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Culture

American Psycho : dix ans plus tard/vingt ans plus tard

Si Bret Easton Ellis est, comme beaucoup le pensent, le symbole littéraire de la jeunesse désenchantée des années 1980, c’est seulement parce qu’il est aussi, secrètement, un sorcier capable de conjurer des sorts de célébration et de punition qui...

Récemment, j'ai écouté le livre audio d'American Psycho. Sorti en 2011, avec Pablo Schreiber en conteur. Il a fait du bon boulot, sans exagérer le ton ou les voix des différents personnages. Il a fait ça subtilement, en modulant parfaitement les différentes parties des dialogues pour qu'on puisse les distinguer. Tout est prononcé avec le même calme factuel caractéristique de Patrick Bateman.

Si Bret Easton Ellis est, comme beaucoup le pensent, le symbole littéraire de la jeunesse désenchantée des années 1980, c'est seulement parce qu'il est aussi, secrètement, un sorcier capable de conjurer des sorts de célébration et de punition qui subvertissent le sens et la valeur du sexe, de l'argent, du consumérisme et du divertissement. Il paraît ainsi évident qu'American Psycho (du moins pour l'instant) soit sa meilleure œuvre : une ère entière représentée dans un chant du cygne sombre, qui résume son sujet avec un équilibre parfait entre ampleur et précision. C'est une satire brute et hyperréaliste.

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Le roman a été publié en 1991, il est donc clair que Bret travaillait d'arrache-pied alors que la décennie analogique touchait à sa fin. Les années 1990 avaient débarqué. Elles ont démantelé la « modernité », peut-être même la « postmodernité », en chamboulant tout d'une manière qui ne sera claire qu'à la fin de 2001, et même là, c'était sous couvert du terrorisme international et des guerres par procuration qui en ont résulté. Une chose restait certaine : les limites préétablies entre le riche yuppie et les habitués des logements miteux ne s'étaient absolument pas dissipées sous la pression du rayon laser cyclopéen qu'était MTV et d'une génération pour laquelle cette chaîne était le Messie. Il s'agit d'une génération qui a mélangé, sans effort et en toute ignorance, le nouveau son du grunge teen-spirit de Cobain avec l'explosion du G-funk-hip-hop qui a suivi The Chronic, même si les répercussions culturelles ne se sont pas forcément fait sentir avant la fin des années 2000.

Le rayon lumineux des années 1980 était, et demeure encore, tellement puissant que fouiller profondément dans son héritage pour découvrir ce qui s'est vraiment passé pendant cette décennie s'est avéré complexe. Avec le recul, ce dilemme s'illustre dans une autre œuvre de Bret : l'adaptation au cinéma de Moins que Zéro, une sorte d'exposé de l'auteur sur les adolescents nantis de Los Angeles vivant dans l'irresponsabilité et l'immoralité. Le film n'a pas semblé attacher beaucoup – voire pas du tout – d'importance à la valeur littéraire du livre, à savoir sa représentation brute et minimaliste du nihilisme stoïque présent à la fois chez le héros et les personnages secondaires. Au lieu de ça, le film repose essentiellement sur l'ambiance et la production, attribuant aux personnages des histoires classiques alors que les seuls scénarios présents dans le livre de Bret sont des tracés plats qui finissent dans le négatif.

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À l'opposé, American Psycho est complet dans ses deux formes : le roman et son adaptation cinématographique. Les deux célèbrent les années 1980 tout en les réduisant à leur essence décomplexée, creuse et consumériste/capitaliste.

Le livre attaque les années 1980 sur deux fronts distincts : l'appropriation et l'assimilation du style – à la fois dans l'esthétique et dans l'intrigue – et l'accumulation incessante de l'abject. Patrick Bateman est le roi dans tous les domaines : l'argent, la musique, les femmes, le physique, le meurtre et les films. Il est l'incarnation de l'éclectique moderne : il consomme et c'est un expert en tout.

