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À la rencontre des féministes nazies

Comment Internet m'a permis d'entrer en contact avec des femmes défendant leurs droits – et ceux de la race blanche.
Illustration de Katherine Killeffer

Quand on me dit que certaines personnes utilisent le mot féminazi au premier degré, j'ai encore beaucoup de mal à y croire. Pour Rush Limbaugh, le misogyne notoire qui a popularisé ce terme en 1992, une féminazie est une femme « qui juge que la chose la plus importante dans la vie est de faire en sorte que le plus grand nombre d'avortements puissent être pratiqués ».

Ces 23 dernières années, cet apparent oxymore a permis de saper les avancées menées par de nombreux militants féministes. J'ai voulu savoir si cette lubie qui hante les rêves des conservateurs existe réellement. Pour ce faire, j'ai épluché le plus vieux site de propagande haineuse de l'Internet, en la personne de stormfront.org.

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Image via Flickr/Terence McCormack

Ce forum nationaliste, suprémaciste et néo-nazi n'est pas, au premier coup d'œil, le territoire idéal pour s'épancher sur ses convictions féministes. D'après une étude du Southern Poverty Law Center, les membres du site ont été accusés d'au moins 100 crimes haineux en six ans. Parmi eux, on compte Richard Scott Baumhammers – qui a tué cinq personnes en 2000 – mais aussi le Norvégien Anders Breivik – qui a assassiné 77 personnes en 2011. Breivik avait rejoint le forum en 2008 sous le pseudo de « year2183 ». Il avait partagé avec ses camarades des tirades sur les « féministes, politiciens corrompus, médias corrompus, et musulmans [qui] sont des traîtres abjects ». Bien que le post d'origine ait été supprimé depuis, il fait toujours l'objet de réponses bienveillantes et de reposts aujourd'hui.

Étonnamment, le féminisme est pourtant un sujet fréquent sur Stormfront – qui compte 300 000 membres et prétend attirer 40 000 visiteurs uniques par jour. En juillet, le thread « Y a-t-il des féministes par ici ? » a pris tellement d'ampleur que son modérateur, SF Dungeon Master Fading Light, a dû y mettre un terme au bout d'un mois.

J'imagine qu'il est toujours difficile de censurer un torrent de propos haineux sur un site racialiste. Ce même modérateur a ensuite lancé un nouveau débat, « l'opinion de Stormfront sur l'égalité des sexes », afin de mettre fin aux attaques contre les femmes. Les réponses au post ont été désactivées.

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Le thread « Y'a-t-il des féministes par ici ? » a engendré 158 réponses avant sa fermeture. Ce débat a suscité de nombreuses réactions auprès des membres du site – qui en ont profité pour partager des photos du Troisième Reich et accuser les Juifs de tout et n'importe quoi.

Le féminisme est donc un sujet récurrent sur Stormfront. Parmi les threads liés à cette thématique, on trouve : « Féminisme et nationalisme blanc sont-ils compatibles ? Je pense que oui » ; « Les féministes (juives) éduquées et progressistes pensent que les hommes devraient être enfermés dans des camps » ; « Les femmes contre le féminisme » ; « Le féminisme est-il une idéologie extrémiste ? » ; « Pourquoi les féministes sont-elles grosses et moches ? » ; « Comment repérer une féministe » ou encore « Le respect vis-à-vis des femmes blanches ». Une section entièrement consacrée aux femmes existe et le sujet « comment attirer plus de femmes au sein du nationalisme blanc » provoque de nombreuses réactions depuis sa création en 2008.

« Quelle femme nationaliste blanche n'est pas, dans une certaine mesure, féministe ? », se demande Ojos Azules, âgée de 31 ans. Cette nationaliste canadienne défend un « féminisme à l'ancienne ».

Capture d'écran du système de messagerie de Stormfront

« Les femmes nationalistes blanches n'ont pas à accepter les diktats mis en place par les hommes », affirme Ojos Azules. Le Dr Abby Ferber, professeure d'études ethniques, m'a expliqué pourquoi certaines de ces femmes se revendiquaient féministes. « La question essentielle est de définir le féminisme. En général, elles en ont une vision très simpliste, celle que renvoient les médias », m'a précisé Ferber au téléphone.

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« Les femmes comme Ojos Azules ont une vision traditionnelle et libérale du féminisme – qui se résume à l'égalité des droits pour les hommes et les femmes. À partir de là, on comprend pourquoi elles se considèrent comme féministes », m'a déclaré Ferber. Elle explique qu'à travers ces mouvements, les femmes développent leur propre vision du féminisme. Certaines jouent les femmes au foyer quand d'autres se griment en guerrières et tentent de recruter d'autres femmes dans le groupe. Ces dernières sont les plus susceptibles de se revendiquer féministes.

Mais, peu importe la définition qu'on en a, féminisme et suprématisme semblent incompatibles. « Je ne crois pas que l'on puisse militer en faveur des droits des femmes et soutenir des groupes racistes », avance Margaret Power, professeure d'histoire et spécialiste des groupes d'extrême droite. « Si vous êtes féministe et raciste, quelle est votre opinion au sujet des femmes noires ? »

J'ai demandé à Ojos Azules s'il n'était pas contradictoire de défendre l'égalité des sexes tout en étant opposée à l'égalité raciale. « Une femme blanche vivant au sein d'une communauté blanche avec des amis blancs et un mari blanc est moins victime de violence et d'abandon, en comparaison d'une femme vivant au milieu de non-blancs, avance-t-elle. Il est important de préserver notre culture, surtout pour les générations futures. »

Un uniforme d'une femme membre du KKK, via WikiCommons

Différents rapports ont démontré que les jeunes femmes représentent un vivier de recrues potentielles pour les groupes néo-nazis. Cela explique sans doute en partie pourquoi ils jouent la carte de l'égalité des sexes. Le Dr Kathleen Blee, professeure de sociologie à l'université de Pittsburgh, a étudié le rôle des femmes dans le Ku Klux Klan (KKK). Elle m'a expliqué que le pourcentage de femmes dans les groupes d'extrême droite a beaucoup varié suivant les époques. Par exemple, dans les années 1910 et 1920, les femmes ont joué un rôle très actif dans le KKK – allant jusqu'à créer leur propre groupe, appelé le WKKK.

« Certaines femmes du KKK se considéraient comme des militantes pour les droits des femmes blanches, précise Blee. Les gens se trompent souvent : soit ils ignorent que les femmes jouent un rôle dans les mouvements nationalistes blancs, soit ils surestiment leur rôle. » Elle précise que ces groupes sont toujours dominés par les hommes et que les femmes y jouent un rôle marginal – même si elles représentent un pourcentage substantiel.

Alors que je faisais part au Dr Blee de mon scepticisme quant au fait de défendre les femmes tout en méprisant les gens de couleur, celle-ci m'a répondu sans attendre. « Je pense qu'à leurs yeux, ce n'est pas du tout contradictoire. Elles ne se battent pas pour toutes les femmes mais pour celles de leur catégorie. »

J'ai demandé à Fortress Europe – un bulgare membre de Stormfront et dévoué à la cause des femmes – s'il était féministe. « Je suis pour l'égalité des sexes et si ça fait de moi un féministe, ça me va. Le nationalisme blanc est un concept sociopolitique dont le but est de perpétuer la race blanche. On ne peut pas atteindre cet objectif sans la coopération des femmes blanches. »