La Tristesse de la pornographie d’aujourd’hui


Sur le tournage de « Fantasmes très spéciaux ». Toutes les photos sont publiées avec l’aimable autorisation de Gérard Kikoïne

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Depuis 25 ans, Gérard Kikoïne a peu tourné. Et si vous vous concentrez sur la fin de sa filmographie sur IMDb, vous penserez avoir à faire à un réalisateur de polars cheap made in France. Grossière erreur, puisque dans les années 1970 et 1980, Kiko a tourné quelques œuvres qui ont marqué à jamais la pornographie française. Aujourd’hui, il préfère parler de films d’amour, mais ne vous méprenez pas, Gérard Kikoïne a filmé bites, culs et chattes comme personne. Et avec un humour qui n’appartient qu’à lui.

Gérard, reprenons les choses à la base. Avant de tourner toi-même, tu as épaulé Jess Franco, pape espagnol de l’exploitation européenne, chancre du saphisme vampirique et lui-même assistant d’Orson Welles… Comment tu t’es retrouvé là ?
Gérard Kikoïne :
Ça remonte à loin… J’ai démarré dans le doublage par le biais de mon père, qui avait une des plus grosses boîtes du milieu à l’époque. A partir de 64, 65, je fais plein de choses, et parmi les clients de mon père, il y avait Robert de Nesle (ndlr : producteur français très porté sur le genre et l’exploitation). En 70, mon père ferme boutique et je monte ma propre boîte avec mon frère. On s’occupe principalement de post-synchro et un jour De Nesle vient me voir et me propose de bosser sur Les Démons du Sexe, de Franco. Il s’agissait de refaire l’intégralité du son du film, et c’est la première fois que je me suis retrouvé à travailler seul, sans réalisateur derrière moi pour me dire quoi faire. Comme le résultat à plu à De Nesle, j’ai travaillé sur quelques autres films de Franco. Et plus ça allait, plus il fallait faire preuve d’imagination, parce que les Franco de l’époque, c’était vraiment spécial sans le son. J’avais deux pages de scénario, fallait s’accrocher.

Mais il était content du résultat.
Ça, je ne l’ai jamais su. Je ne l’ai jamais rencontré !

Ah parfait ! À l’époque où tu te lances dans la réalisation, c’est le succès d’ Emmanuelle – un classique du genre repris des milliers de fois – qui t’inspire ?
C’est un enchaînement de choses. Les films de Franco deviennent de plus en plus érotiques et en 73, je commence à vouloir faire plus que monter. J’en parle à mes potes, Alex Nubbar et Alain Van Damme, parce qu’en plus, Richard Suzuki, qu’on connaissait, venait d’être chef op sur Emmanuelle. Je savais comment on faisait un film et combien il fallait. Et vu qu’Emmanuelle avait cartonné, on s’est dit qu’on allait faire un film érotique. C’est Alex, qui était photographe, qui a eu l’idée de raconter l’histoire d’un mannequin. Et c’est tout. Voilà, l’histoire d’un mannequin. Mais comme c’était vraiment pas grand chose, ça nous a permis d’y mettre tout ce qu’on voulait.

L’érotisme à la base, c’était plus un moyen qu’une fin ?
Oui, c’était un moyen. Je voulais faire autre chose. Mais après le film, Claude Mulot vient me voir – je connaissais sa femme, qui était doubleuse – et me propose de bosser sur Le Sexe qui Parle. Je n’avais jamais fait de hard, mais je dis, ouais, pourquoi pas… Voilà comment j’ai commencé à monter des queues de 30 cm. J’en fais quelques uns, et me prend l’envie d’en réaliser un à mon tour.

Ça donne Parties Fines/Indécence 1930 en 1977…
Voilà. C’était complètement fou comme projet, parce que se lancer dans Indécence 1930 avec les moyens qu’on avait, fallait être un peu inconscient. Enfin j’étais inconscient, mais j’avais tellement confiance en moi que l’inconscience disparaissait complètement. Mais quand j’y pense, on avait quand même deux comédiens centraux – Sylvia Lamo et Patrice Chéron – qui n’avaient jamais mis les pieds sur un plateau… et qui se retrouvaient dans un film X. Chéron m’avait seulement dit qu’il n’était pas sûr de pouvoir bander sur commande. Du coup, c’est Alain Plumey qui s’occupait de faire sa doublure.

Et te voilà adoubé par l’industrie.
Le film part à Cannes, il a cartonné, alors évidemment, on m’en a demandé d’autres.

Sur le tournage de « Dans la chaleur de Saint-Tropez »

Marylin Jess, qui devient l’une de tes égéries, tu la rencontres comment ?
C’est un hasard… Elle avait déjà tourné, mais je ne l’avais jamais vue. Elle débarque au casting pour Pensionnat de Jeunes Filles, et je la vois arriver, toute pimpante, toute fraîche. Elle était tellement vivante, que je ne lui ai même pas fait passer d’essai. Elle était jolie comme tout, et elle l’est encore aujourd’hui, d’ailleurs.