L'exégèse de Patrick à propos de Huey Lewis & the News, un groupe dont on peut dire que l'œuvre ne mérite pas beaucoup d'éloges ou d'attention, est à la fois tristement sombre et comique parce qu'elle est sur-détaillée, comme le ferait tout sociopathe. Il s'agit d'une obsession vraiment moderne qui correspond directement aux récits détaillés des tortures et des meurtres odieux de ses proies innocentes (surtout des femmes, mais ses victimes comptent aussi un sans-abri, des chiens et un homosexuel). Le genre d'attention obsessionnelle qu'il porte à Huey Lewis symbolise parfaitement la manière dont le livre et son protagoniste opèrent : Patrick apporte des arguments saillants mais en fin de compte fades quant à l'évaluation de ce qui fait une bonne musique pop, tout en ironisant sur le fait que cette dernière est par nature très appréciée par le grand public. C'est comme si Bret Easton Ellis disait : « Voilà ce que les années 1980 avaient à offrir, alors je vais les présenter de manière à ce qu'elles soient beaucoup plus précieuses, avec le recul. »

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En tant que produit des années 1980, j'adore, autant que n'importe qui, The Breakfast Club et La Folle Journée de Ferris Bueller, mais je ne dirais pas que je retourne de temps à autre vers ces films pour me rappeler du genre d'esprit qui m'habitait autrefois. Au lieu de ça, l'œuvre de John Hughes et de ses contemporains me plonge dans les impressions esthétiques d'un temps et d'un espace précis. Alors quand j'essaie de les digérer dans le contexte de ma vie actuelle, j'ai tendance à me souvenir de l'esprit innocent que j'avais quand je les ai vécus en tant que jeune garçon (j'avais Ferris en VHS et je le regardais à chaque fois que j'étais malade, soit assez souvent, parce que je n'aimais vraiment pas aller à l'école), et de préserver cet esprit, tout en m'inspirant des expériences que j'ai vécues depuis lors pour critiquer l'apparence stupide mais chaleureuse qu'ils appliquent à toute l'humanité, comme si les seuls problèmes qu'on devait surmonter dans la vie étaient de pouvoir embrasser la personne de ses rêves, et que tout est OK à partir du moment où il y a une bonne bande son pour nous accompagner.

C'est pour ça qu'American Psycho a créé une telle controverse quand il a été publié. La violence du livre est incroyable. On a énormément critiqué et discuté ses excès misogynes. Mais je suis sûr que le détail exhaustif de la brutalité de Patrick Bateman est l'une des raisons pour lesquelles ce livre est devenu un best-seller et une référence culturelle, malgré le fait que Simon & Schuster l'ait abandonné et qu'il soit devenu vintage avant même sa sortie. Le niveau de détail des meurtres dans le livre est 100 fois pire que ce que montre le film. À cette époque, on considérait que de nombreuses scènes du livre ne pouvaient pas apparaître à l'écran, mais, en fait, je crois que c'est exactement ce dont le film aurait besoin. Et, s'il y existe une chose qu'Internet nous a appris, c'est que l'humanité n'en a rien à faire des humains. Si on le veut, on trouve assez facilement des vidéos en ligne de décapitations, de crimes de guerre monstrueux contre des enfants et des vidéos de viols ou de torture sexuelle. Ce n'était pas le cas en 1991, lorsqu'American Psycho a stupéfié les masses avec ses descriptions de boucheries gratuites. Bret Easton Ellis a trouvé l'inspiration en se plongeant dans des rapports d'homicides particulièrement sauvages à la Bibliothèque publique de New York (NYPL), ce qui amène à se demander si le but ultime de l'auteur était de fournir des descriptions précises des profondeurs de la barbarie de l'ère moderne, ou plutôt de reconnaître que l'être humain était capable de telles atrocités.

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Avec le recul, la création d'un personnage aussi malveillant et impitoyable que Patrick Bateman pourrait aussi être considérée comme une critique littéraire du monde masculin, compétitif et destructeur qu'est Wall Street : les traders qui font fusionner des entreprises, en achètent d'autres, les violent et les pillent, sont des meurtriers métaphoriques qui n'ont pas besoin de se salir ou d'avoir du sang sur les mains, comme Patrick le fait littéralement, mais ils prennent leur pied de la même manière. Les meurtres habilement élaborés et chorégraphiés sont des métaphores pertinentes de la violence infligée par le système bancaire américain, de manière très insidieuse et subtile – à travers le capitalisme sauvage et l'uniformité omniprésente de la culture de masse. Au final, on pourrait dire que nous sommes tous les victimes d'une telle violence, et ce tous les jours.

