverpool ont toujours été de mauvais endroits où grandir. Libéré de prison l’année dernière, où il était incarcéré pour son implication dans un trafic d’héroïne d’une valeur de 3,5 millions de livres, Paul Walmsley a entamé sa carrière de criminel à l’adolescence, s’attirant la faveur de ses aînés pour son intelligence et son silence. Aujourd’hui âgé de 48 ans, il est devenu coach de vie et aide les jeunes délinquants à se retirer des gangs de rue.
Selon lui, l’explosion de violence au sein de la nouvelle génération est due à un vide du pouvoir créé par la disparition d’un échelon supérieur dans les gangs du nord de Liverpool à la suite du meurtre de Rhys Jones. Il ajoute qu’un ratissage policier des gangs a provoqué une vague de violence similaire dans les années 1990. Quand on coupe la tête de la bête, le chaos se répand souvent dans les rues. « Quand je faisais ce boulot, il y avait une hiérarchie, se souvient-il. Une nouvelle génération émerge et chaque membre a le pouvoir de se faire un nom ; ils se doivent d’avoir une réputation et, par conséquent, de faire quelque chose pour gagner cette réputation. Il ne faut que quelques secondes pour tuer quelqu’un et gagner dix ans de crédibilité. Les téléphones portables sont comme des caméras de surveillance de poche : vous êtes alerté dès que quelqu’un marche sur vos plates-bandes. »
« Billy », célèbre membre d’un gang de Liverpool – qui a terrorisé les autres gangs de la ville dans les années 2000, selon Paul Walmsley – a été placé sous surveillance électronique plus tôt cette année après avoir purgé une longue peine d’emprisonnement pour détention d’armes à feu et trafic de stupéfiants. Billy m’a expliqué que ces temps-ci, plus un acte violent est visible, mieux c’est. C’est pourquoi tant de fusillades récentes ont eu lieu en plein milieu de l’après-midi.
Sa femme, infirmière dans un hôpital local, accueille au moins un blessé par balle tous les soirs. « La semaine dernière, mon cousin a été arrêté pour avoir pris part à une fusillade, mais il a fini par être interrogé au commissariat de Birkenhead, étant donné que tous les commissariats de Liverpool étaient remplis de gens en garde à vue à cause de toutes les fusillades, déclare Billy. Le meurtre était respecté à mon époque, mais aujourd’hui, ils tuent pour tout et n’importe quoi. Liverpool est devenu un cloaque abandonné par le gouvernement. Combien valent les maisons à Londres ? Par ici, elles ne sont qu’à 35 000 euros. »
Près d’une décennie d’austérité a frappé les banlieues déjà défavorisées de Liverpool. Tandis que la pauvreté ne cesse de monter, il arrive que des jeunes soient tentés de commettre un crime juste pour pouvoir s’acheter à manger. Il n’est donc pas étonnant que le concept dickensien d’« exploitation criminelle des enfants » ait créé une armée de gamins doués pour le crime dès leur plus jeune âge.
« Les éducateurs voient des enfants de plus en plus jeunes être aux prises des gangs de Liverpool, déclare Grace Robinson. En échange d’argent et de nourriture, on demande aux écoliers d’entrer par effraction dans des maisons – parce qu’ils sont petits – et de planquer de la weed. Un garçon de sept ans a été chopé avec une arme dans son sac à dos. »
Les enfants ayant des parents honnêtes se retournent souvent contre ces derniers. Grace Robinson raconte qu’un père s’est inquiété quand son fils adolescent est parti plusieurs semaines vendre de la drogue dans le comté de Cumbria pour le compte d’un gang de Liverpool. Il a expliqué à son fils qu’il l’aimait et que ses boss n’avaient aucun respect pour lui. Le gang a quant à lui raconté à l’adolescent que ses parents essayaient juste de l’empêcher de s’amuser. Résultat, il a menacé son père d’appeler le gang pour lui régler son compte s’il ne le laissait pas tranquille.
En janvier dernier, un jeune qui avait omis de rembourser une dette ridicule liée à la drogue a reçu une visite chez ses parents, dans la banlieue de Kensington, à Liverpool. N’étant pas là, le gang a retourné la maison, poignardant le père au passage.
Une fois qu’ils sont isolés de leurs amis et de leur famille, l’étau se resserre. Les membres de gangs plus âgés exploitent leur confiance en leur donnant de l’argent « sans condition », de la drogue ou un logement en échange de leur servitude. Même s’ils ont le courage de partir, les crimes qu’ils ont commis sont utilisés à leur encontre comme source de chantage pour les effrayer et les forcer à rester.
Si ces jeunes évitent l’alcool, ils fument souvent d’énormes quantités de weed, pas seulement parce qu’ils en font pousser, mais aussi parce qu’elle les aide à masquer les émotions qu’ils ne veulent pas affronter. Quant à Sean Mercer, il est facile de le faire passer pour un enfant « sauvage » et impassible qui doit être mis en cage. En creusant un peu, les choses sont loin d’être aussi unidimensionnelles qu’elles n’y paraissent.
« On ne croirait pas qu’ils sont impliqués dans un crime quel qu’il soit, parce qu’ils ont l’air si innocents, avance Grace Robinson. Quand vous les poussez à être honnêtes avec vous, ils sont en fait très sympathiques. Ils parlent doucement et sont polis. Au premier abord, ils n’ont aucun respect. Ils ne respectent pas leurs parents. Mais quand ils s’ouvrent, ce qui n’arrive pas tout le temps, ils sont respectueux. »
Les récompenses sont éphémères pour ces gamins. Contrairement à d’anciens membres de gang accomplis comme Paul Walmsley, qui ont pu quitter Liverpool et s’acheter une grande maison à la campagne ou à la mer, la fournée actuelle se dirige lentement vers une impasse. « La plupart d’entre eux ne quittent jamais le quartier dans lequel ils ont grandi, ajoute Grace Robinson. Ils n’ont pas l’opportunité de faire quelque chose d’autre. Ils finissent en prison ou meurent. »
À moins, bien sûr, qu’on leur offre une échappatoire.
Face au problème grandissant de la pauvreté, et alors que les jeunes des quartiers les plus démunis du Royaume-Uni se dirigent vers les marges de la société, Paul Walmsley utilise son expérience afin de sortir les adolescents du train-train de Liverpool. « Je veux leur apporter un sentiment de valeur, de réussite et d’appartenance », déclare-t-il, lui qui s’est mis à l’écriture pendant qu’il était en prison. « Car là tout de suite, ils devraient se trouver avec leur famille, les gens qui les aiment vraiment, et non avec des gens qui dans 20 ans se ficheront éperdument d’eux. »
« Nous devons leur faire comprendre qu’ils ont le choix, au lieu de les mettre de côté et de les traiter comme des ordures. Parce que ce ne sont pas des ordures – ce sont des êtres humains qui méritent une seconde chance. »