C’est tout ce qui comptait ?
Pas du tout. Il y en avait d’autres des jolies. Mais Marylin était vraiment rigolote. Elle aimait le sexe, elle aimait la comédie, elle se marrait sur les tournages.

Tu bossais régulièrement avec la même troupe. C’était aussi des gens que tu voyais hors des tournages ? C’était aussi débridé hors plateau ?
Alors non, pas du tout ! J’ai toujours cloisonné ma vie privée et ma vie professionnelle. En dehors des tournages, je ne voyais personne du milieu. J’étais marié, j’étais papa, je prenais des vacances… Bon… il m’est arrivé d’avoir une ou deux aventures sur des tournages. Dont Marilyn Jess. Je peux le dire, parce qu’elle en a déjà parlé. C’est la seule que je voyais un peu en dehors.

Sur le tournage des « Délices du tossing »

Aujourd’hui, comment tu définirais le cinéma X français de l’époque – plutôt élégant, ou plutôt France paillarde et ripailleuse ?
C’était un peu paillard, mais ce n’est pas comme ça que je le définirais. Dans toute la production, il y avait des daubes, il y en avait des bien, et il y en avait des très bien. Vous dîtes paillard, moi je dirais plutôt qu’on était des naturalistes. On mettait de notre vie dans nos films, et on était des aventuriers. On mélangeait l’art et l’illégalité. Illégalité parce qu’on tournait souvent dans des lieux qui nous étaient interdits. Il m’est arrivé de tourner en douce dans une prison désaffectée, ou au Lutetia, où je devais m’inscrire sous des noms curieux. Tourner une fellation en voiture, ou dans un train pour Adorable Lola , ça demandait de l’organisation ! C’était la guerre !

Jamais d’aventure désobligeante ?
On s’en tirait toujours ! Je me souviens qu’une fois, on tournait dans un appartement sans que la propriétaire sache vraiment ce qu’on y faisait. On lui avait demandé de rester dans sa chambre, pour ne pas déranger les comédiens. Mais à un moment, elle a voulu voir un peu ce qui se passait. Je lui ai envoyé un mec, qui a fini par la sauter pendant qu’on tournait. C’était un black. Jacky. Il m’a dit qu’il gèrerait la situation. Impec. Au Château de Bouvières, où on a tourné Love Theatre, en revanche, le propriétaire savait très bien ce qu’on faisait !

Tu passes au traditionnel à peu près au moment où Canal + commence à diffuser du porno. Il y a une forme d’institutionnalisation qui te fait dire que tu as fait le tour de la question ?
C’était plus une évolution naturelle en fait. J’ai toujours bossé en faisant des rencontres qui m’ont apporté des opportunités. Le truc, c’est qu’en 82, on se retrouve dans une impasse. Mitterrand renforce les lois sur les X, qu’on arrivait à contourner jusque-là plus ou moins. On avait des versions soft et hard, mais on passait la version hard, interdite, jusqu’au jour où les flics ont commencé à débarquer dans les salles. Puis la vidéo amateur commence, aussi, et moi il était hors de question que j’en fasse. J’ai tenu avec quelques pubs et des clips. Puis je rencontre Harry Allan Towers qui me propose de faire Lady Libertine pour la Playboy Channel.

Sur le tournage de « Maison de plaisir »

Avec la magnifique Sophie Favier…
Précisément. Il me propose un contrat en or, à une époque où je commence à avoir envie de faire du fantastique et de l’horreur. Bon… le scénar est ce qu’il est, mais au niveau du look, il est terrible. Je m’étais entouré d’une très bonne équipe : Jean-Charles Dedieu en déco et ma styliste, Marie-France Velasquez, et ils m’ont fait une reconstitution de l’Angleterre XIXème siècle… Pour un film tourné en France, je n’aurais pas rêvé mieux…

Et tu finis par faire tourner Oliver Reed, Anthony Perkins, Robert Vaughn, Donald Pleasance… Et Ginger Lynn, la plus belle jouisseuse des années 1980 dans un rôle soft !
Ben oui, c’était formidable ! Puis après je rentre et je fais Commissaire Moulin et des pubs Bonux avec Maïté…

Bonjour tristesse…
Écoute… je me suis bien marré !