Un peu plus de dix ans après la sortie du livre, l'adaptation au cinéma d'American Psycho a connu son propre succès. Une grande partie de sa force tient sur le casting d'un Christian Bale pré-Batman, qui est dans une telle forme physique qu'à côté, le Terminator de Schwarzenegger a l'air potelé. Dès le départ, la production avait un grand poids sur les épaules : les critiques négatives résiduelles du livre et, encore plus redoutable, la description à l'écran des scènes les plus crues du livre, sans s'éloigner des excès sociopathes sur lesquels se repose l'intrigue. Dans l'ensemble, je trouve que c'est un excellent travail d'adaptation, et j'imagine que choisir une réalisatrice pour diriger le projet a beaucoup joué pour chasser les critiques potentielles de sensationnalisme sexiste.

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Ce qui me surprend, c'est que le film ne fait aucun faux pas quand il contourne les extrêmes du matériel d'origine. À la place, il repose lourdement sur l'excès et l'impudence du développement des personnages que cette ère façonnait à la pelle. À tel point que l'interprétation de Christian Bale en est parfois fouillis : il devient difficile de cerner la profondeur de sa psychopathie quand tous les gens qui l'entourent ont aussi des airs de psychopathes.

Dans le livre, Patrick Bateman et le lecteur (que le narrateur interpelle parfois directement) voient tous deux les autres personnages comme un moyen de parvenir à une fin – tels des silhouettes en carton et des poupées gonflables qui n'ont aucun intérêt à part distraire le narrateur de son ennui incurable et de son apathie. Le livre laisse volontairement le lecteur dans le doute quant à la véracité des événements perturbants que Patrick finit par raconter à ses collègues (qui ne le prennent pas au sérieux). Qu'ils soient vrais ou non, c'est un vrai psychopathe. La logique, la compréhension et l'empathie sont complètement – et ça en devient presque oppressant – inexistants dans le livre. On pourrait dire que ces traits sont aussi inexistants dans le monde d'aujourd'hui.

Leonardo DiCaprio a failli jouer le rôle de Patrick Bateman après l'énorme succès de Titanic, mais il y a renoncé. Bale, le premier choix du réalisateur, est revenu. Cette année, Leo jouera dans The Wolf of Wall Street de Martin Scorsese, qui tournera probablement autour de la même culture de capitalisme extrême que celle qu'on trouve dans le livre de Bret Easton Ellis et son adaptation cinématographique. Je parie qu'il s'agira d'une représentation critique d'une culture ultra-misogyne et compétitive mais qui sera acceptée d'une manière dont ni le livre, ni le film d'American Psycho ne l'ont été. Sûrement parce que personne ne pourra se faire à l'idée que son protagoniste (et non antagoniste) – un homme d'affaires américain extrêmement prospère, d'après la norme des masses – est aussi un tueur en série cruel qui aime vraiment Huey Lewis.

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Cela dit, en 2011, des rumeurs voulaient qu'un remake du film soit en préparation. Bret Easton Ellis semblait enthousiaste (bien que le mari de Kourtney Kardashian, Scott Disick, était censé jouer le rôle principal), mais je ne suis pas sûr que cela serve à grand-chose parce que : 1) Je ne peux pas imaginer quelqu'un d'autre que Christian Bale pour jouer Patrick Bateman ; 2) inclure plus de la violence du livre ou jouer l'histoire après la Grande récession seraient les seuls arguments qui le distingueraient de la première adaptation et qui justifieraient un remake, mais aucun de ces deux points n'a l'air très intéressant ; et 3) pourquoi voudrait-on voir un remake du film alors qu'American Psycho, la comédie musicale sort dans six mois seulement ?

James est sur Twitter : @JamesFrancoTV

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