À côté de ça, tu vois l’évolution du porno, l’apparition des gonzos, les pornos cheap sur Internet… ça ne te donne pas envie de t’y remettre ?
Oh non pas du tout… Je suivais ça de loin. Puis les poils ont disparu… moi ça m’a tué… Je me souviens qu’en 1979, Mika était arrivée sur le plateau avec un ticket de métro. C’était pas possible de tourner avec ça ! Du coup je l’ai mise en levrette. Ça nous semblait une horreur. L’année suivante, je tournais à New York avec Radley Metzger, et là elles étaient toutes rasées… C’était le début de la fin…

C’est tout ce qui a changé ?
Non, il y a aussi ce truc très industriel, c’est qu’à notre époque, les filles étaient payées au menu. Maintenant c’est à la carte. Les filles arrivaient, on leur disait ce qu’elles avaient à faire dans la journée, ça allait, ça allait pas… y avait pas 14 éjacs pour les mecs et 350 trucs pour les filles. Elles étaient payées au forfait à la journée. Après, j’ai découvert aux États-Unis un truc qui est arrivé en France, c’était le règlement à la carte : je fais une fellation, c’est tant, une double, c’est tant… et comme par hasard, à notre époque, il n’y avait pas beaucoup de sodomie. On avait un couple qui venait pour les gros plans. Mais aujourd’hui, elles le font toutes ! Pourquoi ? Ben parce que la sodomie, ça paye plus à la carte !


Marilyn Jess fait pipi à Saint Tropez.

Les poils, pourquoi c’est essentiel ?
Ça apporte un mystère, un naturel… Je vais te dire un truc qu’on a oublié aujourd’hui, mais la première fois que j’ai vu une chatte rasée, c’était une copine qui venait de se faire avorter. J’avais 18 ans à l’époque. Pour moi, c’est ça, ça donne un côté malade. C’est pas naturel. Aujourd’hui, on cultive une espèce d’hédonisme corporel. Les mecs sont tous taillés, avec des tablettes de chocolat… Nous on était naturalistes, mais eux c’est l’exacerbation du corps… Je me suis retrouvé sur un tournage il y a 2 ans et à l’heure du déjeuner, je vois la comédienne faire le grand écart. Je lui demande ce qu’elle fait, et elle me répond « Je fais des échauffements parce que j’ai une triple péné cette après-midi »… putain… c’est chaud quand même… Y a vraiment plus rien de naturel… C’est très bizarre…

Aujourd’hui, un gamin vient te voir et te dit, « Gérard, je veux réaliser un porno. T’as un conseil à me donner ? ». Tu lui dis quoi ?
Je lui dis « Fais-le ! ». Et je lui dis d’écrire un scénario. C’est William Wellman qui disait : quand tu filmes, tu recrées une réalité. Et pour aller plus loin, je dirais, abolis la distance qui a entre la réalité et ton imaginaire. Et surtout, il faut mettre de l’humour. C’est un truc qui a complètement disparu et pour moi, c’est fondamental. Mais à notre époque, aussi, ça se passait beaucoup au doublage, et comme on ne double plus les films…

Je pense qu’aujourd’hui, on considère que ce n’est pas très excitant de faire marrer le spectateur.
Je pense effectivement qu’il y a une frange de spectateurs qui sont purs et durs, qui veulent du cul et rien d’autre. Mais je suis sûr qu’il y en a d’autres, des matteurs, des trucs comme ça, qui n’attendent que ça. Quand on a repassé Le Sexe qui Parle , de Claude Mulot, au Forum des Images il n’y a pas longtemps, les gens étaient ravis.

Il s’agit de mettre un peu de malice comme substance nutritive, si je peux me permettre. Faut se creuser un peu.

Finalement, c’est ça qui définirait tes films ?
Je ne sais pas, mais j’ai été très heureux quand Beaubourg m’a demandé, il y a quelques années, de passer Dans la Chaleur de St Tropez en séance aveugle. Ils ne passaient que le son. Et ça marchait. Les gens se marraient devant un film d’amour, sans image.

Et s’il ne fallait en retenir qu’un, pour quelqu’un qui voudrait découvrir le cinéma de Gérard Kikoïne ?
Dur à dire, mais ce serait Parties Fines/Indécence 1930, mon premier film d’amour explicite. Autant commencer par le début. Et quand je revois Love Theatre, je le trouve super. Et je garde de très bons souvenirs de tournage.

Tu parles de films d’amour, pas de films pornographiques ?
Le terme pornographique est un peu réducteur. Il y a un discours pornographique, qui n’a rien à voir avec la pornographie. Aujourd’hui, le discours pornographique a changé, pas forcément la pornographie.

Des projets aujourd’hui ?
Je viens de sortir le Kikobook, une sorte d’autobiographie pleine d’archives photo, et j’ai quelques films en tête, notamment un truc vachement sympa que je développe avec Didier Philippe-Gérard, le réalisateur des Hôtesses du Sexe. Ça s’appelle Né sous X. L’histoire d’un jeune mec qui trouve le moyen de revenir dans les films X de l’époque, les miens et ceux de Didier, et qui part à la recherche de son père qui était un vieux hardeur. Il est avec une gonzesse qui est rasée de partout, et tout d’un coup, il découvre les poils. Ça devait s’appelait A Poils, mais finalement, Né sous X , ça marche bien. Bon, pour l’instant personne n’en veut, mais c’est con, parce qu’on a mis au point tous les effets d’incrustation et ça marche super bien.

On en revient toujours aux poils…
Faut croire…

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